Yannick Nézet-Séguin aux racines de la musique américaine

Le chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin
Michael Bode Le chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin

Deutsche Grammophon (DG) publie cette fin de semaine numériquement la Symphonie no 4 de Florence Price couplée à la Negro Folk Symphony de William Levi Dawson sous la direction de Yannick Nézet-Séguin, des enregistrements réalisés avec l’Orchestre de Philadelphie. Cette musique aura diverses résonances à Montréal cette saison.

À l’émission 60 Minutes, de CBS, Yannick Nézet-Séguin déclarait récemment : « J’aimerais qu’à la fin de mon séjour sur Terre, personne ne dise plus jamais : “Oh, la musique classique n’est pas pour moi. C’est pour les gens cultivés ; c’est pour les riches ; c’est pour les Blancs.” » Assurément, le chef québécois est devenu, depuis le meurtre de George Floyd, le plus grand défenseur de la musique afro-américaine.

Il a entamé sa croisade par la promotion de l’oeuvre symphonique de la compositrice Florence Price (1887-1953), mais il ne faut pas oublier son engagement au Metropolitan Opera, par exemple avec les opéras de Terence Blanchard Fire Shut Up in my Bones et Champion et, dans les prochaines semaines, la programmation de X, The Life and Times of Malcolm X, d’Anthony Davis, que l’on pourra voir au cinéma le 18 novembre.

Retour de balancier

L’intérêt de ce couplage est de voir la 4e et dernière symphonie de Florence Price couplée à la Negro Folk Symphony de William Levi Dawson (1899-1990), oeuvre d’une importance particulière, comme nous vous le relations dans notre article « Musique classique et opportunisme bien tempéré » le 31 décembre dernier. Selon l’historien de la culture Joseph Horowitz, la Negro Folk Symphony de Dawson est « le » chef-d’oeuvre oublié de la musique américaine. Horowitz développe cette analyse dans un essai intitulé The Soul of Black Classical Music, sous le prisme de ce qu’il considère comme l’« échec de la prophétie de Dvořák ». « Je suis maintenant convaincu que la future musique de ce pays doit être fondée sur ce qu’on appelle les “mélodies nègres” », écrivait Dvořák à la fin du XIXe siècle. « Cela doit être le véritable fondement de toute école de composition sérieuse et originale qui se développera aux États-Unis. »

Comme nous le résumions en décembre : « La faillite de cette voie au profit d’une identité musicale américaine issue de racines européennes (Aaron Copland, Virgil Thomson, Leonard Bernstein) est, selon Horowitz, l’erreur fatale qui a séparé la culture américaine de sa véritable authenticité. Pour Horowitz, le star-système qui, aux États-Unis, a mis en avant les orchestres, les chefs et solistes plutôt que les compositeurs, et a mesuré ces vedettes à l’aune des standards et du répertoire européens, a eu raison du développement d’un idiome musical américain. »

Cette parution est donc, sur le plan historique, un retour de balancier important. On l’a vu avec tous les prix glanés par le CD des Symphonies nos 1 et 3 de Florence Price par Yannick Nézet-Séguin : il y a beau y avoir eu des enregistrements de la profonde et dense Symphonie de Dawson auparavant, c’est celui-ci que l’on considérera et écoutera parce qu’il est chez DG, par un chef connu avec un orchestre du haut du pavé.

La 4e Symphonie de Florence Price (1945, réputée perdue, retrouvée en 2009 puis reconstituée et créée en 2018) suit les schémas désormais connus : une atmosphère de Negro Spirituals dans le 1er volet, un mouvement lent (magnifique) qui calque celui du « Nouveau Monde » de Dvořák, suivi d’une Juba Dance qui fait la signature des symphonies de Price et d’un finale festif. La richesse de l’Orchestre de Philadelphie est incomparablement supérieure à celle de l’Orchestre de Fort Smith, qui, sous la direction de John Jeter, nous avait révélé l’oeuvre chez Naxos.

Pour l’heure, la parution DG n’existe pas en disque physique et ce programme n’est donc accessible qu’en téléchargement ou en écoute en ligne. Gros bémol : une telle parution vient sans aucune notice d’accompagnement, ce qui, pour un tel programme, est une honte.

La 4e Symphonie de Price sera jouée par l’Orchestre de Philadelphie à Montréal le 19 avril, alors que la Negro Folk Symphony sera dirigée le 12 octobre à l’Orchestre symphonique de Montréal par le chef afro-américain basé à Berlin Roderick Cox, que l’on est heureux de revoir au Québec, car il avait dirigé une très notable 2e Symphonie de Rachmaninov à Lanaudière en 2018 avec le Métropolitain.

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