Les vignerons du Québec face aux aléas du climat

Les pluies de cette année ont donné du fil à retordre à Daniel Lalande et à son équipe du Vignoble Rivière du Chêne, à Saint-Eustache.
Jacques Nadeau Le Devoir Les pluies de cette année ont donné du fil à retordre à Daniel Lalande et à son équipe du Vignoble Rivière du Chêne, à Saint-Eustache.

Les vignerons québécois doivent faire de plus en plus preuve de créativité et d’entêtement face aux aléas climatiques. Ils croient toutefois en un avenir radieux pour la viticulture dans la province, un secteur en pleine croissance.

Dans son modeste vignoble de Montérégie, Nicolas Baron détache un raisin blanc d’une grappe bien fournie, puis le porte à sa bouche. « Wow ! Je m’attendais à plus acide. À ce temps-ci, le taux de sucre du riesling me surprend, étant donné l’été qu’on a eu », s’exclame le vigneron du Domaine du Cap, à Acton Vale, à environ deux semaines des vendanges.

Cette journée de septembre, pluvieuse, mais ponctuée d’éclaircies, est à l’image des derniers mois : en dents de scie. La saison de croissance des vignes de M. Baron et de nombreux autres viticulteurs a été marquée par des événements météorologiques néfastes.

Le premier fut un gel tardif à la mi-mai. Chercheurs et vignerons constatent que, paradoxalement, les changements climatiques augmentent les dommages causés par les gels. Le problème réside souvent dans l’instabilité climatique (chaleurs précoces, gels tardifs au printemps, gels hâtifs à l’automne, etc.), explique par visioconférence Karine Pedneault, professeure en biochimie et métabolomique des plantes à l’Université du Québec en Outaouais.

« S’il fait 25 degrés en mars, la plante se dit que c’est le printemps. Elle se prépare à pousser et elle perd son acclimatation au froid. Sauf que, si ça retombe sous zéro, elle n’apprécie pas du tout », rapporte la chercheuse, qui se spécialise en viticulture et changements climatiques.

Si les bourgeons gèlent alors qu’ils étaient en train de débourrer, c’est-à-dire de s’ouvrir, les pertes peuvent être importantes. « Si le bourgeon primaire meurt, un bourgeon secondaire peut prendre le relais », indique pour sa part Nicolas Baron. « Mais il ne donnera pas autant de fruits que le premier. Il va aussi sortir en retard, ce qui fait que la saison pourrait ne plus être assez longue pour que les fruits arrivent à maturité. »

Feux, vent, vapeur et serre

 

Depuis qu’il a lancé son projet de vignoble en 2017 avec sa conjointe, M. Baron a vécu des gels printaniers problématiques presque tous les ans. À chaque épisode, il a réchauffé ses vignes avec des méthodes utilisées par un grand nombre de vignerons : allumer des feux un peu partout sur son terrain et faire fonctionner une tour à vent, une espèce de gros ventilateur qui envoie vers le sol l’air plus chaud qui se trouve en hauteur. Il a même activé des machines à vapeur, c’est-à-dire qu’il a fait bouillir de l’eau dans des brûleurs à maïs au propane. Mais ces moyens n’ont jamais été suffisants. En 2021, il a perdu la quasi-totalité de sa récolte.

Cette année, il a décidé d’innover pour éviter qu’une catastrophe se reproduise. Il a posé temporairement d’immenses toiles blanches semi-transparentes récupérées sur des piquets au-dessus d’une partie de ses vignes, simulant ainsi une serre. Lors des nuits les plus critiques, il a ajouté du chauffage dans cette tente de fortune. Ce système, qui sera peaufiné pour la prochaine saison, a donné les effets escomptés. Alors que la température plongeait sous zéro à l’extérieur, celle dans l’abri était maintenue au-dessus de cinq degrés, soutient le vigneron.

« Là-bas, il y a des manques. Des bourgeons ont dû geler », commente le vigneron en désignant un rang de pinot noir aux fruits épars. « Mais ici, il y a du raisin en tabarouette. C’est le résultat de la protection qu’on a faite. »

M. Baron croit avoir sauvé au moins 75 % de sa récolte. Il estime même que son prototype pourrait protéger les plants de la pluie. Car les pluies torrentielles sont une autre plaie — dont on s’attend à ce qu’elle soit de plus en plus courante — à s’être abattue sur les agriculteurs cet été.

