Montréal appelée à s’inspirer d’ailleurs pour protéger le Quartier chinois

Le secteur est menacé par des projets immobiliers résidentiels et commerciaux qui l’encerclent de plus en plus, de même que par une croissance rapide des loyers.
Paul Chiasson Archives La Presse canadienne Le secteur est menacé par des projets immobiliers résidentiels et commerciaux qui l’encerclent de plus en plus, de même que par une croissance rapide des loyers.

Classer le noyau historique du Quartier chinois de Montréal comme un site patrimonial ne sera pas suffisant pour éviter son effritement au profit de la spéculation immobilière, prévient un rapport présenté vendredi. Il recommande à la Ville de s’inspirer d’initiatives prises par d’autres grandes villes en Amérique du Nord afin d’assurer la protection à long terme de ce site historique.

L’an dernier, la Ville a réduit la hauteur permise des nouvelles constructions dans le coeur du Quartier chinois, qui est officiellement protégé depuis cet été en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel. Or, malgré ces mesures, le secteur continue d’être menacé par des projets immobiliers résidentiels et commerciaux qui l’encerclent de plus en plus, de même que par une croissance rapide des loyers.

Dans un rapport qui a nécessité une année de démarches marquées par la réalisation d’entrevues et une analyse pointue du patrimoine foncier du secteur, deux chercheurs de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) dressent un portrait des transformations en cours dans le Quartier chinois de Montréal.

Embourgeoisement du secteur

 

Le document d’une soixantaine de pages, présenté vendredi en conférence de presse dans les locaux d’une association familiale du Quartier chinois, fait notamment état d’une hausse dans les dernières années de la vente de propriétés dans le secteur. Une part grandissante de ces propriétés sont d’ailleurs acquises par des acheteurs non asiatiques, notamment de grands promoteurs immobiliers qui souhaitent réaliser des projets destinés à une clientèle aisée, note le rapport.

« Le constat, c’est que la plupart des immeubles sont détenus par des propriétaires âgés qui sont sur le point de vendre leur propriété. Ce qui place le marché immobilier du Quartier chinois sur un point de bascule », a relevé vendredi le chercheur Colin Pratte, coauteur de l’étude. « Dans les 10 ou 15 prochaines années, le tissu foncier du Quartier chinois est appelé à se transformer », a-t-il poursuivi.

En parallèle, de plus en plus de commerces locaux ferment leurs portes, ne pouvant soutenir la croissance rapide de la valeur foncière et de leurs taxes foncières, qui est due à une forme d’embourgeoisement du secteur. C’est d’ailleurs 17 % de la superficie commerciale qui est vacante dans le Quartier chinois, contre 10,7 % en moyenne dans le centre-ville de Montréal, indique le document.

492 486 dollars
Les propriétaires des 10 immeubles à vocation associative et communautaire situés à l’intérieur des limites du Quartier chinois de Montréal ont déboursé 492 486 dollars en taxes municipales l’an dernier.

Le risque est ainsi bien réel : le Quartier chinois de Montréal pourrait connaître le sort de celui de Washington, où les commerces locaux ont été remplacés en bonne partie par de grandes chaînes américaines, ce qui fait de ce site historique une coquille vide n’ayant que ses façades et quelques aménagements publics pour rappeler ses origines. D’autres quartiers chinois, comme celui de Québec, ont pour leur part carrément disparu, a rappelé M. Pratte.

« On peut penser qu’en l’absence de modèles alternatifs, dans 10 ou 15 ans, on va remettre en question les zonages et les différents mécanismes de protection du quartier [mis en place depuis l’an dernier] parce qu’ils ne seront pas parvenus à remplir leurs promesses, sur le plan, par exemple, du taux de vacance des immeubles », a prévenu le chercheur.

S’inspirer d’ailleurs

Le rapport propose ainsi que le Quartier chinois de Montréal s’inspire de celui de Boston en mettant en place une fiducie d’utilité sociale. Ce modèle permettrait à des résidents du secteur de se rassembler au sein d’un organisme à but non lucratif, et les membres posséderaient collectivement des immeubles dont la vocation sociale et communautaire serait ainsi préservée à long terme.

Le conseiller municipal du district de Saint-Jacques et responsable de l’urbanisme au comité exécutif, Robert Beaudry, a d’ailleurs salué vendredi l’idée de créer une fiducie d’utilité sociale dans le Quartier chinois. Or, « si la communauté souhaite avoir une fiducie, ça doit venir d’elle », a-t-il précisé en entrevue au Devoir, tout en ajoutant que la Ville serait favorable à offrir un « accompagnement technique » pour faciliter le processus.

Le rapport de l’IRIS recommande dans la même veine que Montréal s’inspire de villes telles San Francisco et Los Angeles, qui se sont dotées de programmes de soutien aux entreprises multigénérationnelles. Ceux-ci permettent notamment l’offre de subventions à des entreprises présentes de longue date dans le quartier chinois de ces villes, en plus de les aider à obtenir des modifications de zonage et des contrats publics.

La Ville de Montréal pourrait aussi aider les associations familiales et les organismes communautaires du Quartier chinois à réduire leur fardeau fiscal. Selon le rapport de l’IRIS, les propriétaires des 10 immeubles à vocation associative et communautaire situés à l’intérieur des limites de ce site historique ont déboursé 492 486 dollars en taxes municipales l’an dernier.

Ces bâtiments proposent pourtant des activités culturelles importantes, de même que des loyers abordables à de nombreux résidents du secteur, relève Walter Tom, un acteur impliqué de la communauté du Quartier chinois qui a pris part à la recherche de l’IRIS. « C’est pourquoi on demande que ces associations familiales bénéficient d’une exemption de la taxe commerciale », a-t-il soutenu.

Les organismes communautaires peuvent déjà bénéficier d’une exemption du paiement de la taxe foncière dans certaines circonstances, mais les démarches à effectuer sont laborieuses… et se déroulent en français. « Il y a des mécanismes qui sont là, mais ce n’est pas évident quand il y a un blocage au niveau de la langue et une méconnaissance du système », a relevé M. Tom.

C’est pourquoi la Ville entend mieux accompagner les organismes et les groupes communautaires du Quartier chinois afin de les aider à obtenir une diminution de leur fardeau fiscal. « On peut et on veut très certainement jouer un rôle là-dessus », a assuré Robert Beaudry.

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