La force d’un front commun de plus de 420 000 travailleurs

Charles-Édouard Carrier
Collaboration spéciale
Le 27 juin dernier, le Front commun rencontrait les médias pour dresser le bilan des négociations du secteur public. De gauche à droite : Magali Picard, présidente de la FTQ, François Enault, premier vice-président de la CSN, Robert Comeau, président de l’APTS, et Éric Gingras, président de la CSQ.
Photo: Photo fournie par le Front commun Le 27 juin dernier, le Front commun rencontrait les médias pour dresser le bilan des négociations du secteur public. De gauche à droite : Magali Picard, présidente de la FTQ, François Enault, premier vice-président de la CSN, Robert Comeau, président de l’APTS, et Éric Gingras, président de la CSQ.

Ce texte fait partie du cahier spécial Syndicalisme

Les quatre grandes centrales syndicales du Québec ont fait le choix stratégique d’unir leurs forces pour négocier avec le gouvernement de François Legault le renouvellement des conventions collectives du secteur public. Ensemble, elles représentent plus de 420 000 travailleurs. Le Front commun se prépare à un automne chaud dans l’espoir que le gouvernement revoie sa copie.

La Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) parlent d’une seule voix dans ce qui s’apparente à des négociations historiques.

Le choix de cette alliance n’est pas sans rappeler ce qui avait été organisé il y a 50 ans dans le cadre de négociations avec le gouvernement de Robert Bourassa. C’est en 1972 que le Front commun intersyndical regroupait pour la première fois la CSN, la FTQ et la CSQ pour négocier le renouvellement des conventions des employés des secteurs public et parapublic. Dans la foulée, une grève générale illimitée avait été déclenchée, une loi spéciale avait forcé un retour au travail et les leaders du Front commun avaient été emprisonnés.

Il existe des similarités entre hier et aujourd’hui, selon Robert Comeau, président de l’APTS : « En 1972, c’était pour donner un coup de barre afin d’être capable de garder, puis d’attirer du monde. Comme aujourd’hui, où l’on veut donner un signal fort qu’on tient aux services publics, qu’un réinvestissement est nécessaire et qu’on veut avoir du monde de qualité qui y travaille. »

Le fameux coup de barre, Éric Gingras, président de la CSQ, y fait aussi référence en 2023 : « On vit une période difficile, avec une pénurie de main-d’oeuvre et une inflation élevée. On ne peut pas négocier de la même façon et avec les mêmes demandes, parce que les besoins sont grands. On a trop délaissé le secteur public, c’est le temps de donner un coup de barre. »

Espérer le strict minimum

Les quatre représentants s’entendent pour dire que la pénurie dans plusieurs secteurs et l’inflation élevée pèsent lourd sur les épaules des travailleurs du secteur public, dont la moyenne salariale est estimée à 44 000 $. « Les salaires ne sont pas compétitifs, les établissements où l’on offre les services sont en décrépitude, on a une gestion extrêmement lourde et complexe. On fait face à un gouvernement qui est dur en ce qui a trait à la négociation, parce que les offres qu’on nous a présentées ne reflètent pas le coût de la vie, bien que la présidente du Conseil du trésor nous assure que ses actuaires disent le contraire. Avec la proposition actuelle, on couvrirait à peine deux ans d’inflation sur cinq ans », affirme Magali Picard, présidente de la FTQ.

Sans laisser croire que les députés ne méritent pas l’augmentation de 30 % annoncée au printemps dernier, François Enault, premier vice-président à la CSN, rappelle toutefois que les raisons énoncées par le gouvernement pour expliquer cette augmentation sont les mêmes que celles utilisées aujourd’hui par les syndicats. Deux poids, deux mesures selon lui. « On demande une augmentation de 100 $ par semaine pour l’ensemble des travailleurs pour la première année. On nous dit que c’est trop. Mais une règle de trois nous démontre que, pour les députés, ça équivaut à une augmentation de 582 $ par semaine. »

Que sont devenus les anges gardiens ?

Le Front commun espérait que le gouvernement négocierait avec plus d’ouverture cette fois-ci, ne serait-ce que par respect pour ses 420 000 travailleurs qui ont tenu le Québec à bout de bras pendant la pandémie. « On a encensé nos membres en les appelant des anges gardiens. Et soudainement, on essaie de nous faire croire qu’une hausse salariale de 9 %, ça fait du sens. Ça frôle l’arrogance », dit François Enault.