Gare aux pluies torrentielles

 

Les précipitations cette année ont justement donné du fil à retordre à Daniel Lalande et à son équipe du Vignoble Rivière du Chêne, à Saint-Eustache. « Ça a demandé plus de travail et des réactions rapides pour dégager le feuillage et réduire les symptômes de maladies. Si tu le laisses autour de la grappe, tu peux favoriser un milieu humide. Si tu le relèves, ça permet de mieux s’assécher après une pluie », dit-il, attablé au bistro installé au deuxième étage du bâtiment principal de son vignoble. De là, il a une vue plongeante sur ses vignes verdoyantes et fournies, réparties sur 16,5 hectares, résultats d’efforts soutenus.

Ça a demandé plus de travail et des réactions rapides pour dégager le feuillage et réduire les symptômes de maladies. Si tu le laisses autour de la grappe, tu peux favoriser un milieu humide. Si tu le relèves, ça permet de mieux s’assécher après une pluie.

Il a aussi fallu trouver un remplacement aux traitements habituels contre les maladies : les produits étaient délavés par la pluie, « comme une crème solaire quand tu te baignes longtemps ».

Pour lui aussi, le froid glacial de la mi-mai a été tout un combat. Il a même fait appel à un hélicoptère pour faire descendre l’air chaud jusqu’aux vignes. « On était sur le gros nerf », témoigne-t-il, évoquant avec émotion le gel désastreux qu’il a vécu il y a dix ans. Par ailleurs, M. Lalande n’ose même pas prononcer le mot « grêle », de peur d’attirer ce fléau dont il a jusqu’ici été épargné.

Mais le vigneron voit aussi un peu de positif, pour son vignoble, dans les changements climatiques : il constate que la saison de croissance de ses plantes est plus longue qu’elle l’était il y a 25 ans, quand il a fondé son entreprise.

Des effets positifs ?

Pionnier de la viticulture, Charles-Henri de Coussergues, copropriétaire du Vignoble de l’Orpailleur, dans les Cantons-de-l’Est, est tout aussi optimiste. « La saison végétative, entre le dernier gel de printemps et le premier gel d’automne, était en moyenne de 135 jours quand on a commencé en 1982. Aujourd’hui, on a 185 jours en moyenne », observe-t-il. Il constate aussi que les journées sont en moyenne plus chaudes. Ses raisins atteignent donc davantage de maturité, précise celui qui vient de commencer sa récolte.

Le vigneron ne ferme pas les yeux sur les difficultés issues des perturbations climatiques, comme la température en yo-yo et la réduction du couvert de neige qui isole les vignes en hiver, mais il croit que la viticulture québécoise sort gagnante de ces changements. « On se permet d’essayer de planter de nouveaux cépages qui ne pouvaient pas pousser ici avant », dit M. De Coussergues.

Le milieu est d’ailleurs sur une lancée, si l’on se fie au Conseil des vins du Québec. Le nombre de producteurs viticoles est passé de 85 en 2010 à 165 en 2022. En fonction des tendances actuelles, l’organisme prévoit que le nombre de bouteilles produites doublera d’ici 2030.

Mais les chercheuses consultées par Le Devoir ne sont pas convaincues des possibles bénéfices des changements climatiques pour les vignobles d’ici. « L’instabilité est toujours un ennemi en agriculture », souligne Karine Pedneault, d’autant que de nouveaux ravageurs sont appelés à apparaître au Québec. Et un surplus de chaleur peut donner un goût indésirable à certains cépages, ajoute-t-elle.

Selon Caroline Provost, directrice du Centre de recherche agroalimentaire de Mirabel, c’est en grande partie les recherches sur les manières de protéger les vignes de l’hiver qui permettent la culture de certains cépages populaires, mais plus sensibles au froid. « On a développé les toiles géotextiles, les meilleures manières de les installer et de tailler la vigne en dessous », indique la chercheuse.

Les connaissances et le savoir-faire sur la culture de la vigne au Québec s’améliorent. Les viticulteurs sont de mieux en mieux outillés pour choisir les plantes les mieux adaptées à leur terroir et aux phénomènes climatiques extrêmes. Des solutions technologiques et biologiques existent pour aider les vignerons d’ici à proposer des vins de qualité. Reste à savoir s’ils atteindront en grand nombre les tablettes de la SAQ et le coeur des Québécois.

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