Le dédale de l’intermodal

À Montréal, un projet pilote (du 15 avril au 15 novembre) étend les plages horaires pour accéder au métro avec un vélo.
Graham Hughes La Presse canadienne À Montréal, un projet pilote (du 15 avril au 15 novembre) étend les plages horaires pour accéder au métro avec un vélo.

La Société de transport de Montréal (STM) teste depuis douze ans un système de support à vélos sur ses autobus déjà largement implanté avec succès dans les autres grandes villes d’Amérique du Nord. Ce retard montréalais ressemble de plus en plus à un déraillement.

Le projet pilote a été lancé ici à l’été 2011 sur deux lignes (140 et 180), puis vite étendu à six autres parcours (34, 94, 146, 185, 715, 769). Les supports placés à l’avant des véhicules permettent d’accrocher une ou deux bicyclettes à la fois, du 15 avril au 15 novembre. Et c’est tout.

Quand Montréal a adopté cette innovation, Pittsburgh avait déjà équipé 100 % de sa flotte d’autobus de bike racks. Ce simplissime système s’avère en fait, et de loin, la manière la plus courante d’intégrer l’intermodalité des transports sur le continent. Au début du siècle, en huit ans (2000-2008), le pourcentage de bus avec support à vélo a presque triplé aux États-Unis, pour atteindre 71 %.

« Nous sommes conscients que plusieurs sociétés de transport ont valorisé cette initiative depuis un certain temps et sommes aussi conscients de l’importance de l’intermodalité, écrit au Devoir Isabelle A. Tremblay, des relations publiques de la STM, en citant les efforts pour améliorer l’accès au métro des bicyclettes. Concernant les vélos sur les bus, une réflexion est en cours en regard à la valeur ajoutée d’augmenter cette offre et aux investissements requis. »

Bref, la réflexion se poursuivra au moins une treizième année, alors qu’autour de Montréal (à Laval notamment) beaucoup de bus ont des supports. « Le projet pilote montréalais, disponible sur trop peu de lignes, était voué à l’échec parce que trop restreint », juge Magali Bebronne, responsable des programmes chez Vélo Québec, organisme de promotion de la petite reine. « Quand un utilisateur ne sait pas où et quand un service est disponible, il ne l’utilise pas. Quand je suis allée à Vancouver, chaque fois que j’ai pris le bus, il transportait un vélo.  »

Un mode de transport actif ou en commun, c’est bien. Plusieurs modes combinés, c’est bien mieux. Et le vélo est une formidable machine éprouvée pour les premiers ou les derniers kilomètres à parcourir dans un système intermodal intégrant l’utilisation successive d’au moins deux modes pour un seul déplacement : la voiture et le train, le vélo et le bus, le métro et une navette fluviale, etc. 

« À lui seul, le vélo a le potentiel de répondre à plusieurs besoins de déplacement, mais c’est quand on le combine avec le transport en commun qu’il prend toute sa dimension d’efficacité et d’utilité, explique encore Mme Bebronne. Pour y arriver, il faut du stationnement sécurisé près des stations et il faut pouvoir monter facilement son vélo à bord des bus ou des trains. »

L’état de la situation

STM. Vingt-cinq stations (sur 68 au total) du réseau de métro de Montréal ont un ascenseur et cinq s’ajouteront d’ici 2030, promet la Société de transport de Montréal (STM). À ce rythme, il faudra attendre un siècle après l’inauguration du système souterrain pour le rendre totalement accessible aux voyageurs à mobilité réduite et aux cyclistes. Par contre, un projet pilote (du 15 avril au 15 novembre) étend en ce moment les plages horaires pour accéder au métro avec un vélo, mais aussi avec un chien. L’accès était libre en tout temps du 20 mai au 20 août, et dans l’ensemble des voitures. Depuis, les périodes d’ouverture ne sont restreintes que pendant les heures de pointe (de 7 h à 9 h 30 et de 15 h 30 à 18 h), du lundi au vendredi.

REM. Le Réseau exprès métropolitain a adopté le même horaire que le métro pour faciliter l’intermodalité, mais en autorisant deux vélos par voiture seulement. Le lien entre la station Bonaventure et la gare Centrale est par contre quasiment impossible aux cyclistes comme aux autres voyageurs entravés, et le sera encore assez longtemps.

Bixi. Le lien intermodal peut aussi se faire avec des vélos en libre-service. La location d’un Bixi est possible partout autour des stations de métro. L’Île-des-Soeurs dispose de quatre emplacements de vélos en libre-service, dont deux assez près de la gare de train. Cette fois, Mme Bebronne mentionne la nécessité de rapprocher le plus possible les stations de Bixi des gares de métro ou du REM, de massifier l’offre de vélos, y compris ceux à assistance électrique.

