Enfin un espoir de freiner l’émergence de l’Alzheimer

Des essais menés chez des personnes en tout début de maladie ont montré que le lécanémab (commercialisé sous le nom de Leqembi) ralentit la progression de l’Alzheimer d’environ 30 %.
Eisai via Associated Press Des essais menés chez des personnes en tout début de maladie ont montré que le lécanémab (commercialisé sous le nom de Leqembi) ralentit la progression de l’Alzheimer d’environ 30 %.

Après des décennies de recherches infructueuses, deux nouveaux médicaments s’avèrent enfin prometteurs pour s’attaquer à la maladie d’Alzheimer. L’efficacité de ces médicaments est telle qu’on a même commencé à les administrer à des personnes asymptomatiques dans l’espoir de freiner encore plus la progression de la maladie, voire d’empêcher son apparition.

Le premier de ces médicaments, le lécanémab (nom commercial Lequembi) fabriqué par les compagnies Eisai et Biogen, avait reçu une approbation préliminaire en janvier dernier sur la foi des résultats positifs obtenus lors d’essais cliniques menés chez des personnes en tout début de maladie qui présentaient un déficit cognitif léger. Ces études ont montré que ce médicament ralentit la progression de l’Alzheimer d’environ 30 %.

« Littéralement, le lécanémab fait fondre les plaques amyloïdes, et en quelques mois, les cerveaux qui étaient remplis d’amyloïde sont d’un coup presque complètement vidés de leur contenu en cette protéine. L’effet est spectaculaire », décrit le Dr Judes Poirier, professeur au Département de psychiatrie de l’Université McGill et directeur de l’Unité de neurobiologie moléculaire du Centre de recherche Douglas. 

Fort de ces succès, les fabricants ont décidé de l’administrer à des personnes encore exemptes de symptômes, mais ayant une histoire familiale d’Alzheimer et dont le cerveau est déjà envahi par un certain nombre de plaques amyloïdes (un signe distinctif de la maladie). De tels essais cliniques ont donc débuté aux États-Unis, en Europe et au Canada.

« On a choisi des patients ayant des traces de la maladie bien implantées, mais pas encore de symptômes. L’objectif est de retarder l’expression de la maladie. On présume qu’on ralentira la progression de la maladie de plus de 30 % parce qu’on s’y prend plus tôt dans son développement. Et si ce traitement permet de retarder la maladie de cinq ans, comme on croit y arriver, on éliminerait 50 % de tous les cas d’Alzheimer sur la planète, tout simplement parce que les gens auront le temps de mourir d’autres maladies associées au vieillissement avant que l’Alzheimer ne se manifeste », affirme avec espoir le Dr Poirier, grand spécialiste de l’Alzheimer.

Le lécanémab est en quelque sorte un vaccin composé d’un anticorps qui s’attaque à la bêta-amyloïde, plus particulièrement à la forme polymérisée de cette protéine. La bêta-amyloïde est une molécule qui est produite en excès dans le cerveau des personnes atteintes d’Alzheimer. Le cerveau polymérise ces molécules excédentaires, les rassemble en petites sphères et les entoure d’une couche de cellules inflammatoires qui jouent le rôle d’un sac à vidanges. Elle forme alors ce qu’on appelle des plaques amyloïdes.

Le second médicament, le donanémab, fabriqué par la compagnie Eli Lilly, est aussi un anticorps qui s’attaque à une forme encore plus polymérisée d’amyloïde présente à l’intérieur des plaques séniles. Tout comme le lécanémab, il parvient à éliminer un grand nombre des dépôts d’amyloïde en quelques semaines. Il entraîne un ralentissement de la maladie de l’ordre de 30 à 35 %. La compagnie a présenté ces résultats à la conférence internationale de l’Association Alzheimer, en juillet dernier, à Amsterdam, et dans la foulée a soumis un dossier complet à la Food and Drug Administration (FDA) pour approbation.

Les dossiers de ces deux médicaments ont également été soumis à Santé Canada. Le Dr Poirier serait surpris qu’ils ne soient pas approuvés pour les gens qui sont en début de maladie.

« L’année des bonnes nouvelles »

Mais ces médicaments ne guérissent pas les gens pour autant, « car l’amyloïde n’est pas la cause de l’Alzheimer. C’est pour cette raison que le bénéfice n’est que de 30 % de réduction de la progression de la maladie. Mais comme c’est un des joueurs importants dans le processus biologique de la maladie, il est clair que si on arrive à [éliminer les plaques amyloïdes] avant l’arrivée des symptômes, il est probable que soit ceux-ci n’émergeront pas, ou ils émergeront tellement plus tard que les personnes ne souffriront pas de la maladie et qu’elles décéderont d’autre chose », affirme le Dr Poirier.

Autre bémol de taille, le lécanémab induit des réponses immunitaires très fortes chez un patient sur six. Certains patients font de petits accidents vasculaires cérébraux (AVC), d’autres de l’oedème cérébral qui s’avère problématique étant donné que le cerveau est confiné dans la boîte crânienne. Ces gens doivent donc être suivis de près en se soumettant à des balayages cérébraux pendant toute la durée du traitement pour déceler ces possibles effets secondaires dangereux.

Ce qui inquiète le plus le Dr Poirier, ce sont ces effets secondaires que risquent de subir des personnes qui, au départ, n’ont aucun symptôme. « C’est un défi personnel, surtout si on n’est pas malade. Ce n’est pas comme si on a le cancer, et qu’on n’a rien à perdre », fait-il remarquer.

« C’est l’année des bonnes nouvelles : on a deux médicaments, un est approuvé et un autre devrait l’être sous peu. Pour la première fois, on a réussi à ralentir la maladie d’Alzheimer. Et on est en train de construire les prochaines études de prévention qui, on l’espère, permettraient de retarder la maladie de 5, voire 10 ans, ce qui fait qu’on ne parlerait plus d’Alzheimer ! » déclare le Dr Poirier.

Le chercheur croit toutefois que pour en arriver là, il faudra aussi s’attaquer à la protéine tau, qui, lorsqu’elle se retrouve en présence d’amyloïde, se met à se polymériser et à créer des enchevêtrements neurofibrillaires toxiques qui s’accumulent dans les neurones et les étouffent. « On est encore trop obsédé par la seule amyloïde. Il y a de plus petites compagnies, des biotechs, qui commencent à travailler sur des vaccins anti-tau. Je suis de ceux qui croient qu’il faut enlever l’amyloïde, mais aussi la protéine tau, pour ainsi empêcher qu’elles se rencontrent, car cette rencontre est un des facteurs déclencheurs des problèmes de mémoire », explique-t-il.

Or, des études humaines de phase 2 très prometteuses ont montré que ces vaccins arrivent à diminuer les concentrations de protéine tau dans le cerveau. « Une combinaison des deux pourrait bien devenir la solution la plus pertinente pour la prévention de l’Alzheimer ! » lance le Dr Poirier.



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