Retracer l’histoire génétique des Canadiens français

Une nouvelle étude montre comment la population franco-québécoise a acquis sa diversité génétique actuelle.
Photo: Getty Images iStockphoto Une nouvelle étude montre comment la population franco-québécoise a acquis sa diversité génétique actuelle.

La diversité génétique des Québécois d’ascendance française que l’on observe aujourd’hui résulte en grande partie de l’influence qu’ont eue la géographie et la géologie sur la migration des premiers colons français dans les terres habitées jusque-là par les Premières Nations. C’est ce que révèle notamment une étude menée à l’Université McGill par Luke Anderson-Trocmé et Simon Gravel, en collaboration avec des chercheurs de l’UQAC, de l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni, et des universités françaises de Nantes et Sorbonne Paris Nord.

Cette étude a d’abord consisté à bâtir un modèle mathématique de simulation capable de décrire et d’expliquer la diversité génétique de la population franco-québécoise d’aujourd’hui. Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé notamment les données généalogiques issues de plus de quatre millions d’actes de mariage — provenant de registres paroissiaux et de l’état civil — qui ont été numérisés et rassemblés dans la banque de données BALSAC, dirigée par la professeure Hélène Vézina de l’UQAC.

Ces données généalogiques remontant à l’arrivée des premiers immigrants français au XVIIe siècle ont été croisées avec les données génotypiques (du génome complet) de 20 451 Canadiens français contemporains — dont on a dressé l’arbre généalogique — provenant des banques Cart@gène et Genizon, ainsi que de 2276 Français.

Étant donné la qualité exceptionnelle de ces données généalogiques, qui sont uniques au monde, il a été possible d’estimer l’apparentement génétique entre les individus dans le temps et dans l’espace, soit en fonction de l’endroit où ils ont migré, a souligné en entrevue Simon Gravel, professeur au Département de génétique humaine de l’Université McGill, qui a dirigé cette étude. Les chercheurs ont ainsi observé que l’apparentement, voire la similarité génétique entre les individus, était plus élevé entre ceux qui s’étaient établis le long d’un même cours d’eau ou bassin-versant.

Le hasard fait que certaines personnes auront plus d’enfants que d’autres et, alors, les mutations qu’elles portent se retrouveront à plus haute fréquence dans la population

 

L’influence de la géographie et de la géologie

Les cours d’eau (le Saint-Laurent et ensuite ses affluents, tels que le Saguenay et la rivière Chaudière) ont constitué d’importants axes de migration, car ils facilitaient le transport et parce que les Français « faisaient face par ailleurs à un vaste territoire forestier occupé par les Premières Nations iroquoises », expliquent les auteurs de l’étude dans un article publié en mai dernier dans la revue Science.

La géologie a aussi eu une influence déterminante. Par exemple, l’astroblème de Charlevoix, une formation géologique créée par l’impact d’une météorite tombée près de Baie-Saint-Paul, il y a 400 millions d’années, a constitué une poche de terres fertiles où un groupe de colons français venus de Québec se sont établis. Mais comme cette zone de terres arables était relativement restreinte s’est peu à peu développée une pression démographique qui est devenue tellement forte que, lorsque le gouvernement a finalement ouvert le Saguenay–Lac-Saint-Jean (SLSJ) à la colonisation, plusieurs habitants de Charlevoix ont alors migré dans cette région isolée, qui était jusque-là réservée à la Compagnie de la Baie d’Hudson.

Dans le Bas-Saint-Laurent, des colons se sont installés de proche en proche sur la rive du Saint-Laurent avant de migrer vers l’intérieur des terres. Et en Beauce, on a fondé un premier village, à partir duquel on a rayonné et fondé d’autres villages, le long de la rivière Chaudière notamment, précise M. Gravel. La colonisation de l’Abitibi-Témiscamingue, qui a eu lieu plus tardivement, se distingue quant à elle par le fait que les colons franco-québécois qui s’y sont établis provenaient de différentes régions de la province. « Il n’y a donc pas eu d’effet fondateur à l’échelle de la région dans son ensemble », indique-t-il.

