Des églises du Québec changent de main

Alors que les églises ne comptent plus assez de fidèles pour les soutenir, une nouvelle génération de jeunes et d’artistes s’intéresse à ce patrimoine bâti.
Marie-France Coallier Le Devoir Alors que les églises ne comptent plus assez de fidèles pour les soutenir, une nouvelle génération de jeunes et d’artistes s’intéresse à ce patrimoine bâti.

 « Tout s’effondre », résume Luc Noppen, au bout du fil, en parlant des églises du Québec. Ce spécialiste du patrimoine religieux du Québec assiste depuis deux ans à ce qu’il appelle un tsunami. Après avoir été tenues à bout de bras par une communauté vieillissante et raréfiée, les églises, ces géantes oubliées du Québec, sont en mauvais état.

« Actuellement, on peut dire qu’il y en a au moins 500 ou 600 qui sont au bord de la catastrophe », dit-il. Alors que les croyants et les mécènes décèdent les uns après les autres, que les curés voient eux aussi leur nombre diminuer, les 2700 églises du Québec ont besoin d’énergies nouvelles.

Or, toute une génération de jeunes, en particulier des artistes, veut y entrer. Détachés de cette culture religieuse qui a baigné ou asphyxié leurs aînés, ils cherchent à faire de ces lieux au passé chargé des espaces de culture et de cohésion communautaire, des start-up ou encore des espaces partagés de travail.

2700
C’est le nombre d’églises que compte le Québec. Au moins 500 ou 600 d’entre elles seraient au bord de la catastrophe.

« J’ai l’impression qu’avant, dans la vision provinciale du patrimoine religieux, on était trop près de notre émancipation à l’égard du clergé. Là, on est à la deuxième génération, et on est vraiment 100 % détachés. On n’est plus là-dedans. Moi, je n’allais même pas à Noël à la messe de minuit, raconte par exemple Christophe Leclerc, qui travaille à la conversion d’une église anglicane à Waterloo, avec le Bureau estrien d’audiovisuel et de multimédia (BEAM). Ça, c’est l’héritage. L’église devient un lieu de poésie, d’échange, de philosophie, de communion avec autre chose que soi-même. »

Au Conseil du patrimoine religieux du Québec, on confirme qu’une nouvelle génération de jeunes pose un regard différent sur le sujet. « Avec notre programme de requalification, il y a beaucoup de groupes, d’OBNL ou de municipalités dans lesquels les jeunes s’impliquent davantage, confirme Isabelle Lortie, du Conseil du patrimoine religieux du Québec. Il y a un petit peu plus de nouvelles réflexions venant de cette génération-là sur comment utiliser ces lieux-là. Pour eux, c’est un bâtiment qui est moins émotif ou sentimental, mais qui présente des occasions de développement. »

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Ce texte est publié via notre section Perspectives.

Dans les faits, sur les 2751 églises du Québec qui ont été inventoriés en 2003, 764 (28 %) sont « en mutation », fermées, vendues, transformées ou démolies. Là-dessus, 54 ont aujourd’hui une fonction culturelle, et 120 sont devenus des centres multifonctionnels. Soixante-quatre sont l’objet de projets à venir de type culturel ou multifonctionnel.

Une vocation publique

« Il y a beaucoup de conversions en centres culturels », reconnaît Luc Noppen, spécialiste de l’histoire de l’architecture et de la conservation architecturale au Québec, même si ça ne représente pas la majorité des projets de conversion. La plupart sont liés à des centres multifonctionnels. « J’imagine que cela répond à une certaine vocation communautaire. En tout cas, ces lieux-là ont été érigés pour accueillir des communautés. » Plusieurs sont aussi dotées d’un orgue et jouissent d’une qualité acoustique au-dessus de la moyenne.

Dans tous les cas, la vocation communautaire, fonction première de ces bâtiments, est à privilégier, selon Luc Noppen. « Quand une église est vendue à un privé, on sait qu’elle va disparaître, dit-il. Parce qu’un propriétaire privé n’a pas les moyens de garder autant de mètres cubes à chauffer, à peinturer. Alors, les prix sont bons, on pense qu’on fait une bonne affaire, mais après cinq ans, il faut réparer le clocher, alors on l’enlève, on change les fenêtres. » Certains l’ont d’ailleurs appris à leurs dépens. « Il y a des gens qui ont acheté des condos dans une église et qui n’arrivent même pas à le vendre au prix qu’ils l’ont payé, il y a 15 ans. »

Mais il faudra plus que des bras et de la bonne volonté pour sauver le patrimoine religieux du Québec. La pandémie a non seulement décimé les fidèles, mais les prix des rénovations ont atteint des sommets. Le budget global du Conseil du patrimoine religieux destiné à la réfection des églises est de 35 millions. Cela ne suffirait quasiment pas à en rénover une seule…

Juste le chauffage des lieux entraîne généralement des coûts exorbitants. « Ce sont des lieux où les gens allaient avec leurs manteaux, pour le temps de la messe, autour d’une heure, pas pour s’asseoir toute la journée pour travailler ! » dit Isabelle Lortie.

