Chambres à louer dans des garages souterrains

Des locataires qui paient le gros prix pour dormir dans une cuisine, dans une pièce lugubre sans électricité ni eau courante ou dans un garage souterrain transformé en maison de chambres : les Montréalais doivent rivaliser d’ingéniosité pour se loger dans un marché où les appartements se font rares — et chers.

Des groupes d’aide aux locataires constatent une « explosion » du nombre de logements « précaires », souvent offerts par des propriétaires sans scrupule. Pour contrer cette tendance jugée alarmante, l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce vient d’adopter un règlement visant à encadrer la conversion de garages en maisons de chambres dites « partielles », a appris Le Devoir.

Les propriétaires d’immeubles souhaitant convertir un garage ou un stationnement souterrain en une maison de chambres doivent désormais respecter une série de critères : ils ont l’obligation de démontrer que leur projet respecte le voisinage (en matière de bruit, de densité de population, de circulation et de gestion des déchets, notamment) et dispose d’une entrée indépendante du reste de l’édifice, pour des raisons de sécurité.

Des garages transformés en maisons de chambres sans permis restent toutefois offerts à des locataires démunis. Richard (qui a demandé à garder l’anonymat par crainte de représailles) a vécu plusieurs mois dans un garage sans adresse, au fond d’une cour, dans le nord de Montréal. Le « studio », loué 375 $ par mois, était muni d’un lit, d’un sofa, d’une cuisinette et d’une salle de bains. Il n’y avait que de minuscules fenêtres.

« C’était sombre et humide. Ça sentait un peu le ciment, des fois. C’était plein de boucane quand je cuisinais. Mais c’était mieux que d’être dehors », dit Richard. L’homme, accompagné par un organisme communautaire, a déménagé dans un « vrai » logement.

Dans un sous-sol miteux

D’autres locataires habitent dans des conditions encore plus difficiles. Jose Lopez, âgé de 59 ans, a vécu plus de trois ans sur un matelas dans une minuscule pièce sans eau ni électricité, au sous-sol d’un immeuble du quartier Côte-des-Neiges. Il avait accès à une toilette dans l’immeuble voisin, via un corridor. Il devait se rendre à un organisme communautaire pour prendre une douche et pour se nourrir.

Le propriétaire du bâtiment l’avait convaincu de rester temporairement dans ces conditions pénibles, le temps que son logement soit rénové. Il n’a jamais pu réintégrer son appartement, dont le loyer avait plus que doublé après les travaux.

« Je me sentais comme dans un trou à rats », dit Jose Lopez, rencontré à son nouveau logement, dans un HLM de Côte-des-Neiges.

L’homme vit de l’aide sociale après avoir subi un accident. Dans un français hésitant, il parle avec émotion de la détresse qui le tenaillait jusqu’au 29 mars 2022, lorsque l’arrondissement de Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce a ordonné l’évacuation de la sombre pièce qu’il occupait depuis des mois.

Ce logement « est de nature à porter atteinte à la santé, à la sécurité et au bien-être des résidents et du public, constitue une nuisance et est impropre à l’habitation. Il contrevient ainsi aux exigences du Règlement sur la salubrité, l’entretien et la sécurité des logements », indique l’avis d’évacuation, que Le Devoir a pu consulter. Nous avons aussi vu des photos de la pièce, où s’entassaient les maigres possessions du locataire.

Un matelas dans la cuisine

 

Margaret van Nooten, intervenante au Projet Genèse, qui accompagne des gens en quête d’un logement, a aidé Jose Lopez à sortir du sous-sol miteux où il croupissait. Elle et ses collègues sont débordés par les demandes d’aide de locataires démunis. Le téléphone sonne sans arrêt dans son bureau. La salle d’attente de l’organisme est bondée de personnes qui craignent de se retrouver à la rue.

« Nous constatons une explosion du nombre de “logements” précaires, tolérés parce qu’il n’y a pas d’autre option, surtout pour les personnes seules qui reçoivent un chèque d’aide sociale », dit-elle, en citant un rapport auquel elle a contribué sur la crise de l’itinérance, qui sera dévoilé le 27 septembre.

« Nous avons visité des maisons de chambres exploitées de manière illégale, où les séparations entre les chambres louées à 600 $ ou à 750 $ sont en carton. Nous rencontrons des citoyennes et des citoyens qui font de la location à la nuit, à la semaine, au mois, d’espaces tels que des planchers de cuisine, d’anciennes chambres de fournaise sans électricité ni eau, de locaux commerciaux plus ou moins transformés, ou encore de cages d’escalier où il est possible de dormir de minuit à 6 h sans être aperçu. Certains propriétaires ont même transformé leur garage en chambres à louer », indique le rapport, publié par le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM).

Le Devoir a pu consulter des documents indiquant qu’un étudiant paie un loyer de 550 $ par mois pour occuper la cuisine d’une maison de chambres improvisée. Le jeune homme a pu installer un matelas dans un coin de la pièce, mais il est constamment dérangé par ses colocataires. Joint par Le Devoir, il a refusé de témoigner publiquement, par crainte de représailles.

Des chambres dans le garage

 

Les maisons de chambres dites « partielles », aménagées notamment dans des stationnements souterrains ou des garages d’immeubles de logements, se multiplient depuis cinq ans, selon un document de l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce.

« La majorité présentent des problématiques d’insalubrité diverses, de gestion des matières résiduelles et de sécurité », indique le document.

Il s’agit d’une façon d’ajouter des logements sur le marché locatif, mais ces conversions soulèvent des craintes : qualité variable des chambres, augmentation de la population dans des secteurs déjà densément peuplés, perte d’espaces de stationnement et tensions entre anciens et nouveaux résidents.

Des travaux de conversion des garages souterrains de cinq immeubles de la rue Bouchette, dans le quartier Côte-des-Neiges, sont en cours. Deux représentants du Devoir ont constaté que quatre « studios » seront aménagés dans chacun des garages. Une cuisine commune sera à la disposition des locataires.

« On va aider les gens à se loger. Les logements à louer sont rares à Montréal », dit Al Chowdhury, gestionnaire chez Mackroc Corporation, qui possède les cinq immeubles où les garages sont convertis en maisons de chambres. Des gens sur place ont indiqué au Devoir que les studios seront offerts à 1000 $ par mois, mais le gérant précise que les loyers restent à déterminer.

Les travaux de conversion ont commencé sans permis de l’arrondissement, révèlent des avis transmis par huissier le 9 janvier 2023, que Le Devoir a consultés. L’entreprise a obtenu par la suite tous les permis requis, confirme Étienne Brunet, chef de division à l’arrondissement. « Des inspections après travaux auront lieu », précise-t-il.

Margaret van Notten dit espérer que les chambres respecteront les normes de santé et de sécurité. « Les locataires de ces maisons de chambres sont vulnérables. Ils sont généralement les derniers à se plaindre. »

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