Jean-François Lisée, chroniqueur sans regret

Tant sa chronique sur J. K Rowling que celle sur le pensionnat autochtone de Kamloops se retrouvent dans «Par la bouche de mes crayons», un recueil qui rassemble plusieurs de ce qu’il juge comme ses meilleurs textes des trois dernières années.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Tant sa chronique sur J. K Rowling que celle sur le pensionnat autochtone de Kamloops se retrouvent dans «Par la bouche de mes crayons», un recueil qui rassemble plusieurs de ce qu’il juge comme ses meilleurs textes des trois dernières années.

Jean-François Lisée avoue volontiers avoir commis quelques erreurs du temps qu’il était politicien, le chroniqueur vedette du Devoir n’éprouve pas le moindre regret en repensant à la kyrielle de textes qu’il a signés dans ces pages depuis son départ de la politique active. Dans son recueil rassemblant ses meilleures chroniques, il en a gardé une cinquantaine, celles qu’il jugeait les meilleures, les plus pertinentes. Certaines avaient suscité de vives réactions au moment de leur parution, mais tant pis, Jean-François Lisée assume tout, au risque de déranger à nouveau.

« Lorsqu’un aspect du réel est occulté dans la couverture journalistique, je trouve ça injuste pour le lecteur. Et quand c’est un dossier que je connais, je me fais un devoir de l’écrire. Ce serait plus intuitif de suivre le narratif dominant, mais c’est plus fort que moi. Je suis conscient que ça attire l’attention, que je suis sur la brèche. Mais est-ce que c’est pour autant de la provocation ? Je ne pense pas. Je n’écris rien avec la volonté de choquer », explique-t-il dans une entrevue accordée quelques jours avant la parution du livre.

Jean-François Lisée prend en exemple sa chronique « Les mystères de Kamloops », publiée en février 2022, dans laquelle il rappelle qu’aucun ossement humain n’a encore été trouvé sur le site de cet ancien pensionnat autochtone de la Colombie-Britannique. Pourtant, un an plus tôt, on disait y avoir localisé les restes de 215 enfants : une nouvelle qui avait fait le tour du monde à l’époque et qui avait suscité une véritable émotion nationale.

il y a toujours des gens plus à gauche et plus à droite que nous. Et moi, je suis toujours un social-démocrate, et je le sais. Ce qui m’intéresse, c’est la justice, l’égalité des chances, l’avancement des droits des minorités…

Cette vague d’empathie pour les peuples des Premières Nations est légitime, selon Jean-François Lisée, qui fait plusieurs fois mention dans ses chroniques des injustices subies à travers le temps par les personnes autochtones. Mais parfois, estime-t-il, quel que soit le sujet, le travail ingrat d’un chroniqueur consiste à remettre les faits en avant, quitte à s’inscrire en faux contre la doxa journalistique.

L’autre gauche

C’est aussi dans cet esprit qu’il a tenu dans Le Devoir à prendre la défense de l’autrice de Harry Potter, J. K. Rowling, jetée en pâture pour ses propos sur le mouvement trans. Ce texte avait engendré énormément de réactions à sa parution en janvier 2022, valant encore une fois à l’ancien chef du Parti québécois d’être taxé de conservateur, voire de réactionnaire.

Des qualificatifs qu’il rejette. Mais, chose certaine, ses positions dans les dernières années — sur le mouvement trans, sur l’immigration ou sur le port du voile — l’ont assurément éloigné d’une partie de la gauche progressiste.

« Est-ce vraiment la gauche, ces gens-là ? De toute façon, il y a toujours des gens plus à gauche et plus à droite que nous. Et moi, je suis toujours un social-démocrate, et je le sais. Ce qui m’intéresse, c’est la justice, l’égalité des chances, l’avancement des droits des minorités… Les causes qui sont portées par ceux qu’on appelle les wokes aujourd’hui sont les bonnes. Elles existaient avant même que le mot woke existe. Mais la méthode que les wokes proposent pour y arriver n’est pas la bonne dans la plupart des cas », tranche-t-il.