Choisir…

Dans ce contexte, c’est l’intérêt de la communauté qui détermine s’il y a lieu où non d’investir dans la relance de son église, ajoute-t-elle.

Certaines initiatives commerciales mènent par ailleurs à des projets de conversion étonnants. Après la mort du curé, à Coaticook, l’église catholique Saint-Marc a été rachetée et transformée en un minigolf intérieur qui brille dans le noir par l’entrepreneur Guillaume Poulin.

À Magog, l’église anglicane Saint-Luke vient d’être convertie en distillerie par l’auteur-compositeur-interprète Marc Dupré et son agent Francis Delage.

De façon générale, les églises anglicanes sont plus faciles à convertir, reconnaissent les experts. Celles-ci sont en général plus petites, et la communauté semble plus disposée à les laisser aller quand l’heure est venue.

Traditionnellement, l’église appartient à la paroisse, qui en est propriétaire. « Il y a beaucoup de paroisses qui n’ont pas voulu admettre la vérité, dit M. Noppen, et qui croyaient que la fréquentation allait revenir. Il y avait encore un petit peu d’argent. Puis, il y avait toujours une vieille demoiselle qui donnait un peu de sous. Maintenant que la vieille demoiselle est morte, par exemple, ou que le curé n’est plus là, le diocèse dit, de façon très réaliste : “Écoutez il faut qu’on ferme.” »

Entre-temps, on essaie généralement d’envoyer un curé, qui dessert souvent plusieurs paroisses, célébrer une messe de temps à autre. Par ailleurs, les projets de conversion peuvent maintenir certaines activités religieuses, même si le propriétaire de l’église change de main, relève M. Noppen. C’est ce que prévoit notamment le projet de conversion de l’église Notre-Dame-des-Anges-de-Stanbridge en centre culturel (voir autre texte).

Des éléphants blancs

Il reste qu’on ne ferme pas facilement ces énormes bâtiments au milieu des villages. Et les démolir est souvent encore plus coûteux que les restaurer.

« Ce sont des éléphants blancs » dans les villages, dit le musicien Pilou, qui s’est porté acquéreur de deux églises des Cantons-de-l’Est, à Saint-Adrien et à Waterloo, pour les transformer en centres créatifs, avec studio d’enregistrement, salle de spectacle et tutti quanti.

Le Bureau estrien de l’audiovisuel et du multimédia, qui loge désormais à Saint-Adrien, offre également des services de consultation pour les citoyens qui souhaiteraient investir dans une église du Québec. Il espère ainsi dupliquer un modèle gagnant.

Le jeune homme, qui vient de la région d’Asbestos, se souvient d’être passé un jour à Saint-Claude, le village de son grand-père, dans le comté de Richmond, et d’avoir constaté que l’église était démolie. « L’église n’était plus là. Je me suis dit : “Mais voyons, qu’est-ce qui s’est passé ?” »

Longtemps désertée, l’église en décrépitude était, comme bien d’autres, devenue carrément dangereuse pour les passants. « Je trouve ça d’une tristesse et d’un manque de vision pour nos communautés. Après ça, on construit des centres communautaires ultramodernes qui endettent les municipalités », ajoute le musicien. « On a jeté le bébé avec l’eau du bain. »

Une question d’identité

« Il y a une identité locale qui est reliée à l’église », poursuit Pilou. Souvent, en effet, c’est la paroisse qui donne son nom à un village, ou à un quartier.

« L’église donne une vie au village, ajoute Luc Noppen. Sur le plan urbain, l’église, ça structure. Dans les villages qui ont perdu leur église, on voit très bien que l’ancien noyau villageois se défait. Il y a un petit centre commercial qui apparaît en périphérie, puis ainsi de suite. »

Ce serait l’écrivain américain Mark Twain qui aurait désigné Montréal, en 1888, comme étant « la ville aux cent clochers » . En la visitant, l’écrivain américain aurait dit : « C’est la première fois que je suis dans une ville où on ne peut pas lancer une brique sans risquer de briser un vitrail d’église. »

En fait, Montréal compte autour de 500 églises, « dont la moitié est active », selon Luc Noppen. « Il y en a qui sont très actives parce qu’on y trouve les communautés immigrantes. Elles ont adopté des lieux qui servaient autrefois aux anglicans ou aux catholiques. Ce sont des lieux très vibrants, où il y a beaucoup d’activités, donc ça va bien. Sauf que les communautés immigrantes ne font pas de travaux, elles ne restaurent pas les églises. Quand le bâtiment est fini, ils vont l’abandonner. »

Et ces temples du passé resteront déserts jusqu’à ce que des individus, ou un groupe décident de les investir plutôt que de les côtoyer sans les voir.


Journées du patrimoine religieux

Tout le week-end, les journées du patrimoine religieux du Québec offrent l’occasion de visiter des lieux de culte dans toutes les régions du Québec, et d’en découvrir les caractéristiques artistiques, historiques et architecturales. On y propose 215 sites ou circuits à découvrir. Artistes, historiens, muséologues, conférenciers et conteurs seront mobilisés pour partager cette histoire souvent méconnue, de lieux conservés ou transformés.


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