La Syrie sur le seuil d’un nouveau soulèvement

Une fillette brandissait le drapeau de l’opposition syrienne lors d’une manifestation dans la ville d’Idlib, dans le nord-ouest du pays, le 25 août dernier.
Abdulaziz Ketaz Agence France-Presse Une fillette brandissait le drapeau de l’opposition syrienne lors d’une manifestation dans la ville d’Idlib, dans le nord-ouest du pays, le 25 août dernier.

Le régime syrien de Bachar al-Assad va-t-il devoir affronter un nouveau printemps arabe ? Cet automne ?

C’est la question qui se pose depuis plusieurs jours devant l’apparition d’un nouveau mouvement de contestation qui agite le sud de la Syrie, 12 ans après les appels à la dignité, à la démocratie et à la liberté qui ont tourné au drame en mars 2011 et fait sombrer le pays dans une interminable guerre civile.

Cette semaine encore, des centaines de Syriens ont repris le chemin de la rue à Soueida pour protester contre le régime en place et appeler, sans détour, à la chute de la dictature d’al-Assad et du parti Baas, au pouvoir depuis 1963.

Le mouvement a pris naissance dans cette région, fief de la minorité druze, à la mi-août, après l’annonce par le gouvernement de la fin des subventions sur le carburant. Il s’est répandu doucement dans les villes des alentours, dont Deraa, épicentre du soulèvement populaire de 2011.

« Le régime fait face à une nouvelle menace », laisse tomber en entrevue avec Le Devoir le politicologue Ziad Majed, spécialiste de la Syrie et du Moyen-Orient à l’Université américaine de Paris. « Pour le moment, le corps du mouvement est localisé dans la région de Soueida, mais s’il devait s’étendre et s’amplifier, cela risquerait d’affaiblir l’emprise de Bachar al-Assad sur la Syrie. »

Ironiquement, Soueida est au coeur de la province du même nom, qui est restée à l’écart du soulèvement populaire de 2011.

« Il n’y a rien d’anecdotique dans ce soulèvement qui montre son caractère contagieux dans les villes de Deir ez-Zor à l’est, de Raqqa et d’Hassaké au nord, ainsi que dans les villes et villages d’Idlib », indique l’anthropologue américaine Christa Salamandra, jointe cette semaine à l’Université de la ville de New York. « Nous sommes face à la réanimation du mouvement révolutionnaire antérieur, porté désormais par une nouvelle génération de manifestants, les enfants et les adolescents de la guerre civile, qui sont désormais majeurs, et surtout en réaction devant l’oppression constante du régime et la détérioration incontrôlée et dévastatrice des conditions de vie. »

Malgré le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe en mai dernier, après 11 ans d’exclusion, la situation économique du pays ne cesse de se détériorer, a résumé la semaine dernière l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, devant le Conseil de sécurité de l’organisation internationale.

Il a entre autres souligné le caractère incontrôlable des prix de la nourriture, des médicaments, du carburant et d’autres produits de base.

« La tragique réalité est que, tant que le conflit violent se poursuivra et que le processus politique sera bloqué, les souffrances du peuple syrien ne feront qu’empirer, a-t-il dit. La Syrie ne peut pas redresser son économie tant qu’elle est en état de conflit », a-t-il ajouté.

Après 12 ans de guerre civile, plus de 90 % des Syriens vivent désormais sous le seuil de la pauvreté, selon l’ONU. Les moins de 30 ans, qui représentent 65 % de la population, en sont les principales victimes, ce qui compromet leur avenir et donne de la vigueur au vent de contestation qui souffle actuellement sur le pays.

90 %
Il s’agit du pourcentage de Syriens qui vivent sous le seuil de la pauvreté, selon l’ONU.

En trois mois, la livre syrienne a perdu 80 % de sa valeur. « Il est particulièrement difficile pour Damas de gérer cette situation maintenant, car le pouvoir n’a pratiquement aucune carotte à offrir, puisque l’économie est un trou noir », a indiqué le chercheur Aron Lund, de la Fondation Century, dans les pages du média indépendant Al-Monitor.

Le 10 août dernier, dans une entrevue accordée à Sky News Arabia, Bachar al-Assad a tenté de repousser les critiques en jetant une nouvelle fois le blâme sur des « forces extérieures », qu’il tient pour responsables de la dégradation de l’économie et du climat social dans le pays tout comme de la persistance de la guerre civile. Il a également assuré que son régime ne faisait face à aucune opposition sérieuse actuellement et indiqué qu’il quitterait le pays si le peuple le lui demandait.

Après être tombé en disgrâce sur les scènes régionale et internationale au lendemain du soulèvement de 2011 et de la répression violente qu’il lui a opposée, le dictateur cherche depuis plusieurs mois à normaliser son régime, un processus qui tend d’ailleurs à relancer la contestation, selon Ziad Majed, puisque cette normalisation n’a pas apporté de changements significatifs dans le quotidien des Syriens.

« Même s’il bénéficie encore de l’appui de la Russie et de l’Iran, qui l’aident à se maintenir en poste, Bachar al-Assad doit faire face à une partie de la population qui ne lui est pas acquise et qui se mobilise à nouveau, pas seulement pour des raisons économiques, mais pour des raisons politiques désormais, dit-il. On le voit dans les rues, où les gens exigent la fin de l’impunité et de la corruption, brûlent des portraits de lui ou s’attaquent aux bureaux du parti Baas. »

Placé sous ces vents défavorables, Bachar al-Assad maintient le cap. Le dictateur prévoit participer le 30 novembre prochain au Sommet de l’ONU sur le climat, après avoir reçu une invitation officielle des Émirats arabes unis, le pays hôte de cette COP28. S’il s’y présente, cela marquera la première apparition de celui que l’on surnomme le « boucher de Damas » sur la scène mondiale depuis le début de la guerre civile en 2011.

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