50 nuances de Lisée

Tant sa chronique sur J. K. Rowling que celle sur le pensionnat autochtone de Kamloops se retrouvent dans Par la bouche de mes crayons, un recueil qui rassemble plusieurs de ce qu’il juge comme ses meilleurs textes des trois dernières années. Ceux qui ont le mieux vieilli, du moins.

Dans le cadre de cet ouvrage, publié aux éditions Somme toute/Le Devoir, il s’est permis d’allonger certaines chroniques pour aller au bout de sa pensée sur certains sujets qui lui tiennent à coeur. Jean-François Lisée a aussi dérogé au concept en incorporant à son livre quelques textes qui sont parus avant son entrée au Devoir. C’est le cas d’une chronique publiée en 2011 dans L’Actualité intitulée « Regarder les hommes tomber », dans laquelle il se réjouit que certains comportements machos autrefois tolérés soient devenus inadmissibles à l’ère où s’accélère la marche vers l’égalité.

Six ans avant le mouvement #MeToo, Jean-François Lisée se plaît à penser qu’il aura été en avance sur son époque sur ces questions. De quoi clouer le bec à ceux et celles qui seront tentés de l’accuser de retarder le groupe lorsqu’il se permet aujourd’hui d’émettre quelques réserves sur les mouvements de dénonciation.

« On entre dans le siècle des femmes, et on n’a encore rien vu. Je m’en réjouis. Mais comme pour tous les grands changements, il y aura des dommages collatéraux, c’est certain. Et il faut corriger à mesure que l’on avance. Par exemple, les procès anonymes sur la place publique, c’est non. Croire les victimes, oui, mais pas à tout prix. Il faut quand même accepter la règle de preuve. Et c’est d’ailleurs extraordinaire que la règle de preuve soit en train de changer au profit de la victime », tempère celui qui collabore également avec Radio-Canada à titre d’analyste politique.

Surpris par Legault

Cet ancien journaliste est revenu dans les médias par la grande porte après avoir conduit les péquistes à une défaite cinglante à l’élection de 2018. Jean-François Lisée, qui avait été battu dans sa propre circonscription, a depuis passé l’éponge. De toute manière, il a bien davantage souffert de la défaite de 2014, quand il était ministre de Pauline Marois, et de celle du référendum de 1995, quand il était conseiller de Jacques Parizeau. En 2018, Jean-François Lisée savait la déconfiture du Parti québécois inévitable.

« Peut-être que quelqu’un d’autre aurait mieux fait que moi. Mais la défaite s’inscrivait dans un cycle de désamour du parti qui n’était pas encore venu à sa fin en 2018. Je pense que la fin de ce cycle, ça a été l’élection de 2022 », avance l’ancien stratège péquiste, qui a toujours sa carte de membre du parti.

Il prévoit que, sous Paul St-Pierre Plamondon, le PQ remontera la pente au prochain scrutin. Mais force est d’admettre qu’entre-temps le gouvernement de François Legault est peut-être un moindre mal. Du bout des lèvres, Jean-François Lisée reconnaît même avoir été parfois agréablement surpris par celui qui l’a battu, il y a cinq ans.

« Notre grande crainte, c’était qu’il réduise la taille de l’État et, finalement, ça ne s’est pas passé. Sur les questions sociales, il a souvent bien fait. Il faut dire qu’il a hérité d’une très bonne situation budgétaire et que l’économie du Québec a continué de bien se porter. […] Dans la laïcité, il a aussi fait ce qu’il fallait, même si ce n’était pas le dossier avec lequel il était le plus à l’aise », note-t-il, avant de préciser que, sur la protection du fait français, François Legault a toutefois pour l’instant un bilan en demi-teinte.

« La loi 96 est un bon début, mais ce n’est pas suffisant. Mon rôle dans les prochaines années, avec d’autres, ce sera de leur mettre assez de chaleur en dessous des pieds pour qu’il sente l’urgence d’agir », promet l’infatigable chroniqueur.

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