Querelle en vue sur la crise du logement

Le cri du coeur ne vient plus seulement des simples citoyens. Une jeune mairesse de la région de Waterloo avouait récemment qu’elle-même n’arrivait pas à se payer une maison dans sa communauté avec un salaire annuel de 90 000 $ en cumulant trois postes.

La crise est telle qu’après des années, le dossier du logement s’est enfin imposé sur la scène politique parmi les incontournables de la rentrée. Tant à Ottawa qu’à Québec, les premiers ministres Justin Trudeau et François Legault ont finalement décidé d’en faire l’une de leurs grandes priorités. Il y a lieu de se réjouir que dans chacune des capitales, les gouvernements s’efforcent de trouver des pistes de solutions. Celles-ci n’ont toutefois pas encore été étalées que déjà l’on voit poindre un terrain de discorde à l’horizon.

La pression n’est pas que politique, mais aussi et surtout populaire. L’accessibilité au logement figure désormais au troisième rang des préoccupations des Canadiens (il s’agit de la plus importante pour 43 % d’entre eux), tout juste derrière la santé et la hausse du coût de la vie (45 % et 72 % respectivement, selon la maison de sondages Abacus). Le prix moyen des maisons a presque doublé au Canada en huit ans, pour avoisiner aujourd’hui les 700 000 $ ; les loyers sont eux aussi hors de prix.

Il n’y a pas seulement le chef conservateur Pierre Poilievre qui déplore une crise insoutenable. Les citoyens aussi sont excédés de peiner à se loger. « D’avoir l’air de ne pas en faire assez pour le logement pourrait être désastreux politiquement pour les libéraux », prévenait récemment le président d’Abacus, David Coletto.

C’est donc dans cet esprit que le Conseil des ministres de Justin Trudeau se penche depuis lundi sur la question. Le premier ministre concédait pourtant, il y a trois semaines, que le logement n’était « pas une responsabilité première du fédéral ». L’exaspération populaire et les sondages favorables aux conservateurs depuis le début de l’été l’ont visiblement néanmoins convaincu de s’en mêler.

Or, M. Trudeau ferait bien de ne pas oublier si facilement sa propre mise en garde.

Son gouvernement n’a pas encore affiché ses couleurs. Tout au plus laisse-t-il planer l’idée d’une grande rencontre au sommet, réunissant les provinces, les grandes villes, ainsi que des syndicats et des représentants du secteur immobilier de même que de l’industrie de la construction. La possibilité de plafonner l’arrivée d’étudiants étrangers, qui étaient 800 000 à solliciter le marché locatif l’an dernier, a aussi été évoquée.

Un groupe d’experts pancanadiens a cependant été invité à présenter d’autres pistes de solutions au Conseil des ministres. Et du lot, deux des auteurs d’un rapport ayant proposé toute une série de stratégies nationales au gouvernement fédéral. Une stratégie industrielle, qui fixerait des objectifs d’offre et de diversité de logements ; une autre sur l’innovation, qui compterait une politique d’approvisionnement en matériaux novateurs, lesquels seraient évidemment privilégiés par le fédéral ; ou encore l’élaboration d’un code national de zonage, favorisant la densité près des transports en commun. On entend déjà les autres ordres de gouvernements, le Québec au premier chef, sommer Ottawa de ne pas se mêler de ce qui ne le regarde pas.

D’autres propositions fiscales sont plus ciblées. Éliminer la TPS sur les logements qui seraient construits à des fins locatives ; créer une nouvelle « prestation de prévention de l’itinérance » ou revoir l’Allocation canadienne pour le logement afin de mieux soutenir les locataires à faibles revenus.

Le gouvernement Trudeau — si fervent de telles normes nationales, pensons simplement à la santé — doit se souvenir de l’accueil qu’avaient réservé les gouvernements libéral puis caquiste du Québec à sa Stratégie nationale sur le logement de 2017. Le dialogue de sourds avait duré trois ans, jusqu’à ce qu’Ottawa concède un droit de regard au gouvernement québécois. Il y a fort à parier que le gouvernement de François Legault revendiquera de nouveau sa pleine compétence. Après tout, ce sont les autorités fédérales qui ont jadis choisi de se retirer du domaine du logement, il y a près de 30 ans.

Les provinces ne manqueront pas de formuler des demandes maintenant que le regain d’intérêt d’Ottawa s’accompagne d’un financement adéquat. La demande a d’ailleurs déjà été formulée dans leur lettre sollicitant une rencontre avec M. Trudeau pour discuter d’infrastructures, de logement… et d’augmentation de coûts. Le premier ministre fédéral a beau songer à réunir tous les acteurs autour d’une seule table, ses ministres n’ont pas laissé présager jusqu’à présent qu’un investissement supplémentaire éventuel pourrait transiter par les provinces.

Que ce nécessaire chantier de réflexion sur la crise du logement se mette en branle n’est que positif. La crise ne peut plus s’exacerber. Il faudra cependant que ce travail progresse rapidement et, avant tout, dans la collaboration. Les Québécois et les Canadiens qui parviennent à peine à payer leur loyer ou qui n’osent même plus rêver d’accéder à la propriété ne méritent rien de moins.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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