La manière Glauque

Ce quatuor de trentenaires du groupe Glauque a le doigt sur le pouls de sa génération.
Adil Boukind Le Devoir Ce quatuor de trentenaires du groupe Glauque a le doigt sur le pouls de sa génération.

Louis Lemage, rappeur, chanteur et parolier, avait un voeu : que ce premier album du groupe Glauque paraisse à l’automne. « Je ne sais pas si ce que je rappe est vraiment le reflet de notre époque, même si les chansons parlent du monde qui nous entoure et de notre société, de mon point de vue bien personnel. Par contre, c’était important qu’il sorte à cette période de l’année, parce qu’au printemps, il me semble, tu serais moins porté à te dire : “J’ai envie d’écouter ça le soir, tout seul.” Ce moment de l’année correspond mieux à notre son — et en plus, l’automne, c’est entre deux, entre l’été et l’hiver. »

Dans le refrain de Plan large, l’une des meilleures pièces de ce premier album bardé de grandes chansons, Louis rappe sur un rythme techno fonçant dans des orchestrations fantomatiques de guitares électrique : « J’vois le reflet de mon époque / J’vois mon écran éteint / Perdu comme un môme en l’état, j’en suis un / Boire des verres deux par deux comme Gérard Depardieu / dans des verres en étain ».

Dans des verres en étain, Louis ? « C’était juste pour la rime », nous lance-t-il en souriant. Réflexe d’écriture d’aspirant rappeur : « À la base de notre projet, aucun d’entre nous n’écoutait vraiment de rap, sauf moi, explique-t-il. En écrivant les textes, je cherchais la rime pour la rime, au détriment du fond, du sens. Musicalement, le projet a évolué vers une forme musicale plus hybride, autant dans l’écriture des textes que dans la musique ou dans la production. »

Ça s’entend : trois ans après un premier minialbum ayant fait tourner les têtes en Europe (Les Inrockuptibles titraient à l’époque : « Glauque est le groupe que le monde entier attendait »), l’orchestre belge arrive avec un album, Les gens passent, le temps reste, qui précise la personnalité musicale du groupe et la démarque du son de Fauve ou Odezenne, auxquels on l’a souvent comparé en raison de cette fusion de rock, de rap et de musiques électroniques. « C’était notre volonté, de marier au mieux le texte et la musique, en comparaison avec l’EP, et de faire s’accorder ces différents genres musicaux qui nous plaisent », explique Baptiste Lo Manto.

De passage à Montréal en juin dernier pour donner, sans tambour ni trompette, deux concerts sur une scène extérieure des Francos, Louis, son frère Lucas (claviers, machines), Baptiste (batterie, claviers) et Aadriejan Montens (guitares, claviers) ont pris un moment pour discuter de ce premier album, que l’on perçoit déjà comme un des meilleurs de la rentrée francophone.

La claque qu’ils nous servent, ces Belges ! Douze denses et lourdes chansons, mais possédant leurs moments de lumière et la juste dose de groove pour nous donner envie de danser, même si ce n’est pas le but du groupe, affirme Louis : « On fait la musique comme celle qu’on écoute », résume-t-il, en citant l’influence de Moderat ou encore du duo néerlandais WEVAL (deux albums sur étiquette Kompakt, un chez Technicolor/Ninja Tune). « Lorsque je compose, je pense d’abord à la chanson, plus qu’un élément d’un album. Toute la création va dans ce sens, sans imaginer ce que ça va donner en concert. Bon, après, les gens peuvent danser tout seuls dans leur chambre en l’écoutant aussi. »

Danser, peut-être, réfléchir, surtout. Ce quatuor de trentenaires a le doigt sur le pouls de sa génération, même s’il assure que ses fulgurants concerts attirent un public de tous âges, attiré autant par la force de frappe des musiciens que par les mots de Louis, qui a ce talent pour décrire le mal-être sans verser dans le misérabilisme, la plupart de ses textes nous poussant à avancer dans la vie malgré tout ce qui nous veut nous retenir de le faire.

« Si Glauque est un groupe militant ? Pas vraiment, répond Louis. C’est ça qui est compliqué avec notre époque : chacun porte sa propre parole, de manière plus ou moins vindicative, et c’est perçu comme une prise de position. Aujourd’hui, exposer un point de vue est considéré comme militer ; or, moi, je n’ai pas envie de faire ça. C’est mon proprio qui m’a déjà dit : “Il n’y a rien de pire que quelqu’un qui crie quelque chose pour imposer son point de vue.” J’espère que les gens recevront cet album à leur manière et que ça les touchera à leur manière. »

Les gens passent, le temps reste, de Glauque, paraît aujourd’hui sur étiquette Écluse.

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