«Pauvres créatures» de Yorgos Lanthimos remporte le Lion d’or à Venise

Le cinéaste grec Yorgos Lanthimos avec le Lion d'or qu’il a remporté à la Mostra de Venise, samedi soir.
Tiziana Fabi Agence France-Presse Le cinéaste grec Yorgos Lanthimos avec le Lion d'or qu’il a remporté à la Mostra de Venise, samedi soir.

Emma Stone explose les carcans hollywoodiens de la pudeur dans Pauvres créatures, un Frankenstein au féminin qui a remporté le Lion d’or samedi à Venise.

Dans le film, la star hollywoodienne de La-la-land incarne Bella, une chimère au corps de femme adulte mais au cerveau de bébé, fabriqué par un obscur scientifique qui se fait appeler « Dieu », Godwin Baxter (Willem Dafoe).

Baxter veille jalousement sur sa créature, qu’il entend élever à l’abri des passions amoureuses, dans sa vaste maison laboratoire de Londres.

Quand Bella s’échappe de sa cage dorée au bras d’un homme (Mark Ruffalo) pour parcourir le monde, de Lisbonne à Paris en passant par Alexandrie, elle va découvrir tout en même temps, et sans aucuns préjugés, le plaisir, le sexe et les sentiments.

Ses relations avec des hommes, notamment dans un bordel parisien — l’occasion d’apparition d’acteurs français comme Damien Bonnard — sont autant de façons d’apporter des touches humoristiques, ou de pointer les rapports de domination.

Le film de 2 h 35, en grande partie en noir et blanc, et qui doit sortir le 17 janvier 2024 dans les salles françaises, est signé d’un Yorgos Lanthimos plus baroque que jamais.

Emma Stone est de tous les plans. Son personnage a « un esprit qui peut se lancer librement, sans honte ni préjugés, sans expérience du monde », a souligné le réalisateur grec à Venise.

Cet univers fictionnel et gothique, aux allures rétrofuturistes, est en fait « extrêmement contemporain, (et permet de) parler de liberté, de la façon dont on ressent le monde, de la position des femmes dans la société, et des hommes », a-t-il ajouté.

L’éducation sexuelle de Bella Baxter est montrée sans fard : « c’était important pour moi de ne pas faire un film prude, car ça aurait été trahir le personnage principal », a souligné le réalisateur.

« Le personnage n’a pas de honte, ni Emma (Stone), sur son corps, sa nudité », a-t-il ajouté, soulignant avoir fait appel à un coordinateur d’intimité pour les scènes de sexe, un métier assez nouveau qui à l’origine « semblait un peu menaçant pour les cinéastes, mais (qui) rend les choses plus simples ».

Emma Stone, amie du réalisateur grec et aussi productrice du film, n’a pas pu faire le déplacement à Venise, en raison de la grève qui paralyse Hollywood et interdit aux acteurs de faire la promotion des films.

Prix à teneur politique

Dans une Italie dirigée par l’extrême droite, le jury présidé par Damien Chazelle (La-la-land, First Man) a également envoyé un message politique en décernant plusieurs prix à des films dénonçant le sort réservé aux migrants par l’Europe.

Grande voix du cinéma polonais, Agnieszka Holland a reçu le prix spécial du jury pour Green Border, qui montre le sort tragique de migrants originaires de Syrie, d’Afghanistan et d’Afrique, ballottés entre la Pologne et le Bélarus en 2021, prisonniers d’un jeu diplomatique qui les dépasse.

Un jeune acteur sénégalais, Seydou Sarr, a reçu le prix du meilleur espoir pour son rôle de jeune migrant qui traverse au péril de sa vie l’Afrique et la Méditerranée pour rejoindre l’Italie, dans Moi, Capitaine de Matteo Garrone, film qui remporte aussi le Lion d’argent de la meilleure réalisation.

Intelligence artificielle

Côté interprètes, la Mostra a distingué deux Américains : Cailee Spaeny, 25 ans, pour son premier grand rôle, celui de l’épouse du « King », Priscilla Presley, dans le biopic Priscilla de Sofia Coppola, et Peter Sarsgaard, qui donne la réplique à Jessica Chastain, en homme souffrant de démence, dans Memory de Michel Franco.

Contrairement à de nombreuses stars jouant dans des films de grands studios, et qui n’ont pas pu faire le déplacement à Venise en pleine grève, les deux lauréats sont montés sur scène pour recevoir leur trophée.

Peter Sarsgaard en a profité pour dire son soutien à la grève et lancer une diatribe contre l’intelligence artificielle, dont scénaristes et acteurs demandent l’encadrement.

« Si on perd cette bataille, notre industrie ne sera que la première de nombreuses autres à tomber », a-t-il prophétisé : la médecine ou la conduite de la guerre pourraient à leur tour être confiées à l’intelligence artificielle, ce qui « ouvre la voie à des atrocités ».

La Mostra a été le premier festival international frappé de plein fouet par le bras de fer historique avec les studios, même si quelques stars comme Adam Driver, Mads Mikkelsen ou Jessica Chastain sont venus, prenant soin d’apporter chacun leur soutien aux grévistes.

Les revendications syndicales n’ont pas été les seules à tenter de se faire entendre à Venise.

Les mouvements féministes ont également cherché à donner de la voix, notamment via des collages dans la ville pour dénoncer les honneurs accordés par le plus ancien festival du monde à des artistes visés par le mouvement #MeToo, qui dénonce les violences sexistes et sexuelles envers les femmes.

Luc Besson, contre lequel des accusations de viol ont été portées avant d’être définitivement écartées par la justice française cette année, était en compétition avec Dogman.

Woody Allen, mis au ban de l’industrie américaine du cinéma et qui n’est pas poursuivi par la justice, a présenté son 50e film Coup de Chance, le premier tourné en français, hors compétition.

Roman Polanski, qui fuit depuis plus de 40 ans la justice américaine après une condamnation pour des relations sexuelles avec une mineure, ne s’est pas déplacé à Venise, où son dernier film The Palace, lui aussi hors compétition, a reçu un accueil glacial.

Le directeur de la Mostra, Alberto Barbera, a justifié l’invitation de ces trois cinéastes en appelant à distinguer l’homme de l’artiste.

Palmarès de la 80e Mostra de Venise

- Lion d’or du meilleur film : Pauvres créatures du réalisateur grec Yorgos Lanthimos
- Lion d’argent — Grand Prix du Jury : Aku wa sonzai shinai (Evil does not exist) de Ryusuke Hamaguchi (Japon)
- Lion d’argent de la meilleure réalisation : Matteo Garrone pour Moi, capitaine (Italie)
- Prix de la meilleure actrice : Cailee Spaeny pour son rôle dans Priscilla de Sofia Coppola
- Prix du meilleur acteur : Peter Sarsgaard pour son rôle dans Memory de Michel Franco
- Prix du meilleur scénario : Guillermo Calderon et Larraín pour El Conde de Larraín
- Prix spécial du jury : Zielona granica (Green Border) de la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland
- Prix Marcello Mastroianni du jeune espoir : Seydou Sarr pour son rôle dans Moi, capitaine de Matteo Garrone



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