La télé traditionnelle résiste mieux que prévu

Normand D’Amour et Suzanne Clément dans une scène tirée de la quotidienne Stat, diffusée sur les ondes d’ICI Radio-Canada.
Eric Myre Normand D’Amour et Suzanne Clément dans une scène tirée de la quotidienne Stat, diffusée sur les ondes d’ICI Radio-Canada.

On entend souvent dire que les jeunes ont complètement délaissé la télévision traditionnelle pour migrer vers les plateformes. Mais de nouvelles données contredisent cette perception, au Québec du moins. Les francophones âgés de 18 à 34 ans passeraient en réalité encore beaucoup de temps devant le bon vieux téléviseur. Les téléréalités, ainsi que les quotidiennes que sont Stat et Indéfendable, y sont pour beaucoup. Le sport également.

« Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de défis, que l’industrie de la télévision n’a rien à craindre des plateformes. Évidemment, il y a eu une baisse d’audience dans les dernières années en télévision. Mais l’érosion des revenus publicitaires en télévision a été beaucoup plus importante que l’érosion du nombre de téléspectateurs », souligne Catherine Malo, vice-présidente au développement des affaires et au marketing chez Numeris.

Numeris, la firme qui compile les cotes d’écoute au Canada, s’est intéressée ce printemps aux appareils que les jeunes adultes utilisent pour visionner des contenus vidéos. Les résultats, dévoilés la semaine dernière, indiquent que l’écoute de la télévision traditionnelle tient le coup chez les Québécois francophones qui ont entre 18 et 34 ans.

La télévision linéaire — qui comprend l’écoute de la télé en direct et les enregistrements visionnés dans la semaine qui suit la diffusion — accapare 55 % du temps que les jeunes Québécois francophones consacrent aux contenus vidéos de manière hebdomadaire. Les contenus sur demande regardés sur une télévision intelligente représentent 19 % de l’écoute. Ceux qui sont visionnés sur un téléphone portable comptent pour 13 %. La tablette et l’ordinateur portable récoltent des miettes dans ce portrait d’ensemble.

Plateformes exclues des données

 

À noter que ces données printanières n’incluaient pas les vidéos regardées sur Facebook Watch et Instagram Reels. Elles prennent en compte des vidéos regardées sur YouTube, mais seulement à la maison. C’est ce qui explique peut-être pourquoi le téléphone portable n’occupe que la troisième position. N’en demeure pas moins que l’on peut conclure à partir de ces chiffres que la télévision linéaire réussit toujours à tirer son épingle du jeu dans le contexte actuel.

« On a tendance à penser que tout le monde regarde Netflix sur sa télévision intelligente. Mais ce n’est pas parce qu’on le fait — nous, les gens dans l’industrie des médias — que tout le monde le fait. Oui, plus de 50 % des Québécois sont abonnés à Netflix. Mais ce n’est pas parce que les gens sont abonnés qu’ils passent leur soirée là-dessus », avance Catherine Malo, qui note un certain décalage entre le milieu des médias et le reste de la population.

On a tendance à penser que tout le monde regarde Netflix sur sa télévision intelligente. Mais ce n’est pas parce qu’on le fait — nous, les gens dans l’industrie des médias — que tout le monde le fait. Oui, plus de 50 % des Québécois sont abonnés à Netflix. Mais ce n’est pas parce que les gens sont abonnés qu’ils passent leur soirée là-dessus.

Cette ancienne gestionnaire chez Québecor est aussi d’avis qu’il existe un fossé entre le Québécois moyen et les annonceurs, qui ont largement désinvesti la télévision traditionnelle pour le numérique dans les dernières années. « Aujourd’hui, dans les agences de pub, il y a beaucoup de jeunes qui travaillent là. Mais leurs comportements télévisuels ne correspondent pas nécessairement à ceux de tous les jeunes de leur génération », illustre Mme Malo.

L’exception québécoise

En Ontario, la télévision linéaire réalise également de meilleures performances que prévu dans le groupe d’âge des 18 à 34 ans. Ce support correspond à près de 42 % du temps qu’ils consacrent par semaine à l’écoute de contenus audiovisuels. Il s’agit toutefois d’une différence notable de 13 points de pourcentage par rapport aux Québécois francophones de leur tranche d’âge.

Pour comprendre pourquoi la télévision linéaire tient mieux le coup ici qu’en Ontario, il faut regarder à quelle heure les Québécois francophones sont devant leur téléviseur. Dans les données de Numeris, on peut observer un très net pic de l’affluence aux alentours de 19 h, l’heure de diffusion de Stat à Radio-Canada et d’Indéfendable à TVA. Au moment où ces données ont été recueillies, Noovo diffusait à 18 h 30 la quotidienne de la téléréalité Big Brother Célébrités, un concept qui cartonne chez les moins de 35 ans.

Bref, les chiffres de Numeris confirment donc ce que les diffuseurs remarquent depuis District 31, à savoir que le créneau le plus prisé de la télévision traditionnelle se situe maintenant peu après l’heure du souper, et non plus entre 20 h et 22 h, comme avant. Une réalité très québécoise, puisque du côté ontarien, on ne dénote pas un soubresaut dans l’écoute de la télévision linéaire aussi marqué en début de soirée.

« Ce n’est pas surprenant. Le Québec a toujours eu sa propre réalité télévisuelle. On a notre propre star-système et les gens y sont attachés, y compris les jeunes. Ils ne savent peut-être pas qui est Véronique Cloutier, mais ils ont leurs propres vedettes québécoises. Les youtubeurs et les influenceurs qu’ils suivent sont souvent aussi québécois », fait remarquer Catherine Malo de chez Numeris.

Ce n’est pas surprenant. Le Québec a toujours eu sa propre réalité télévisuelle. On a notre propre starsystème et les gens y sont attachés, y compris les jeunes. Ils ne savent peut-être pas qui est Véronique Cloutier, mais ils ont leurs propres vedettes québécoises.

Données en temps réel

Les résultats publiés la semaine dernière par Numeris reposent sur deux panels distincts composés chacun d’environ 5000 personnes de 2 ans et plus au Québec et en Ontario : l’un pour la télévision, l’autre pour l’écoute numérique. Les données ont été fusionnées, puis modulées pour les 18-34 ans. Il ne s’agit pas ici d’un sondage. Les panélistes n’ont rien à déclarer ; un audimètre se charge de fournir en temps réel à Numéris leurs habitudes d’écoute.

Si les panélistes avaient eu à répondre à un coup de sonde, les résultats auraient sans doute été très différents, soutient Catherine Malo : « Entre ce que les gens pensent qu’ils écoutent et ce qu’ils écoutent réellement, il y a souvent une différence. Et ce qu’on voit dans ces chiffres, c’est qu’on écoute plus souvent la télévision linéaire qu’on le croit. La télévision souffre d’une perception qui, elle, est en déclin. Mais la réalité, c’est qu’elle reste très performante. »

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