La présidente de la FTQ, quant à elle, qualifie ce renouvellement de convention postpandémique de rendez-vous manqué, alors que « la population a compris la nécessité d’avoir de bons services publics et qu’elle aurait soutenu le gouvernement dans une démarche [qui répondrait aux attentes]. Les gens sur le terrain ne se sentent pas respectés. La réalité, c’est qu’avec un salaire de 44 000 $, il n’y a pas un chef de famille qui est capable de vivre d’une façon digne, tout en ayant des responsabilités aussi importantes que celles qui lui sont demandées », dit-elle.

Pénurie, attraction, rétention, triple défi

Selon les leaders syndicaux, le secteur public peut difficilement intéresser la relève, ce qui complexifie les efforts pour enrayer la pénurie. Qu’il s’agisse des salaires, des conditions de travail ou des régimes de retraite, l’écart entre le public et le privé se creuse et les offres qui sont actuellement sur la table donnent l’impression que le gouvernement ferme les yeux sur la pénurie de main-d’oeuvre et l’exode des talents vers le privé.

« On demande de rehausser les conditions de travail pour être attractifs, puis de garder des services publics en santé », résume M. Comeau, qui s’inquiète pour ses membres, mais aussi des répercussions sur la population du Québec, qui utilise quotidiennement les services publics. L’ensemble des citoyens sera touché par des services réduits si la pénurie ne se résorbe pas, affirme-t-il.

« Tout le Québec est à même de constater les problèmes dans les services de l’État, que ce soit en éducation, en santé ou dans les services sociaux, énumère Magali Picard. Les conditions d’exercice d’emploi sont épouvantables. Je sais que ce n’est pas payant de dire ça publiquement, parce que ce qu’on veut, c’est attirer une relève, mais en même temps, on se doit d’être honnêtes. »

Une offre qui ne fait pas le poids

François Enault, tout en pesant ses mots, ne cache pas qu’il sent un certain mépris lorsque le premier ministre François Legault parle des syndicats. « Il ne semble pas comprendre que le syndicat, ce n’est pas nous [les leaders syndicaux], mais 420 000 personnes qui nous mandatent pour négocier pour eux. Depuis le 15 décembre dernier, l’offre est maintenue à 9 % sur cinq ans. Du même coup, le ministre des Finances, Eric Girard, dit que les prévisions d’inflation seront de 16,6 % pour les cinq prochaines années. Ça ne prend pas des mathématiques fortes au secondaire pour comprendre que nos travailleuses et travailleurs, qui accusent déjà un recul par rapport au secteur privé, vont encore s’appauvrir et que l’écart va se creuser. »

De son côté, Éric Gingras, de la CSQ, a l’impression que le gouvernement tente d’opposer les syndicats et les employés. « Si on fait une demande, si on fait une manifestation, ce n’est pas une manifestation syndicale, c’est une manifestation des travailleuses et des travailleurs qu’on a consultés. Et la population doit comprendre que ce qu’on demande n’est pas dénaturé, ça représente les besoins des gens du terrain [pour qu’on maintienne des services publics forts] », rappelle-t-il, ajoutant qu’il est difficile de négocier avec un employeur qui fait de faux débats sur la place publique.

Les conventions collectives du secteur public sont échues depuis le 31 mars 2023. Magali Picard, à l’instar des trois autres leaders syndicaux, espère conclure une entente d’ici Noël. « J’y crois. Si le gouvernement et le Conseil du trésor font leurs devoirs, se présentent avec des offres respectables [qui reflètent la hausse du coût de la vie] avec au moins un rattrapage salarial, on va être capables de conclure des ententes en s’assurant d’améliorer les conditions normatives dans les milieux de travail. »

Rendez-vous le 23 septembre

Pour se faire entendre, mobiliser ses membres et inviter la population à prendre part aux efforts de négociations, le Front commun, formé de la CSN, de la CSQ, de la FTQ et de l’APTS, organise une manifestation dans les rues de Montréal le 23 septembre prochain. L’activité débutera au parc Jeanne-Mance et sera animée par Rosalie Vaillancourt. Une prestation musicale des Louanges est également prévue pour ce rendez-vous, qui se veut familial et festif. « Nous serons des milliers à prendre la rue pour la défense de nos services publics. Nous serons des milliers à marcher pour faire comprendre au gouvernement de la CAQ que les travailleuses et les travailleurs de nos réseaux qui soignent, soutiennent et éduquent sont en droit de le faire dans des conditions optimales », peut-on lire sur l’invitation largement diffusée sur le Web.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.



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