Quand la vitesse tue

La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, dévoilera mardi la nouvelle Stratégie nationale en sécurité routière, alors que les bilans de morts et de blessés sur les routes ne s’améliorent pas.
Photo: Mario Beauregard La Presse canadienne La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, dévoilera mardi la nouvelle Stratégie nationale en sécurité routière, alors que les bilans de morts et de blessés sur les routes ne s’améliorent pas.

La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, doit dévoiler mardi une nouvelle stratégie nationale en sécurité routière, alors que le bilan des morts stagne depuis des années. La vitesse excessive sur les routes, impliquée dans letiers des décès causés par les accidents, sera au coeur des débats qui s’amorcent. Éclairage.

Le 29 juin 2022, à 16 h 45, à Métabetchouan, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, un VUS filant à 102 km/h dans une zone de 80 a embouti la voiture de la famille Pérusse, arrêtée pour tourner à gauche sur le 2e Rang Ouest à un carrefour de la route 169. La jeune Larissa, 10 ans, est morte sur le coup et cinq autres personnes (dont le chauffard) ont été blessées.

Le rapport du coroner, déposé en mai dernier, établit que la vitesse était en grande partie responsable du décès de Larissa. Le conducteur du VUS a freiné, mais beaucoup trop tard et en vain. Il s’agissait du troisième accident à survenir à cet endroit en moins d’un mois.

La limite autorisée dans le secteur a été réduite à 70 km/h, le marquage au sol refait, des panneaux à messages variables ont été installés. Le conseil municipal de Métabetchouan–Lac-à-la-Croix interpellait le ministère des Transports depuis 20 ans pour sécuriser plus radicalement le secteur. Une récente pétition de 6500 signataires avait appuyé la demande.

Finalement, en janvier dernier, Québec a annoncé une solution structurelle, notamment pour créer une voie de virage à gauche protégée et maintenir la limite de vitesse à 70 km/h dans le secteur. Et la reconstruction et l’amélioration d’un tronçon de 1,5 km de la route létale devraient être complétées… d’ici trois ans.

« Au-delà des mesures de réaménagement, fondamentalement, c’est la vitesse qui tue », a déclaré le père de la jeune victime, Alexandre Pérusse, après le dépôt du rapport du coroner. « Ce qui m’inquiète, c’est que, tous les jours, je vois des comportements téméraires, mais ça prend 0,5 seconde, selon le coroner, et c’est fini. Votre vie est changée, et celle de dizaine de personnes est brisée aussi. »

En moyenne, de 2017 à 2021, la vitesse est impliquée dans 31 % des décès causés par les accidents de la route, 29 % des personnes blessées gravement et 18 % des personnes blessées légèrement, indique un rapport de 2022 de l’Institut national de santé publique du Québec.« La vitesse excessive (au-delà de la limite exigée) joue un rôle notable dans les accidents de la route au Québec, résume Geneviève Côté, relationniste de la Société de l’assurance automobile du Québec, après avoir fourni ces sombres données. La vitesse fait augmenter le temps et l’espace de freinage. »

Elle cite une enquête de circulation routière menée à l’été 2022 par son organisme : 53 % des conducteurs conduisent au-delà de la limite permise dans les zones de 50 km/h. Sur les routes secondaires, où la vitesse est limitée à 90 km/h, cette proportion de délinquance serait de 42 %.

Le pied trop pesant

Il y a trop de voitures au Québec, et elles roulent vite, trop vite. La pandémie semble avoir accentué le problème.

Il en sera question mardi, lorsque la ministre Guilbault dévoilera la nouvelle Stratégie nationale en sécurité routière, alors que les bilans de morts et de blessés sur les routes ne s’améliorent pas. Cette année, de janvier à juin, les accidents de la route ont déjà causé 144 morts.

Le Canada a adopté en 2016 une stratégie de sécurité routière avec l’objectif de doter le pays des « routes les plus sûres du monde ». Pour ce faire, il faut réduire le nombre d’accidents causant des morts et des blessés. Visiblement, l’objectif ne sera pas atteint, puisque toutes les données vitales stagnent depuis le milieu de la dernière décennie.

Les accidents sur les routes canadiennes ont fait 1841 morts en 2017, 1922 morts en 2018 et 1768 morts en 2021. Le nombre de blessés graves reste lui aussi malheureusement stable d’année en année. Il était de 9960 en 2017 et de 8185 en 2021.

La SAAQ mise sur les campagnes de sensibilisation dans le cadre de sa Stratégie de prévention en sécurité routière 2021-2025, mettant l’accent sur six thèmes prioritaires : la distraction, les facultés affaiblies, la fatigue, le partage de la route, les comportements imprudents et la vitesse.

La campagne de 2023 sur ce dernier point sera elle aussi lancée dans les prochains jours. Pendant la période qui s’amorce, avec la fin des vacances estivales et scolaires, se côtoieront davantage d’usagers de la route.

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, sera aussi présent mardi au dévoilement des nouvelles mesures de sécurité routière. La mort d’une réfugiée ukrainienne de 7 ans qui se rendait à pied à son école, dans l’arrondissement Ville-Marie, à Montréal, en décembre 2022, a encore souligné l’urgence d’agir.

