Pelada donne un autre sens à la musique de club

Depuis la sortie de son premier album, en 2019, le duo montréalais Pelada a offert des centaines de concerts, récemment au Japon, en Australie et aux États-Unis. L’expérience acquise l’a rendu redoutable.
Marie-France Coallier Le Devoir Depuis la sortie de son premier album, en 2019, le duo montréalais Pelada a offert des centaines de concerts, récemment au Japon, en Australie et aux États-Unis. L’expérience acquise l’a rendu redoutable.

Si simple, mais si puissant. Tobias Rochman se tient debout derrière ses machines — une boîte à rythmes et un synthé, à peu près tout —, érigeant ses rythmiques techno et électro en une forteresse de grooves teigneux. Chris Vargas rappe, en espagnol, le poing fermé sur son microphone, le feu dans les yeux.

Depuis la sortie de son premier album, en 2019, le duo montréalais Pelada a offert des centaines de concerts, récemment au Japon, en Australie et aux États-Unis. L’expérience acquise l’a rendu redoutable. Samedi soir, au Centre Phi, il donnera un des meilleurs shows en ville pour souligner la parution de son nouvel album, Ahora más que nunca (Maintenant plus que jamais), une oeuvre aussi festive que militante.

Au fil des tournées s’est développé entre les deux membres « un sens du timing », explique Chris Vargas, dont  les racines sont colombiennes. « Tobias n’utilise pas de CDJ, il joue sur ses propres machines, sans pistes préenregistrées, ce qui lui permet de modifier la forme des chansons en direct en ajoutant des effets, en retirant certains éléments rythmiques, tout ça pour répondre à l’énergie du public. »

Tobias enchaîne : « On aime garder les orchestrations des chansons ouvertes en concert, on cherche la spontanéité. À force de tourner dans des festivals, on a bien remarqué que plusieurs artistes présentent des shows hypercalibrés, avec des bandes enregistrées, c’en est presque du karaoké. On fait les choses différemment, et c’est sur scène qu’on est à notre meilleur. »

De la révolte

Tobias, maître des rythmes, dresse la table pour Chris, un sacré spécimen : présence scénique explosive, la dégaine autoritaire, rappe en criant — « J’ai chanté dans un groupe screamo à l’âge de 15 ans », avant de jouer de la batterie au sein du groupe industriel Pelvic Floor, auteur de deux cassettes parues il y a sept ou huit ans.

« Je ressens encore de la nervosité avant de monter sur scène, avoue Chris. Et c’est une bonne chose, ça me fouette ! » Tobias-Varga, un duo électro-rap plus punk dans sa posture que la majorité des groupes punk d’aujourd’hui — le Centre Phi ne s’en remettra pas, c’est garanti !

D’autant que le geste suit la parole. Chris ne rappe pas en vain : dans le ton comme dans le texte, il y a de la révolte. Sur La gente se levanta (Le peuple se lève), un duo avec la rappeuse Backxwash ouvrant le nouvel album, Pelada vocifère contre le capitalisme et les injustices sociales. Sur Pilas (Pile, comme dans : recharger ses batteries), Chris motive l’auditeur à se botter le derrière, puis à prendre la rue sur Salgamos a la calle. Le texte de Cerdo dénonce la brutalité policière, alors que le refrain d’Acabemos con el femicidio appelle à stopper les féminicides : « Mes soeurs dans la rue / Qui défendent leur vie / Continuez avec force, chéries ».

Agressif… et festif

« Bien sûr qu’il y a de la rage dans ma voix », explique Chris, qui aborde aussi la crise environnementale dans ses textes. « Il y a plein de bonnes raisons d’être en colère. Je suis une personne très articulée et très directe dans mes propos. Tobias compose des musiques qui passeraient très facilement sur un plancher de danse ; moi, je pourrais écrire des textes qui abordent la sexualité féminine ou la positivité corporelle, mais je vois l’occasion d’écrire autrement, d’une manière qui touche les gens différemment et qui donne un nouveau sens à la musique de club. Et, en vérité, dans mes chansons, je ne dis rien de neuf, mais je le dis avec force », cette fois sur des rythmes qui tendent encore plus vers l’électro et le techno.

Chris ajoute : « Je m’identifie comme une personne non binaire, mais je comprends que les gens me perçoivent comme binaire [comme une femme]. Sauf que, sur scène, je crie à la tête des gens, on ne voit pas ça très souvent. Même si le public ne comprend pas l’espagnol, tout de suite, voir une femme crier ses textes suggère que la musique qu’on fait a une dimension progressive », dans le sens sociologique du terme.

« Après le premier album [Movimiento para cambio, 2019], on s’est demandé comment faire encore mieux, explique Chris. On souhaitait un album plus cohérent : ce premier album sonne davantage comme une liste de lecture, une enfilade de chansons, alors que nous avons plutôt imaginé le nouvel album comme un récit, avec des variations musicales. » Tobias : « Souvent, les groupes qui présentent un deuxième album ont tendance à s’adoucir. Nous, au contraire, on visait quelque chose de plus agressif encore. »

Agressif, mais festif : Pelada, sur disque comme sur scène, est un vecteur de défoulement, dansant dans le rythme, urgent dans le texte. Une denrée rare.

Ahora más que nunca

Pelada, indépendant. Disponible sur la page Bandcamp de Pelada. Le duo sera en concert samedi soir au Centre Phi.

À voir en vidéo