Rentrée théâtrale à Québec: théâtres sous influence

Michel Nadeau, directeur du théâtre La Bordée
Charles-Frédérick Ouellet Le Devoir Michel Nadeau, directeur du théâtre La Bordée

Le théâtre a souvent été le lieu de créations qui ont essaimé par la suite vers d’autres arts. Incendies de Wajdi Mouawad, Bashir Lazhar d’Evelyne de la Chenelière et Tom à la ferme de Michel Marc Bouchard, qui ont pris la direction du grand écran sous les soins de Denis Villeneuve, de Philippe Falardeau et de Xavier Dolan, en constituent quelques exemples.

L’automne à Québec semble pour sa part alimenter un mouvement inverse : de nombreuses oeuvres artistiques viennent y nourrir la création théâtrale. Qu’il s’agisse du cinéma ou du roman, de l’essai ou de la musique, ce sont les autres arts qui inspirent ici de nombreuses mises en scène.

Ce mouvement est particulièrement visible du côté de La Bordée, qui adaptera en ouverture de saison Pour la suite du monde. L’incontournable création documentaire de Pierre Perrault sur la chasse au marsouin et les habitants de l’île aux Coudres, confiée pour le coup aux soins de la compagnie La Trâlée (Rashomon), proposera une première version théâtrale de cet épisode notoire du cinéma direct.

En novembre, Michel Nadeau proposera également une seconde transposition pour la scène : celle du roman à succès Là où je me terre, de Caroline Dawson. Sur un texte du directeur artistique de La Bordée, c’est Guillaume Pepin (Le projet HLA) qui se voit confier le soin d’imaginer une forme scénique à ce récit de migration d’une jeune Chilienne, forcée à l’exil avec sa famille aux heures du régime Pinochet et confrontée au défi de trouver sa place dans la société québécoise.

Nourrir la scène

Pareille transposition pour la scène sera aussi visible au Trident. Après Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres, où le Claude Lemieux deMichel Tremblay ouvre la saison dans une mise en scène de Maxime Robin (Les contes à passer le temps), le directeur artistique Olivier Arteau fait le choix audacieux de confier son plateau à l’équipe du Bureau de l’APA (Le show sur l’effondrement qui n’aura pas lieu). Roulant sa bosse hors des circuits, celle-ci multiplie depuis de nombreuses années exploration hybride et projets atypiques. L’inspiration, ici, trouvera son appui du côté de l’essai. Pompières et pyromanes, interprété également en langue des signes québécoise, proposera une adaptation du livre éponyme de Martine Delvaux sur l’avenir qu’il nous reste à bâtir à l’heure des grandes catastrophes.

Intrigante appropriation, finalement, que celle qui ouvrira la saison du côté de Premier Acte. Le slammeur et homme à tout faire Dominique Sacy, sur une mise en scène d’Émile Beauchemin (H+), pilote la comédie musicale La république hip-hop du Bas-Canada, libre transposition sur les planches de l’univers d’Alaclair Ensemble. Dans un avenir où l’un des membres du groupe, Robert Nelson, aura déclaré la République sur le territoire québécois, deux personnages, à travers des dialogues livrés façon rap battle, chercheront à tracer les contours d’une révolution qui se fait toujours attendre.

Le théâtre, bien sûr, qui ne vit pas en autarcie, s’est toujours inspiré de la culture qui l’entoure. Et la peinture sera également à compter parmi ces objets culturels qui façonnent la création théâtrale avec l’arrivée au Diamant du Projet Riopelle. À travers une vaste programmation toujours ouverte sur le cirque et les arts de la scène, et après une reprise des Dix commandements de Dorothy Dix (Denis Marleau), l’automne sera l’occasion de découvrir à Québec ce spectacle de quatre heures autour de la figure emblématique qui a déposé ses pinceaux à L’Isle-aux-Grues ; le spectacle d’Ex Machina et Robert Lepage se pose tout un mois au théâtre de la place D’Youville.

L’angle féminin

Des voix de femmes pourraient par ailleurs offrir une résonance aux thèmes féministes, dans des spectacles aux distributions largement féminines. C’est le cas d’Avant l’heure mauve, qui ouvre la saison au Périscope. Sur fond de ranch et de désert, la jeune romancière Maude Bégin-Robitaille, sur une mise en scène de Marie-Hélène Lalande, se réapproprie les codes du western. La pièce présentera des voix et une colère proprement féminines, autour de l’impératif de la maternité notamment, à la faveur d’une partition pour six comédiennes.

Des thèmes similaires pourraient transparaître dans La délivrance, à Premier Acte, fin novembre. La pièce de Rosalie Cournoyer met en scène la crise du verglas et une famille dans le triangle noir de la catastrophe, au moment d’une naissance à venir. La dramaturge, qui a signé en peu de temps deux textes d’une grande sensibilité — Fièvre (meilleur texte aux Prix de la critique) et L’oeil (lequel sera justement repris pendant la création de La délivrance, de l’autre côté de l’avenue De Salaberry cependant, au Périscope) —, tirera prétexte de la tempête pour forcer le contact, puis les frictions au sein de ce noyau familial traversé de femmes fortes.

La famille

La famille, finalement, pourra bien constituer un autre thème récurrent. Elle sera visible dans des spectacles comme Merci d’être venus et Madra, au Périscope. Le premier, sur un texte et une interprétation de Gabriel Morin, abordera, dans la salle intime du studio Marc-Doré, le sujet de la santé mentale, autour du suicide d’un frère, à travers une tentative d’occuper les vides laissés derrière. Le second, sur un texte de l’Écossaise Frances Poet, fera voyager chez nous le récit de jeunes parents qui, après un incident survenu dans un café avec leur fils de trois ans, commencent à interroger leur entourage dans un inquiétant climat de méfiance et de peur.



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