Paris tente d’étouffer la polémique naissante sur l’aide au Maroc après le séisme

La cheffe de la diplomatie française s’est attachée lundi à tuer dans l’oeuf la polémique sur les raisons pour lesquelles le Maroc, actuellement en froid avec Paris, n’a pas saisi la proposition d’aide de la France après le séisme dévastateur survenu ce week-end.

Le gouvernement marocain a annoncé dimanche avoir accepté le soutien de quatre pays : l’Espagne, la Grande-Bretagne, le Qatar et les Émirats arabes unis.

Lundi, Rabat n’avait toujours pas sollicité d’aide française, suscitant l’étonnement alors que le président Emmanuel Macron a déclaré dimanche que la France était prête à intervenir « à la seconde » où les autorités marocaines le demanderaient.

« C’est une mauvaise querelle, une querelle tout à fait déplacée », a déclaré la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna, sur la chaîne BFMTV. « Le Maroc n’a refusé aucune aide, aucune proposition », a-t-elle ajouté, martelant que « le Maroc est souverain ».

Le pays « est seul en mesure de déterminer quels sont ses besoins et le rythme auquel il souhaite que des réponses soient apportées », a-t-elle ajouté.

Pour Pierre Vermeren, historien et professeur à l’Université de la Sorbonne, il s’agit pourtant d’un « signe politique clair » du froid entre les deux pays.

« Les Français ont l’habitude de travailler avec le Maroc », a-t-il déclaré à l’AFP, notant « la question de la langue ».

Au moins trois petites équipes de bénévoles français (pompiers, secouristes, médecins et infirmiers) sont d’ailleurs déjà parties de leur propre chef pour Marrakech, afin de participer aux secours.

Les relations entre le Maroc et la France, ancienne puissance coloniale où vit une importante diaspora marocaine, sont tendues depuis qu’Emmanuel Macron s’efforce de se rapprocher de l’Algérie qui a rompu en 2021 ses relations diplomatiques avec Rabat, accusé d « actes hostiles ».

Des restrictions dans l’octroi de visas aux Marocains, levées en décembre dernier, avaient aussi grippé la relation.

Depuis des mois, il n’y a plus d’ambassadeur du Maroc en France.

Rabat s’impatiente également car Paris ne semble pas enclin à bouger les lignes sur l’épineux dossier du Sahara occidental contrôlé à près de 80 % par le Maroc.

Le Maroc reproche à la France de ne pas s’aligner sur les États-Unis et Israël qui ont reconnu la « marocanité » du Sahara occidental, sacrée « cause nationale » par Rabat et alors que l’Espagne estime que le plan de Rabat proposant un plan d’autonomie sous sa souveraineté est « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend ».

« Reprendre langue »

Sans présager de l’aide future qui pourrait être demandée quand des dizaines de milliers de personnes auront besoin de se reloger provisoirement, Pierre Vermeren voit par conséquent « un message » signalant que le Maroc préfère pour le moment « s’entourer de monarchies amies » plutôt que de se tourner vers la France qui entretient « de bonnes relations avec les Algériens » au « détriment » du Maroc.

« On connaît la diplomatie de Mohammed VI », poursuit Pierre Vermeren. « Il aime faire passer des messages, des coups de mentons clairs pour dire quand il est fâché ».

Sans nier les tensions bilatérales, Catherine Colonna a, elle, assuré que les relations étaient loin d’être rompues. Elle a fait savoir qu’Emmanuel Macron avait échangé « à de nombreuses reprises » au cours de l’été avec le roi Mohammed VI et que les deux pays travaillaient à trouver une date sur la visite du président français au Maroc.

Elle a elle-même longuement échangé avec son homologue marocain dimanche.

 

« Tous les contacts sont pris à tous les niveaux. Mettons ça (les tensions) de côté. Des gens souffrent. Des gens ont besoin d’aide », a insisté la ministre, en annonçant par ailleurs une aide de 5 millions d’euros pour aider les ONG actuellement « sur place ».

Au-delà des questions sur l’aide, cette tragédie qui a fait près de 2500 morts et presque autant de blessés, selon un bilan provisoire, est une occasion pour Paris et Rabat de « reprendre langue », souligne Pierre Vermeren.

L’ancien premier ministre français Dominique de Villepin a souligné sur lundi sur la radio France Info qu’il était « important pour la France de mettre son drapeau dans sa poche, de mettre sa susceptibilité dans sa poche et de faire en sorte que l’aide française puisse être acheminée par tous les moyens possibles et en particulier par des canaux privés ou par un canal européen ».

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