Évelyne Brochu, le courage et le danger

Les onze nouveaux titres présents sur le nouvel album d’Évelyne Brochu, Le danger, restent dans une certaine tradition de la chanson française.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Les onze nouveaux titres présents sur le nouvel album d’Évelyne Brochu, Le danger, restent dans une certaine tradition de la chanson française.

Quatre calendriers ont été utilisés sur le frigo d’Évelyne Brochu depuis sa première tentative en musique, le sympathique, mais timide album Objets perdus, concocté avec son allié musical Félix Dyotte. Si l’amitié et la complicité artistique qui les unit restent les mêmes, le nouveau fruit de leur labeur montre le chemin parcouru. L’album Le danger, qui paraît vendredi, fait briller davantage la plume de la comédienne et chanteuse, qui pose sa voix autrement sur des musiques bien plus riches.

Assise au matin autour d’une petite table d’un bar vide de la métropole, Évelyne Brochu tend d’abord la perche au journaliste. « Comment tu le décrirais, ce changement-là ? » Le danger, lui répond-on, respire davantage et nous semble plus assumé. « Ouais », lance-t-elle en signe d’approbation. (Fiou !) « Ouais, on est dans la même province, mais on n’est pas dans la même ville ! »

Ces onze nouveaux titres de la vedette de la télé et du cinéma restent dans une certaine tradition de la chanson française, mais on passe de Jane Birkin à France Gall, si on peut dire. Il y a des cordes — six violons et deux altos —, des cuivres et des synthés, et la touche est plus pop, et la voix plus ample.

Avec Félix Dyotte (Chinatown, Pierre Lapointe), « on avait le goût d’oser, on avait le goût que ce soit l’album de l’audace, et aussi l’album où on plonge plus », explique Brochu. Ne serait-ce que sur le plan de l’écriture. Sur Objets perdus, la chanteuse avait signé « une chanson et demie » ; la voilà avec sept textes à son nom, qui ne font pas pâle figure et qui sont tous sur des musiques de son acolyte.

« Pour moi, le courage, ce n’est pas ma qualité première, c’est quelque chose qui vient lentement. J’ai besoin de me sentir très en sécurité pour que le côté courageux sorte, pour que s’épanouisse cette part-là d’abandon qui est nécessaire à mon travail, confie Évelyne Brochu. J’ai eu le courage de faire le premier disque parce que j’étais bien entourée. Et parce que ça s’est bien passé et que j’en étais fière, j’ai eu le courage de faire le deuxième avec un peu plus d’audace. Je voulais pousser plus loin, et m’engager encore plus dans le processus. »

Nuits magiques

 

Si Objets perdus se déroulait en quelque sorte au parc à l’heure de l’apéro, Le danger, lui, est « au coeur de la fête », résume Brochu. « On dirait que, dans ma tête, quand je voyais l’album avant qu’on l’écrive, je voyais une boîte de nuit très haute de plafond. » Et la nuit, selon elle, « ouvre des canaux qui ne sont pas nécessairement ouverts le jour ».

J’ai besoin de me sentir très en sécurité pour que le côté courageux sorte, pour que s’épanouisse cette part-là d’abandon qui est nécessaire à mon travail.

C’est patent sur Quand je danse, presque disco avec sa ligne de basse qui glisse. « J’ai traversé la pièce / Pour aller jusqu’à lui / Une marée de corps / Qui combattaient l’ennui / J’ai humé les parfums / De chacun au passage / J’ai effleuré des mains / Ce joli paysage », écrit Brochu. Les désirs sont retenus dans la pièce d’ouverture du disque, Une autre vie. Sur Étés infinis, les « nuits éternelles » sont nostalgiques et sensuelles.

Mais il y a aussi sur Le danger des doutes, des fuites, de la tempête et des hésitations. Le disque, explique-t-elle, a été teinté de ses nombreux allers-retours en Europe pour son travail d’actrice — notamment pour la série Paris police 1900. La belle et simple chanson Notre jardin en est issue, très Keren Ann dans le genre. Mais c’est aussi un album postpandémique, rappelle Évelyne Brochu.

« Cette espèce de recul là, je pense qu’on l’a tous vécue. Les couvre-feux puis les bulles familiales, ç’a créé un effet d’étrangeté où on était très fortement à l’intérieur de nous-mêmes, puis très loin des autres, analyse-t-elle. Après ça, on est retournés dans le monde des autres, mais avec encore la sensation d’être un peu dans notre igloo intérieur, en devant se réapproprier les codes avec la nouvelle perception du monde qui nous habitait. C’était une espèce de joie, une espèce de pulsion de vie, mais qui n’était pas totalement légère non plus. »

Double métier

 

Évelyne Brochu a souvent dit que son métier d’actrice avait un impact sur celui de chanteuse, mais l’inverse est aussi vrai, assure-t-elle. « Je ne vis pas mon existence en silo, dit-elle. Tout est une espèce de grand jardin où toutes les racines se touchent. Puis s’il pleut quelque part, il pleut partout. S’il y a du soleil, il y a du soleil partout. »

La musique, selon elle, « élargit le jeu », et une phrase chantée est « dilatée, elle est plus grande que nature. Cet espace-là, d’ouverture, d’explosion du sens des mots portés par les notes et le rythme, ça donne des droits, ça donne une sorte d’impudeur ». Dire « je t’aime » ou le chanter sur quatre temps, c’est pas la même aventure, quoi.

Le danger

Évelyne Brochu

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