Libérez l’art!

Rien ne va plus pour le milieu culturel. Au terme d’une réunion de deux jours avec des représentants du ministère de la Culture et des Communications, les exploitants de salles de spectacle et de cinéma ne sont pas mieux renseignés sur la date éventuelle de la reprise, et encore moins sur le bien-fondé des fermetures de salles comme mesure de santé publique appropriée pour ralentir la propagation du variant Omicron.

On le sait, la gestion d’une pandémie n’est pas une science exacte. Le gouvernement Legault fait de son mieux pour protéger la santé de la population et éviter l’implosion d’un système de santé bancal. Ces efforts se font au prix de certaines incohérences, parmi lesquelles figure le traitement réservé au milieu de la culture. Celui-ci fait partie des laissés-pour-compte depuis le début de la pandémie.

Il y a lieu de se demander à quoi a servi cette rencontre de deux jours si les représentants du ministère avaient si peu à offrir. Ils n’étaient pas en mesure de s’avancer sur une date de reprise, alors que l’Ontario l’a déjà fait. Chez le voisin immédiat, dont la situation épidémiologique se compare à la nôtre, les salles de spectacle et de cinéma rouvriront à la moitié de leur capacité à compter du 31 janvier prochain. Les représentants du ministère n’étaient pas plus capables d’expliquer en quoi la fermeture des salles a permis de contenir la propagation du virus. L’absence de délégués de la Santé publique à la rencontre jure dans le décor et nourrit l’impression que le gouvernement Legault manque de sensibilité à l’égard du secteur culturel. Il n’y a pas que le sport et l’activité physique pour se remonter le moral. Le contact avec les arts vivants et avec la culture québécoise nourrit l’âme ; il est source d’inspiration, d’enrichissement intellectuel, de bonheur et de fierté nationale.

Il n’est pas étonnant que le milieu culturel demande, à l’unanimité, un peu plus de prévisibilité. Ils en ont assez de « jouer au yoyo », comme le dit l’exploitant de salles de cinéma Vincent Guzzo. « On a l’impression que ce n’est pas une affaire de santé publique, qu’on a juste fermé les salles pour envoyer un message à la population », observe le président de la Guilde des musiciens, Luc Fortin.

Le contrat social entre le gouvernement Legault et les Québécois est fragilisé, comme en témoigne la baisse des appuis à la Coalition avenir Québec (CAQ) dans les récents sondages. Selon le dernier coup de sonde de Léger, le taux de satisfaction à l’égard du gouvernement Legault est passé de 65 % à 60 %. La vaccination devait être notre passeport pour la liberté, et les citoyens ont répondu massivement à cet appel à la responsabilité sociale. Le taux de couverture vaccinal du Québec est parmi les plus enviables dans les pays industrialisés, mais nous ne sommes pas plus libres qu’il y a un an. Le passeport vaccinal, imposé contre la volonté de certains exploitants, devait permettre de garder les salles ouvertes, mais elles ont été fermées précipitamment le 20 décembre dernier, onze jours avant les restaurants.

Ces mesures draconiennes ont peu à voir avec la dangerosité du variant Omicron. Elles découlent plutôt des capacités hospitalières déplorables du Québec, un problème complexe, auquel le gouvernement semble incapable de trouver une solution après presque deux ans d’urgence sanitaire. Notre chroniqueur Michel David qualifiait, à juste titre, notre système de santé de « tacot », que le personnel exsangue tient à bout de bras d’une manière qui inspire le respect et l’admiration.

Pendant combien de temps encore laissera-t-on les salles de spectacle et de cinéma dans la pénombre ? Pendant combien de temps encore serons-nous assignés à domicile, dans notre bulle familiale ? Le premier ministre, François Legault, ne cesse d’affirmer qu’il entrevoit une lumière au bout du tunnel. C’est peut-être le train du délitement et du décrochage à l’égard des mesures sanitaires qui va frapper son gouvernement de plein fouet si les restrictions restent trop longtemps en place.

Le secteur des arts vivants demande des éclaircissements, une séquence de réouverture des salles, un plan d’accompagnement et un soutien financier de deux à cinq ans au terme de la pandémie. Ce sont là des demandes auxquelles devra répondre la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, dans un avenir très rapproché. À la reprise, le milieu des arts vivants aura besoin de constance et de prévisibilité pour rebâtir la programmation et les relations avec le public.

Le destin des artistes et des exploitants de salles ne peut dépendre éternellement de la capacité hospitalière du Québec. Il en va de même pour les libertés civiles.

 

Le temps est venu de « réellement apprendre à vivre avec le virus », comme le suggère la cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade. Sa proposition de créer « une escouade du déconfinement » pour coordonner non seulement la réouverture, mais le maintien des activités dans tous les secteurs mérite d’être étudiée. De la prévisibilité ? Nous en avons tous besoin, et vite !

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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