La limite de vitesse fixée dans une zone scolaire ne peut pas dépasser 50 km/h pendant la période scolaire. Dans beaucoup d’autres pays, voire dans toutes les agglomérations urbaines, cette limite près des écoles est abaissée à 30 km/h.

« Les municipalités peuvent modifier les limites de vitesse sur le réseau routier sous leur responsabilité sans demander la permission au Ministère, indique Nicolas Vigneault du ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMDQ). Elles peuvent donc choisir ou non de limiter la vitesse à 30 km/h dans une zone scolaire sous leur responsabilité. »

Moins vite et mieux

Depuis le 1er août 2019, l’amende peut doubler en cas de non-respect de la vitesse dans une zone scolaire durant la période scolaire, soit pendant le jour, de septembre à juin. Une étude d’octobre dernier a établi que plus de neuf automobilistes sur dix ne respectent pas les limites de vitesse dans ces zones extrêmement névralgiques. À Montréal, c’est 96 % des véhicules qui sont en infraction près des écoles.

« La seule réduction de la limite de vitesse, sans aucun aménagement de la rue ou opération de contrôle, n’a souvent pas d’effet significatif sur la vitesse des conducteurs, ajoute Nicolas Vigneault du MTMDQ. La Table québécoise de la sécurité routière a formulé une recommandation qui était d’encourager les municipalités qui envisagent de réviser les limites de vitesse sur leur territoire à fixer une limite de 40 ou de 30 km/h seulement dans des conditions où celle-ci sera crédible et respectée par les conducteurs. »

Geneviève Côté, de la SAAQ, renchérit sur l’importance de la pédagogie pour arriver à faire respecter les limites. « De façon générale, nos orientations sont dirigées vers la dénormalisation des petits excès de vitesse, dit-elle. Par nos actions, nous souhaitons aussi favoriser l’implantation d’une norme sociale appuyant l’idée que la recherche constante de vitesse est une chose négative. Nous voulons aussi amplifier la perception, chez les usagers de la route québécois, qu’un nombre croissant d’usagers désapprouvent le fait de circuler plus vite que la vitesse maximale. »

Le code de la sécurité routière (2018) repose sur le principe dit de la prudence. « Chaque usager de la route doit agir avec prudence et respect, surtout envers le plus vulnérable que lui, lorsqu’il circule sur le réseau routier », mentionne le texte, ajoutant que les cyclistes et les piétons ont droit à une vigilance accrue de la part des automobilistes.

Sous les radars

Pour savoir si un véhicule circule en excès de vitesse, il faut mesurer objectivement sa vélocité. Les radars fournissent ces données. Il en existe essentiellement deux genres. Les radars photo du ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMDQ) et les radars pédagogiques installés par les villes.

Les premiers fonctionnent en tout temps. Leur présence est signalée à l’avance sur la route et leurs emplacements figurent sur une carte en ligne. Un constat d’infraction entraîne une amende.

Cette méthode de contrôle réduit le nombre d’accidents de 29 % pour les radars photo fixes, de 28 % pour les appareils de surveillance aux feux rouges et de 12 % pour les radars mobiles. Un sondage de 2016 a montré que leur utilisation suscite une grande acceptabilité sociale (81 %), notamment en ce qui concerne la réduction de la vitesse (31 %) et des accidents (15 %) ainsi que l’augmentation de la sécurité de la population (18 %).L’opposition aux radars (19 %) est notamment motivée par l’opposition aux « trappes à tickets ».

« Depuis leur implantation au Québec en 2009, les appareils de contrôle automatisé (ACA) ont toujours été utilisés comme la solution de dernier recours, explique toutefois par courriel Nicolas Vigneault, du MTMDQ. Il ne s’agit pas d’outils répressifs visant à faire obéir les conducteurs, mais bien d’une mesure corrective à une problématique de vitesse ou de passages interdits au feu rouge qui ne peut être résolue autrement. »

Les radars pédagogiques, installés sur certaines rues critiques, affichent pour leur part les vitesses enregistrées. Les infractions n’entraînent aucune sanction. Selon les informations confirmées au Devoir, ces données indicatives ne sont pas colligées et ne peuvent donc pas ensuite servir à établir un plan d’intervention.

Gatineau utilise les deux équipements sur son territoire. Quatre appareils de radars photo mobiles sont en fonction, deux remorques et deux fourgonnettes, ainsi qu’un appareil de surveillance au feu rouge. Ils sont déployés sur 21 sites déterminés « à la suite d’une analyse approfondie des accidents sur notre territoire », explique par courriel le service des communications de la Ville. Les quatre radars photo mobiles y sont déployés en alternance, de même qu’en zones scolaires et près des chantiers routiers.

Le rôle de la Ville, plus particulièrement du Service de police de la Ville de Gatineau (SPVG), se limite à la gestion et à l’exploitation des équipements (incluant leur déplacement, leur installation et le transfert de la preuve). Une équipe composée de policiers formés est consacrée à ce programme. Pour le reste, c’est le ministère qui agit, y compris pour le traitement de données, les constats d’infraction et la perception des amendes.

Les radars pédagogiques de la Ville sont déplacés dans les zones sans radars photo, avec une priorité aux rues collectrices, puis aux grandes artères, aux quartiers habités et aux sites faisant l’objet de plaintes ou réputés pour générer des accidents. Leur emplacement est divulgué sur le site de la Ville.



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