Par contre, « il y a eu différents effets fondateurs ailleurs au Québec — notamment dans Charlevoix, au SLSJ, dans le Bas-Saint-Laurent, aux Îles-de-la-Madeleine et en Beauce — dont on arrive à identifier l’apparition temporelle avec une résolution exceptionnelle et inédite du point de vue de la diversité génétique », fait-il remarquer.

Les chercheurs ont tenté d’élucider la contribution de ces effets fondateurs sur la dérive génique observée dans les différentes régions du Québec. « On définit la dérive génique comme les changements qui surviennent de façon aléatoire dans la fréquence des variants [ou mutations] génétiques. Par exemple, le hasard fait que certaines personnes auront plus d’enfants que d’autres et, alors, les mutations qu’elles portent se retrouveront à plus haute fréquence dans la population. La plupart des généticiens pensent qu’au cours de l’évolution humaine, les changements survenus dans la composition génétique de l’espèce humaine proviennent de la dérive génique plutôt que de la sélection naturelle », explique M. Gravel. Ce dernier précise que « la sélection naturelle quant à elle favorise certains variants plutôt que d’autres parce que les individus qui les portent sont mieux adaptés. Comme ces variants les aident, ils auront par conséquent plus d’enfants et, au fil des générations, ces variants deviendront de plus en plus fréquents ».

M. Gravel donne l’exemple du SLSJ, où on sait qu’il y a eu un effet fondateur et où certaines mutations causant des maladies rares sont à plus haute fréquence. Son étude montre que l’essentiel de la dérive génique observée au SLSJ aurait eu lieu dans Charlevoix, voire à Québec. « Presque rien ne s’est passé au SLSJ », souligne-t-il.

« L’idée reçue qu’il y a de la consanguinité au Saguenay n’est pas vraie du tout. […] La majorité de l’apparentement [éloigné] entre les individus au SLSJ est antérieure à la colonisation de cette région. Ce sont des choses qui remontent à Charlevoix ou à Québec. »

« Les facteurs qui ont conduit les colons de Charlevoix ayant immigré au SLSJ à avoir plus d’enfants, à donner plus de descendants au Saguenay étaient purement démographiques et n’avaient rien à voir avec leur génome. Les variants ont augmenté en fréquence au SLSJ non pas parce qu’ils étaient bénéfiques, mais juste parce que les individus qui les portaient ont eu plus d’enfants. Mais ces facteurs ont bien sûr contribué à l’augmentation de la fréquence de certains variants, dont des mutations délétères », explique M. Gravel.

Simulation des génomes de la population franco-québécoise

Le modèle mathématique mis au point par l’équipe de McGill a également permis de simuler le génome entier de plus de 1,4 million d’individus dont les quatre grands-parents pouvaient être liés à la généalogie. Et une comparaison de ces génomes simulés avec les données génotypiques réelles obtenues de Cart@gène a révélé une excellente concordance, ce qui confirme la qualité et la fiabilité du modèle de simulation. « Cela montre que notre modèle fonctionne bien », souligne le mathématicien Simon Gravel, spécialiste de la génétique des populations.

La comparaison de ces données de la population franco-québécoise avec les données des diverses régions du nord-ouest (Normandie, Perche) et de l’ouest (Aunis, Poitou) de la France, ainsi que de l’Île-de-France, d’où provenaient les premiers colons français, a montré que « bien que la population franco-québécoise ait conservé des signatures génétiques des régions de France d’où venaient les premiers immigrants, la structure génétique de la population franco-québécoise actuelle est très différente de la structure ancestrale de ces régions françaises ». « Elle résulte des événements ayant eu lieu en Amérique du Nord. Le modèle observé dans une région de France donnée ne s’est pas transposé dans une région particulière du Québec », explique M. Gravel.

L’équipe de Simon Gravel au Centre de génomique de l’Université McGill s’applique actuellement à raffiner son modèle de simulation et, à l’aide de ce dernier, elle essaie de déterminer le génome des premiers colons français, ce qui permettra probablement de comprendre comment chaque mutation — notamment celles qui engendrent des maladies — s’est diffusée au Québec. Ce que nous saurons dans une prochaine publication.

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