Invitation au regard

Portrait de Mariane Nolin présenté dans l'esposition «Dans la chambre de l'esprit» de Julien Cadena.
Julien Cadena Portrait de Mariane Nolin présenté dans l'esposition «Dans la chambre de l'esprit» de Julien Cadena.

Dans le dictionnaire, un « trouble » est défini comme « la perturbation d’un accomplissement physique ou psychique ».

Dans le cas du trouble psychique, les traces, sur les visages et sur les corps, sont difficiles à cerner.

Les personnes que le photographe Julien Cadena, collaborateur au Devoir, a captées, dans le cadre de son exposition Dans la chambre de l’esprit, à la Maison de la culture Mercier, ont souvent proposé elles-mêmes une façon d’incarner ce trouble. Une femme montre sa main bandée, pour évoquer les blessures de son âme et les combats qu’elle a dû mener pour les surmonter. Une autre a appliqué la trace d’une main rouge de peinture sur son visage.

« Elle disait qu’elle avait été brimée dans son droit de parole dans sa communauté. On l’a empêchée de s’exprimer. Elle a voulu faire passer ce message-là en photo », dit le photographe en entrevue.

L’exposition Dans la chambre de l’esprit a été réalisée dans le cadre d’un projet de médiation culturelle. Durant deux ans, le photographe Julien Cadena a visité des centres de ressources pour personnes souffrant de troubles de santé mentale.

L’idée de ce projet lui est venue durant la pandémie de COVID-19, alors qu’il se demandait comment des gens plus seuls, plus démunis que lui, traversaient cette épreuve. Et c’est grâce au RACOR, organisme venant en aide aux personnes souffrant de troubles de santé mentale, que Julien Cadena a pu rencontrer les personnes qu’il a photographiées.

« Au début, je suis allé à la rencontre de ces personnes sans caméra, sans appareil photo, vraiment pour qu’elles me rencontrent pour qu’on discute, pour qu’on parle du projet, dit-il. Il y en a beaucoup qui étaient réticents à se faire photographier et qu’on parle d’eux. Mais au fur et à mesure du processus, il y en a qui ont sauté dedans parce qu’ils trouvaient ça intéressant. »

Le projet de Julien Cadena visait au départ une « déstigmatisation » des troubles de santé mentale et une « mise en lumière » de la réalité de ceux qui les vivent. En tout, c’est une cinquantaine de photos d’une trentaine de personnes, accompagnées de courts textes, qui sont présentées à la Maison de la culture Mercier.

Certaines personnes photographiées ont écrit des poèmes pour évoquer leur expérience. « J’ai hurlé un bruit nommé déni. Me suis réfugiée au fin fond d’une sombre pièce nommée oubli », écrit Mariane Nolin.

Les photos sont souvent reliées à des anecdotes que les modèles ont racontées au photographe. Ici, un homme se fait photographier à travers un éclat de miroir. La photo évoque un déguisement fait à partir de miroirs qu’il a conçu. Un autre a tenu à se faire photographier avec sa mère, qui prend soin de lui. Dans ses mains, il tient un cadre évoquant son enfance.

« Il y a des gens que j’ai pris en photo plusieurs fois parce qu’ils avaient tellement de choses à exprimer. Ils étaient tellement intéressés par le fait d’être mis en lumière. D’autres étaient plus introvertis, réservés, et pas forcément pour le fait d’être exposés devant le public. Donc, il y en a qui ont voulu être nommés de façon anonyme », poursuit Julien Cadena.

Certaines photos vont se concentrer sur la main d’une personne, ou en montrer une autre se prenant la tête, cachant son visage. Bien sûr, ces personnes souffrent d’anxiété, de dépression, de troubles maniacodépressifs ou de schizophrénie. Mais au fil des rencontres, Julien Cadena a constaté que plusieurs d’entre eux ne s’attardent pas au diagnostic.

« Grâce à la photographie, on est capable aujourd’hui de capturer l’essence même des émotions, et c’est ça que j’ai voulu aller chercher : les émotions, mais aussi les expériences vécues par ces personnes, qui selon moi pourront toucher les spectateurs », dit-il.

Certains portraits sont souriants, d’autres soucieux.

« Je n’ai pas voulu non plus faire des portraits négatifs, caricaturaux, de la santé mentale. Je leur ai demandé de poser de façon naturelle, qu’ils soient souriants ou tristes… J’ai mis l’importance de la représentation naturelle en premier lieu. »

Toutes ces personnes vivent chez elles et fréquentent un centre communautaire de jour. Il y a l’atelier du Centre d’apprentissage parallèle de Montréal, qui propose des ateliers d’art, le Projet P.A.L., qui suggère des options d’hébergement, de l’accompagnement individuel et collectif, le Centrami, qui offre tous les jours des activités d’échange, d’entraide, et d’ouverture.

« Grâce au réseau du RACOR, j’ai réussi à approcher beaucoup plus de monde que ce que moi, seul, j’aurais pu faire », dit Julien Cadena.

Dans la chambre de l’esprit

Julien Cadena, à Maison de la culture Mercier, jusqu’au 29 octobre

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