La poésie d’ici en cinq recueils

Une sélection de Hugues Corriveau
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Une sélection de Hugues Corriveau

À jamais 

Jacques Brault

Un des événements majeurs de la nouvelle saison sera la publication posthume du À jamais (avec 11 dessins de l’auteur) de Jacques Brault. Plus de 50 ans de travail, tant d’années de textes remarquables, distingués par de nombreux prix, dont trois du Gouverneur général. Cette fois, on nous propose un opuscule, qu’on annonce tout en finesse, qui rendrait hommage à des proches ou des auteurs disparus, comme à des formes anciennes. Sous le signe de la survivance, voici l’inattendu par l’au-delà, le grand silence définitif, « car l’éternité n’est aussi qu’un mot un peu long ». Dans la préface, Emmanuelle Brault et Paul Bélanger précisent qu’il s’agit d’un « écho du premier souffle D’amour et de mort dédié à Madeleine, 65 années auparavant, en 1957 ». Ils y voient la preuve qu’on est en présence d’une ouverture vers « l’accomplissement ».L’auteur d’Il n’y a plus de chemin nous dessinera pourtant celui de la parole.

Le Noroît, 10 octobre

 

 

Si affinités

François Hébert

Feu François Hébert, ancien professeur de littérature à l’UdeM et directeur de Liberté, venait de publier son roman Frank va parler (Leméac, 2023) et n’aura pas pu assister à la parution de Si affinités, dont la postface est signée Nathalie Watteyne. Toujours éclectique, il y divague entre Kanye West et James Joyce, un stationnement de McDo et la caverne de Platon. Porté par la légèreté et l’élégance d’un désespoir heureux, le voici convié en poésie. « Il a toujours mieux à faire que de la poésie, écrit [François Hébert] : la guerre, les enfants, les courses… Mais pour mieux voir, il n’y a que les mots. » Cette impertinence, il l’a toujours signée, avec ce petit rien d’insolence que les philosophes de la vie ordinaire savent si bien pointer. En 2008, il proposait avec Nathalie Watteyne l’essai collectif Précarité de Brault (Nota Bene) ; 2023 aura signé sa propre précarité.

L’Hexagone, 27 septembre
 
 

L’amour comme autant de fractures

Nathalie Nadeau

Fouiller l’amour de sept couples célèbres, ce projet peut sembler ambitieux en un seul recueil. Il faudra voir comment Nathalie Nadeau, dans L’amour comme autant de fractures, réussira à aborder celles entre Marianne Ihlen et Leonard Cohen, Dora Maar et Picasso, Pauline Julien et Gérald Godin, etc. Époques différentes, préoccupations diverses convoquent les difficultés que ces gens ont rencontrées. L’autrice nous prévient qu’elle ne veut pas rester fidèle aux contingences biographiques, mais qu’elle prend des libertés « impressionnistes » à l’égard de ses choix. On nous offre cet exemple de la relation Ihlen-Cohen : « Là sans savoir pourquoi, j’ai envie d’avoir peur avec toi, Marianne. De nous laisser tomber plus loin dans le vide. […] Nous sommes assez poètes pour y croire. Assez rêveurs pour s’y endormir. »

Hamac, 12 septembre

Chose sensible suprasensible

Mélanie Landreville 

« Ton frère s’est tué », dit la mère au téléphone. Est-ce assez pour que l’âme faillisse, que le désarroi commence ? Dans Chose sensible suprasensible, « ce qui est enfoui risque d’exploser vif ». Mélanie Landreville va alors creuser l’âme humaine, une de ces âmes qui trouvaient déjà de monde couvert de violence par une force patriarcale alourdie. La mort surajoute à ce délitement moral. Le lien entre celle qui vit et le suicidé, la soeur et le frère, se réfugie dans leur nom commun. Or, « ce n’est rien un patronyme / une détresse au milieu du visage / une dépouille / un carnage / un mensonge », car ce partage-là cache surtout ce qui est appelé « la tyrannie du père ».

Les Herbes rouges, 3 octobre

 

Le marché aux fleurs coupées

Sarah-Louise Pelletier-Morin

Il y a un risque à vouloir s’attaquer à la figure de la fleur, afin, peut-être, d’en épuiser les occurrences. Il faudra voir, car ce recueil se tiendrait du côté d’une tendresse hors norme. Le marché aux fleurs coupées ne s’attarderait donc pas à la mutilation de la vivante tige végétale, mais plutôt à l’aspect symbolique de la fleur épanouie. Le plus séduisant dans cette proposition, à première vue décalée, est la volonté de la poète de « déconstrui[re] la métaphore traditionnelle qui associe fleur et femme ». Elle s’est adjurée un devoir précis : « Invente ce qu’il te faut pour vivre. » Avouons que dans ces temps de déréliction, il n’est pas courant de se réfugier du côté de la beauté. Espérons que ce premier recueil de Sarah-Louise Pelletier-Morin ouvre à la découverte d’une nouvelle voix importante.

La Peuplade, 8 novembre



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