«Rudesse», Audrey Lemieux

Audrey Lemieux ne nomme pas ses personnages. Plus que des individus, ils sont le visage d’une expérience commune — celle de l’aliénation et des violences de la terre, de la famille et de l’héritage dans Rudesse, roman aux accents viscéraux. La narratrice fuit en ville son enfance passée dans une ferme, dont l’immensité est inversement proportionnelle à la liberté. Avec sa fratrie, elle y a été dressée pour obéir, insensible à la douleur, à la fatigue, à la hargne de parents impitoyables. Enchaînée à ses souvenirs râpeux, elle ne parvient pas à oublier le feu de la colère, l’âpreté de la terre, le goût du sang. À chaque page, l’imaginaire de l’écrivaine se déploie dans une poésie du geste qui rejette l’oisiveté. Toute action est dictée par la mécanique d’un corps ayant appris à apaiser sa pensée par la routine. Dans cette répétition s’esquisse une tragédie jamais revendiquée comme telle, celle du désamour, de n’être qu’un numéro, qu’une bête de somme, obligée « de creuser des sillons inutiles que personne ne peut voir ». Efficace et poignant.


 

Rudesse

★★★ 1/2

Audrey Lemieux, Leméac, Montréal, 2023, 128 pages

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