«Palermo Palermo»: Indémodable

Le spectacle « Palermo Palermo » de la compagnie Tanztheater Wuppertal Pina Bausch
Oliver Look Le spectacle « Palermo Palermo » de la compagnie Tanztheater Wuppertal Pina Bausch

Hier soir avait lieu la première de la pièce Palermo Palermo de la compagnie Tanztheater Wuppertal Pina Bausch à la salle Wilfrid-Pelletier. Après plusieurs reports, le public montréalais était au rendez-vous puisque la troupe n’avait pas foulé les planches québécoises depuis 2014. Grand classique du répertoire de la mythique et regrettée chorégraphe Pina Bausch, Palermo Palermo nous transporte dans un monde tout aussi loufoque qu’attachant.

C’est en 1989, peu avant la chute du mur de Berlin, que Pina Bausch, alors en pleine résidence à Palerme, imagine une oeuvre avec un immense mur de briques qui s’effondre. Visionnaire pour l’époque, il n’en est pas moins que cette oeuvre résonne encore aujourd’hui.

Enchaînement de saynètes, Palermo Palermo n’en fait pas trop. Ni trop de jeu ni trop de danse. Tout est dans la juste mesure et c’est pour ça que ça fonctionne. Les moments chorégraphiés ne sont pas étouffants, ils apportent fraîcheur et tendresse dans un chaos à la fois comique et étourdissant. On retrouve très facilement la patte artistique de la chorégraphe décédée en 2009. Les mouvements sont fluides, issus de gestuelles quotidiennes et la répétition est savoureuse. Au fur et à mesure que les séquences se succèdent, elles se déforment subtilement, se transforment et fascinent. Mouvement de bras, cheveux longs qui caressent l’espace, les interprètes incarnent en eux la signature Bausch. La fluidité est de mise, mais le détail l’est tout autant. L’importance de la précision est palpable tout en constant d’un laisser-aller qui fait du bien à voir.

Le temps est à la course. Les interprètes ne cessent de traverser l’espace, toujours en sautillant, en courant, à travers les briques éclatées au sol. Ils se croisent, interagissent, vivent leur vie et construisent, sans qu’on s’y attende, des images fortes. Quand on sort de là, c’est une fresque humaine qu’on a découverte. Une folie contagieuse qui surprend sans cesse. Pour soutenir le tout, les interprètes arborent un jeu théâtral juste, là encore dans la lignée et la particularité de la chorégraphe allemande. On y parle, on y décrit des poèmes, on y chante. Dans une rythmique parfaite, la vie se déroule sous nos yeux. Une vie sans filtre, une vie sans gène qui laisse à sourire. Les idées farfelues ont ouï leur potentiel comique, mais pas seulement. Elles questionnent sur un déséquilibre, la fin d’un mur, la fin d’une vie et, finalement, que se passe-t-il après ? Sommes-nous toujours dans la même réalité ou est-ce un rêve éveillé ? À bien y penser, les scènes ne sont pas si folles. Elles sont synonymes de liberté de vivre et sont peut-être finalement ce qui manque à notre humanité.

À la ville, comme à la scène

Une des forces de Palermo Palermo est sa complète adhésion du décor et de la musique à la partition chorégraphique et théâtrale. En effet, la poussière, le sable, la terre, le bruit de la foule ou encore les clochers de Palerme s’immiscent aux bons endroits, aux bons moments. Même chose pour les accessoires. De la simple pomme au pistolet en passant par les talons ou le sucre, le moindre détail est assumé, et important. En plus d’attirer notre oeil, l’oeuvre fait finalement appel à tous nos sens. Et encore, je ne vous raconte pas tout… Je vous laisse constater par vous-même !

Les interprètes évidemment sont porteurs de toute cette humanité ébranlée. On a l’impression d’être en ville avec eux, et pas à un spectacle. On peut ressentir les états dans lesquels ils se mettent et l’authenticité qu’ils livrent dans leurs gestes, leurs visages et leurs corps. Tout en poésie, les artistes se démarquent et dévoilent leur individualité. Même dans les peu de moments en unisson, leur caractère transparaît dans leur être.

Cette pièce est haute en couleur, et en saveurs. De la volupté à la bizarrerie, en passant par la communion et l’absurde, Palermo Palermo transporte son public avec elle pour là encore briser « les murs invisibles qui existent partout dans le monde, dans nos têtes », comme l’avait imaginé Pina Bausch. Pendant 1 h 30, la scène se mue aux différentes histoires, aux diverses idées et créations étranges que mettent en place les acteurs. Pendant 1 h 30, on n’oublie tout, le ridicule n’existe plus. Seules la curiosité et la surprise sont de mise. Le tout enrobé de mouvements d’une grande douceur et d’une grande maîtrise. De la danse théâtre sauvage de haut calibre, comme on aime.

Palermo Palermo

Tanztheater Wuppertal Pina Bausch. Jusqu’au 25 février. https://www.dansedanse.ca/fr/pina-bausch-palermo-palermo

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