Via Rail. La compagnie de trains interurbains refuse dorénavant les bicyclettes dans ses voitures et Vélo Québec déplore cet empêchement. « C’est là que la comparaison avec l’Europe est la plus décevante », dit la directrice des programmes. Bien que Via Rail ait reculé en matière de transport de vélos, elle assure que ce sera pour mieux avancer plus tard. Les relations médias de l’entreprise expliquent que le remplacement de la flotte actuelle de trains dans le corridor Windsor-Québec force le retrait du service, « de sorte que le transport de bicyclettes et d’autres articles volumineux est temporairement suspendu », dit le message envoyé au Devoir, en ajoutant que « Via Rail réintroduira cette fonctionnalité dès qu’il y aura suffisamment de nouveaux trains pour garantir ce service sur des trajets aller-retour ». Le transporteur a commandé 32 trains au constructeur Siemens. Leur mise en service est prévue en 2024.

Exo. Le service de trains de banlieue de la région métropolitaine accepte les vélos sur l’ensemble de ses lignes (Vaudreuil-Hudson, Saint-Jérôme, Mont-Saint-Hilaire, Candiac et Mascouche) et à tout moment de la journée. « Ils sont acceptés dans toutes les voitures de train, sans restriction de nombre, où ils peuvent être fixés à un support prévu à cet effet », explique Jean-Maxime St-Hilaire, conseiller en relations médias d’Exo. « Nous invitons donc nos usagers à combiner le vélo et le train pour leurs déplacements quotidiens ou récréatifs. » Il donne l’exemple précis de la ligne 12 (Saint-Jérôme), qui permet de relier le centre-ville de Montréal à la piste du P’tit Train du Nord. Exo offre des stationnements sécuritaires (gratuits avec la carte OPUS) aux gares de Vaudreuil, de Sainte-Thérèse, de Sainte-Julie et de Terrebonne. Des Bixi se trouvent à proximité de certaines gares, surtout à Montréal (De la Concorde, Lachine, Saint-Michel–Montréal-Nord, Lucien-L’Allier et Vendôme, etc.).

Intégration tarifaire. L’intermodalité étendue devra nécessairement mener à une forme étendue d’intégration tarifaire. « Avec le même abonnement, il faudrait pouvoir prendre le bus, le métro, le Bixi, résume la directrice des programmes de Vélo Québec. L’intermodalité et la multimodalité demandent qu’on travaille là-dessus. » Le rapport Shared Micromobility (2022) de la North American Bike Share and Scootershare Association (NABSA) vient de montrer, sondage à l’appui, que les usagers sont prêts à payer 22 % de plus en moyenne pour leur carte mensuelle et 25 % de plus pour un ticket individuel afin d’avoir accès au système de location de vélo en partage.

Le modèle néerlandais

Les Pays-Bas, à l’avant-garde mondiale du transport actif et en commun, donnent l’exemple à suivre en matière d’intermodalité. Les grands stationnements intérieurs rattachés aux stations de train néerlandaises peuvent accueillir au total des dizaines de milliers de vélos. Celui sous la gare d’Utrecht permet d’entasser 12 500 bicyclettes sur trois étages souterrains, avec un service de réparation sur place.

Le réseau de transport sur rail néerlandais est l’un des plus développés et des plus performants du monde. Un Néerlandais sur cinq habite à moins d’un kilomètre d’au moins l’une des quelque 400 stations de métro ou de train, et huit sur dix à moins de cinq kilomètres. Les voitures de métro et de train acceptent les bicyclettes, sauf aux heures de pointe (entre 6 h 30 et 9 h et entre 16 h et 18 h 30), et sans restriction l’été.

Surtout, la société de chemin de fer Nederlandse Spoorwegen (NS) propose dans plus de 300 stations des vélos en location, une manière encore plus pratique d’assurer le déplacement intermodal. Ici aussi, beaucoup de gares de métro, du REM ou des trains de banlieue sont liés à des stations de Bixi. Seulement, le modèle néerlandais généralise et massifie cette option en offrant des centaines de vélos en
libre-service dans certaines gares.

Le système OV-fiets déployé partout loue les vélos 4,5 euros par jour. Il existe une version à assistance électrique. Cette offre évite le transport de vélos encombrants, peut-être malpropres, tout en favorisant l’intermodalité, y compris aux heures de pointe. L’intermodalité avec un vélo garé au départ du train et un autre emprunté à l’arrivée, qui dit mieux ?

S. B.


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