L’industrie télévisuelle du Nigeria en expansion créatrice

Une scène de la série dramatique nigériane «Shanty Town»
Photo: Netflix Une scène de la série dramatique nigériane «Shanty Town»

Que regardent les autres téléphages du monde sur leurs petits écrans ? La série Dans ma télé étrangère fait le tour des programmations d’ailleurs, un pays avec un guide à la fois.

Le très vilain Scar (Chidi Mokeme) trône à la tête d’un empire criminel bâti sur le trafic de la drogue et de la prostitution. Ce roi balafré règne sur Shanty Town (littéralement  « Bidonville »), section sur pilotis du quartier Makoko, à Lagos, mégalopole du Nigeria.

Scar impose sa terreur partout et sur tous jusqu’à ce que des travailleuses du sexe, souvent exploitées depuis l’enfance, s’unissent pour lutter contre son impitoyable emprise. Leur révolte commence quand elles découvrent que celles d’entre elles censées avoir racheté leur liberté ont, en fait, été assassinées.

La série nigériane de six épisodes sur cette bataille à finir est produite et diffusée par Netflix depuis le début de l’année. Shanty Town est vite devenue une des productions africaines les plus populaires sur la plateforme mondiale, malgré des critiques parfois sévères.

« Le spectacle recourt à la violence granuleuse comme au gore sans rime ni raison », a écrit la journaliste Nupur Bosmiya sur Leisurebyte.com, en reprochant à la production « d’objectiver le plus de femmes possible ». D’autres ont plutôt proposé de lire Shanty Town comme une métaphore de la corruption endémique du pays classé 150e sur 180 de ce triste point de vue.

« Les femmes et les enfants sont des sujets délicats : ils sont principalement affectés par les vices négatifs de la société, et il est important pour nous d’utiliser nos voix pour refuser ces vices, explique au Devoir la productrice de Shanty Town, Chinenye (Chichi) Nworah. Même si nous divertissons le public, nous souhaitons aussi qu’il soit instruit et éclairé [sur certaines réalités]. »

Mme Nworah ajoute que sa série a figuré dans le top 10 des plus regardées dans plusieurs pays cet hiver. « En fait, nous avons reçu des appels et des courriels de gens de partout dans le monde demandant une saison 2 de Shanty Town », écrit Mme Nworah au Devoir.

Local/mondial

Netflix affirme avoir investi dans la production audiovisuelle africaine près de 250 millions et y avoir créé 12 000 emplois depuis 2016. L’effort s’inscrit dans une diversification globale qui a déjà largement fait ses preuves avec La casa de papel, venue d’Espagne, ou Squid Game, arrivée de Corée du Sud, deux créations adoubées par la critique et le public.

La manne africaine profite surtout à l’Afrique du Sud, avec plus de 170 productions par année, des séries comme des documentaires. Blood and Water, racontant l’enquête d’une adolescente sur la disparition de sa soeur, a réussi à percer le marché étasunien. Le Kenya et le Nigeria suivent comme nouveaux partenaires du continent.

Ce pays de quelque 220 millions habitants, le sixième pays du monde en nombre d’habitants et la première puissance économique d’Afrique, jouit déjà de fortes industries cinématographiques et télévisuelles intrinsèquement liées. Un reporter américain a parlé de Nollywood (en référence à Hollywood) au début du siècle, et le sobriquet a collé, bien que des Africains grognent parfois devant cette appellation jugée condescendante et colonialiste.

Chichi Nworah, elle, ne s’en offusque visiblement pas. En tout cas, elle reprend le terme dans sa réponse à une question, l’employant pour expliquer cette impressionnante réussite des industries culturelles. « La narration fait partie de toute société, note-t-elle. Nollywood est l’industrie cinématographique du Nigeria. Nous aimons nos histoires locales et je peux qualifier Nollywood de “local pour le global”. Nos histoires sont appréciées partout dans le monde par différents groupes ethniques. »

Diplômée en informatique, elle a intégré cette industrie comme acheteuse pour IbakaTV. La chaîne de vidéo sur demande créée en 2011 diffuse des films nigérians. Son catalogue rassemble maintenant plus de 15 000 heures de productions hollywoodiennes. La plateforme disponible dans le monde entier (y compris au Canada) se réclame d’un million d’abonnés.

