Quand la température met les travailleurs en danger

Charles-Édouard Carrier
Collaboration spéciale
Selon les chiffres de la CNESST, il y a eu 17 accidents de travail liés à la chaleur en 2022. Un sommet de 51 accidents de travail a été atteint en 2020, un été marqué par de longues canicules.
Photo: Getty Images | Agence France-Presse Selon les chiffres de la CNESST, il y a eu 17 accidents de travail liés à la chaleur en 2022. Un sommet de 51 accidents de travail a été atteint en 2020, un été marqué par de longues canicules.

Ce texte fait partie du cahier spécial Syndicalisme

Que retenir d’un été marqué par de nouveaux records de chaleur ? « Crever de chaleur, pas question ! » est le titre de la campagne lancée il y a deux ans par la FTQ afin de sensibiliser les employeurs et les travailleurs aux risques associés aux coups de chaleur. Mais si, sur le fond, des règles existent au sujet des risques thermiques, est-ce que, sur le terrain, les gens sont suffisamment protégés ?

En 2016, plusieurs centaines d’ouvriers sur le chantier du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), au centre-ville de Montréal, s’étaient prévalus de leur droit de refus et avaient suspendu leur travail lors d’un épisode de chaleur accablante. Des ouvriers qualifiaient les conditions de travail d’extrêmes, avec une température intérieure qui dépassait les 35 degrés Celsius. À cette époque, un porte-parole de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) avait indiqué qu’au moins trois travailleurs avaient été traités pour un coup de chaleur.

Est-ce que les travailleurs sont mieux protégés aujourd’hui, alors que les canicules se sont multipliées cet été ? Annie Landry, directrice du Service de la santé et sécurité du travail à la FTQ, hésite avant de répondre : « Oui et non… S’ils le sont, ce n’est pas parce qu’il y a des changements à la réglementation sur les contraintes thermiques. Mais avec la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, il y a plus de représentants en santé et sécurité sur les chantiers et dans les établissements hors construction. Il y a toutefois encore beaucoup de travail à faire. »

Une méthode complexe

Selon le règlement de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), l’indice de température au thermomètre globe mouillé (WBGT, de l’anglais wet-bulb globe temperature) est utilisé pour évaluer le risque thermique, en tenant compte de la température, de l’humidité et du rayonnement solaire. « Ce ne sont pas toutes les régions qui ont accès à ce type de thermomètre. Et cette mesure très technique, qui implique des méthodes de calcul complexes pour les inspecteurs, a ses limites, prévient Annie Landry. Dans une fonderie, par exemple, où les paramètres sont constants, c’est une chose. Mais dans un contexte de canicule, à court terme, alors que le corps n’a pas le temps de s’adapter, c’est complètement différent. »

Norman King, après une carrière de 35 ans dans le réseau de la santé publique québécois, est actuellement chargé de cours à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, où il aborde les fondements en gestion de la santé et de la sécurité du travail. Il sensibilise les futurs gestionnaires en ressources humaines à l’importance de la prévention en milieu de travail et à l’effet positif des solutions durables dans les situations à risque. Travailler seulement 25 % du temps pour récupérer ensuite ou installer un système de ventilation ? C’est ce genre d’équation que soumet Norman King à ses étudiants.

Dans sa classe, il s’attarde aussi sur la démarche préventive. « On explique que toute solution possible s’évalue en tenant compte de certains critères, dont l’efficacité préventive, mais aussi le coût des lésions professionnelles. Ça fait partie des valeurs inculquées dans le cadre d’un cours obligatoire aux futurs gestionnaires en ressources humaines. Si les étudiants sortent avec une telle vision des choses, on va améliorer la prévention en milieu de travail. » Mais, selon lui, Il y a encore place à davantage de recherche sur le sujet pour mieux protéger les travailleurs, dont certains sont particulièrement vulnérables, comme c’est le cas avec les travailleurs agricoles.

Une variable difficile à mesurer

Malgré les efforts faits en matière de mesure et de protection, la susceptibilité individuelle demeure dans l’angle mort. L’astreinte thermique, soit l’ensemble des réponses physiologiques de l’organisme exposé à la contrainte thermique, est difficilement calculable. « L’âge, le poids, la constitution ou encore la prise de médicaments qui auraient un effet sur la vasodilatation ne sont pas pris en compte. Des outils existent pour les évaluer, dont certains utilisés en France, mais ce n’est pas réglementé au Québec », soulève Capucine Ouellet, hygiéniste du travail certifiée et professionnelle scientifique à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail. Puisqu’il faudrait évaluer un travailleur à la fois, la démarche complexifie grandement la mesure du risque. Il y a là aussi un avenir intéressant pour la recherche sur le sujet.

Il n’y a par ailleurs pas de disposition prévue dans la loi pour protéger les travailleurs du froid. Mais l’obligation générale de l’employeur de ne pas mettre à risque ses travailleurs couvre les risques thermiques, quels qu’ils soient. Annie Landry a travaillé sur le dossier de l’exposition au froid pour le compte d’une publication européenne. Même si les hivers se suivent et ne se ressemblent pas, les Québécois ont apprivoisé le froid il y a longtemps déjà. « Culturellement, on est beaucoup plus sensibles aux signaux d’engelure [ou d’hypothermie]. On s’est tous déjà gelé le bout d’un doigt, on connaît bien les conséquences du froid sur notre corps. Bien souvent, en période de grand froid, c’est la machinerie qui force les arrêts. »

Autre différence importante : les mesures pour protéger les travailleurs du froid ont bénéficié des avancées technologiques. Ainsi, les vêtements techniques et l’habillage par couches, les systèmes de chauffage d’appoint, les protections amovibles isolantes sont efficaces contre un mercure à la baisse. Mais il n’y a pas d’équivalent pour contrer les coups de chaleur.

L’affaire de tous

Dans le cadre de sa campagne « Crever de chaleur, pas question ! » la FTQ rappelle que chaque année des travailleurs décèdent des suites d’un coup de chaleur. Selon les chiffres de la CNESST, il y a eu 17 accidents de travail liés à la chaleur en 2022. Un sommet de 51 accidents de travail a été atteint en 2020, un été marqué par de longues canicules où plusieurs records de chaleur ont été fracassés. Toujours selon la CNESST, depuis 2002, l’organisation a enregistré 7 décès et plus de 500 lésions professionnelles attribuables au travail à la chaleur. Les personnes les plus touchées sont les hommes âgés de 20 à 54 ans, qui cumulent 78 % des lésions totales et l’ensemble des décès consignés.

« En période de canicule, la Santé publique s’adresse souvent aux personnes âgées, mais il n’y a pas de sensibilisation à grande échelle qui est faite à l’égard des travailleurs pour mieux les protéger [lors de pics de chaleur] », se désole Annie Landry.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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