Forte chute des interactions sur les comptes Facebook et Instagram des médias canadiens

Entre juillet et août 2023, les médias canadiens ont enregistré une baisse d’interactions moyennes de 63,9 % pour leur contenu diffusé sur Instagram.
Le Devoir Entre juillet et août 2023, les médias canadiens ont enregistré une baisse d’interactions moyennes de 63,9 % pour leur contenu diffusé sur Instagram.

Près d’un mois après le début du blocage des nouvelles annoncé par Meta sur ses plateformes Facebook et Instagram, l’effet commence à se faire sentir : les médias canadiens ont enregistré une baisse d’interactions moyenne de près de 56 % entre les mois de juillet et août 2023 sur les deux plateformes.

En analysant les données d’interaction compilées par l’outil CrowdTangle, lui aussi développé par Meta, Le Devoir a pu observer les performances de près de 73 pages de médias traditionnels canadiens sur Facebook ainsi que 61 comptes Instagram appartenant à des médias au pays.

Pour rappel, Meta a décidé de bloquer le contenu provenant de médias généralistes en réponse à l’adoption par le gouvernement fédéral de la Loi sur les nouvelles en ligne, en juin dernier. Cette loi, qui entrera en vigueur le 19 décembre prochain, forcera entre autres les géants du Web à négocier dès cette année une compensation avec les médias canadiens lorsque leur contenu est diffusé sur leurs plateformes.

Ce blocage a été mis en place de façon progressive. Au début du mois d’août, certains utilisateurs n’avaient déjà plus accès aux nouvelles sur les plateformes de Meta ; vers le milieu du mois, c’était presque la totalité des utilisateurs canadiens qui ne voyaient plus de contenu médiatique sur leurs fils.

En ce qui concerne le nombre d’interactions totales, la baisse est flagrante : on constate une baisse de 54,6 % entre juillet et août 2023 parmi les pages analysées sur Facebook. Sur Instagram, la tendance se maintient : la baisse est de 63,9 %.

Les interactions sur Facebook incluent non seulement les mentions « J’aime » attribuées à une publication, mais aussi les commentaires et le nombre de fois qu’une publication a été repartagée par un utilisateur ou une page. Sur Instagram, seuls les mentions « J’aime » et les commentaires sont comptabilisés par CrowdTangle.

Il faut remarquer toutefois que dans tout le pays, face au blocage annoncé de Meta, plusieurs salles de nouvelles semblent avoir diminué leur fréquence de publication sur ces plateformes, jusqu’à même complètement abandonner la production de contenu dans certains cas. Le nombre de publications a notamment baissé de 15,2 % sur Facebook parmi les pages analysées. Sur Instagram, où le contenu nécessite parfois un travail visuel additionnel, la baisse se chiffre à près de 33,6 %.

Sur Facebook, les pages canadiennes ont enregistré une baisse de 48,8 % en interactions moyennes par publication entre les mois de juillet et août 2023, passant d’en moyenne 129 interactions par publication à environ 66.


 

La tendance est encore plus marquée sur Instagram : les comptes médiatiques analysés ont été marqués par une baisse de 64,2 % des interactions moyennes par publication entre juillet et août de cette année. Le nombre d’interactions moyennes par publication est passé d’environ 796 en juillet à 285 en août.

Peu de solutions à l’horizon

Bien que ces données ne représentent pas l’audience totale des pages et des comptes analysés, la baisse en interactions n’en est pas moins un signe que les nouvelles reculent fortement sur les plateformes de Meta, constate Jean-Hugues Roy, professeur de journalisme à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal.

« Pour beaucoup de plus jeunes citoyens et citoyennes, c’était à travers les réseaux sociaux que de l’information percolait jusqu’à eux. Mais là, il n’y en aura plus », en raison du blocage de Meta, explique-t-il. « Ça, c’est irresponsable. »

Pour beaucoup de plus jeunes citoyens et citoyennes, c’était à travers les réseaux sociaux que de l’information percolait jusqu’à eux. Mais là, il n’y en aura plus.

Même si les utilisateurs ne se retrouvent pas nécessairement sur Instagram ou Facebook avec l’intention précise de s’informer, « la présence d’information enrichit l’expérience [sur la plateforme]. Ça fait de nous des citoyens plus informés, tout simplement ».

Les risques d’un tel mirage numérique, eux, sont bien réels. Face au vide créé par l’absence de médias sur Facebook et Instagram, la désinformation semble lentement, mais sûrement prendre de l’ampleur, a constaté M. Roy. « La désinformation n’est pas si bénigne que ça. Des pages virales vont chercher des articles et les déforment, ou vont ajouter des informations qui sont fausses. C’est une forme de désinformation à des fins lucratives qui est toxique, à mon sens. »

Des pages virales vont chercher des articles et les déforment, ou vont ajouter des informations qui sont fausses.

Selon le professeur, le blocage de Meta met en lumière une faille importante de la Loi sur les nouvelles en ligne : elle ne s’applique qu’aux intermédiaires de diffusion de nouvelles numériques, sans pour autant les forcer à diffuser ce contenu et donc à compenser les médias. « Tout ce que les compagnies ont à faire, c’est d’enlever les nouvelles sur leurs plateformes, puis la loi ne s’applique plus à elles », souligne-t-il.

Tant que le gouvernement fédéral n’impose pas aux géants du Web la diffusion de contenu journalistique, il n’existe encore aucune issue à ce problème, selon M. Roy. « La loi a été adoptée. Il faut soit changer la loi, soit en adopter une nouvelle. »



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