« J’ai eu à travailler très fort pour IbakaTV et j’y ai appris le fonctionnement du service de streaming », résume la productrice de Shanty Town, qui a fondé sa propre compagnie, Giant Creative Media, en 2018. « Notre objectif est de créer des histoires locales authentiques pour un auditoire mondial. Nous éduquons et nous divertissons le public en même temps ». En anglais, elle parle d’e-dutainment.

500 langues

L’anglais est la langue officielle du Nigeria. Elle sert d’idiome commun dans un pays où ne se parlent pas moins de 500 langues. Les chaînes télé diffusent en anglais et dans les langues nationales les plus comprises.

La télé a fait son apparition dans le pays en 1959, une année avant l’indépendance. Le monopole de la première chaîne historique, la NTA, a été brisé dans les années 1990, mais le réseau reste le plus populaire et le plus étendu du continent africain, avec une centaine d’antennes régionales affiliées et maintenant huit chaînes numériques consacrées aux informations en continu, au sport, au divertissement, à l’éducation, aux trois grandes langues nationales (yoruba, hausa, igbo) ainsi qu’aux affaires parlementaires.

Une loi sur les quotas

La richesse et la diversité de la programmation nationale sont stimulées par une loi sur les quotas limitant à 20 % le contenu étranger diffusé. La variété de la programmation largement diffusée sur le Web aux quelque 160 millions d’internautes nigérians ressemble en fait à celle des pays occidentaux avec au menu des séries dramatiques ou comiques, des télé-crochets, mais aussi des émissions de débats et des retransmissions sportives.

La série The Village Headmaster concentre quelque chose du pays. D’abord présentée comme feuilleton radio, la production en anglais et en yoruba est devenue un téléroman très populaire entre les années 1968 et 1988. Une nouvelle version est apparue l’an dernier.

Tinsel, autre telenovela à l’africaine, a aussi marqué l’imaginaire du pays, avec plus de 3600 épisodes diffusés en anglais depuis 2008 par M-Net, réseau payant originaire d’Afrique du Sud. Le téléroman propose une sorte de mise en abîme de Nollywood en suivant deux compagnies rivales de production de films.

La série d’anthologie Super Story (apparue en 2001) est aussi campée dans une industrie culturelle, cette fois un magazine éponyme. Elle aborde chaque saison des questions sociales et morales. Super Story est diffusée les jeudis à 20 h sur NTA et WAP TV, puis repris sur d’autres réseaux.

Le comique s’affirme par exemple avec Jenifa’s Diary, qui suit les péripéties d’une jeune villageoise naïve cherchant à s’adapter à la vie de Lagos en travaillant dans le salon de coiffure de son amie Kiki. La création, lancée en 2015, met en vedette Funke Akindele, qui la scénarise en plus. On y entend de l’anglais, du yoruba, de l’igbo, du hausa. Skinny Girl in transit (NdaniTV), une autre comédie populaire, suit les déboires d’une jeune femme (jouée par Abimbola Craig) qui cherche à perdre du poids.

La téléréalité et les concours s’imposent aussi dans la programmation. Nigerian Idol existe, tout comme Big Brother Naija. Un sondage réalisé auprès d’étudiants de six universités nigérianes par des chercheurs en communication a montré que la grande majorité regarde les émissions de téléréalité.

La nouvelle saison nationale de Big Brother, la huitième, composée de joueurs vedettes des moutures précédentes, vient de commencer le 23 juillet sur DStv. La formule est la même que partout, avec des pétards extravertis vivant en commune dans une villa féerique. Tout l’envers de Shanty Town, quoi…

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