Les lectures publiques plus populaires que jamais

«Baldwin, Styron et moi», de Melikah Abdelmoumen et Jonathan Vartabédian, a été créé en 2021 au FIL et tourne toujours cet automne.
Marie-Andrée Lemire «Baldwin, Styron et moi», de Melikah Abdelmoumen et Jonathan Vartabédian, a été créé en 2021 au FIL et tourne toujours cet automne.

La lecture publique a mué au Québec dans les vingt dernières années. Perçues d’abord comme une rencontre hypernichée pour les auteurs et leurs intimes, ces lectures feuilles en main sont maintenant considérées comme une forme en soi, un spectacle complet. Au fil des festivals, la lecture publique a gagné ses lettres de noblesse. Regard sur ces textes spectacles, et sur ce qu’ils disent de nos scènes.

Si le Centre des auteurs dramatiques (CEAD) fait régulièrement des lectures publiques depuis 1968, il y a eu depuis ce centre une véritable onde sismique. Émilie Coulombe, doctorante à l’Université de Montréal, parle des lectures publiques comme d’« un phénomène en effervescence au Québec », particulièrement depuis le début des années 2000.

Avant, la lecture publique était vue surtout comme un tremplin, au service de l’auteur si son texte est encore en écriture, pour l’aider dans sa création. Ou pour l’aider à le « vendre » comme future production, explique la spécialiste.

Mais l’arrivée des festivals, en « institutionnalisant » ces lectures, selon Mme Coulombe, amorce un tournant marquant. Le Festival international de littérature (FIL) court alors depuis 1994. Le Jamais Lu démarre en 2002. Le Festival Voix d’Amérique ira de 2002 à 2011. Et s’ajouteront Zone Homa (2009), Québec en toutes lettres (2010), et l’encore tout neuf Mots de la Rive (2019), à Rivière-du-Loup.

« En France, ils ont vécu une effervescence des lectures publiques au début du XXe siècle », contextualise Mme Coulombe, « en réaction au grand règne des metteurs en scène ». « Au Québec, on n’a pas le même pattern. On n’a pas eu cet effacement de l’auteur ; il y en a toujours eu dont on reconnaissait l’importance », comme Normand Chaurette ou Michel Tremblay.

« Mais on retrouve ce même mouvement pour redonner une parole qui passe par le corps, pas juste pour le contenu mais aussi pour son contenant », réfléchit Mme Coulombe. « Et alors on ne travaille pas du tout le texte de la même façon. »

Le littéraire vivant, sonnant, soufflant

 

Les textes lus sur scène ne sont pas de la même voix. Au FIL, on se concentre sur la littérature. « Tout ce que je présente doit donner envie aux gens de lire un livre ensuite », rappelle la fondatrice Michelle Corbeil à l’aube de la 29e édition du festival.

« Ça peut prendre plusieurs formes », poursuit Mme Corbeil, comme une soirée cabaret où 15 poètes viennent lire. Ou encore comme la lecture spectacle, tel Baldwin, Styron et moi, de Melikah Abdelmoumen et Jonathan Vartabédian, créé en 2021 au FIL et qui tourne toujours cet automne.

Ou ce peut être un laboratoire, qui deviendra plus tard un autre spectacle. Comme pour les correspondances entre Albert Camus et Maria Casarès, mises en lecture par Dany Boudreault, qui, après le FIL 2021, sont devenues spectacle au Théâtre du Nouveau Monde au début 2023.

 

Le Jamais Lu, lui, est axé autour des textes de théâtre inédit. Car « pour qu’un texte théâtral soit terminé, il faut qu’il soit entendu », rappelle la cofondatrice Marcelle Dubois. On vient là « casser un texte ». « C’est du littéraire vivant. »

À peu près 75 % des textes qui y passent deviennent ensuite des productions théâtrales. « Ce n’est pas ça qu’on cherche à faire, parce que, pour nous, la lecture est une forme complète ; mais on constate que ça le fait », explique Mme Dubois, en se remémorant qu’à sa première édition, on avait pu entendre au Jamais Lu Bashir Lazhar, d’Evelyne de la Chenelière.

Avec désormais quatre satellites — à Québec, à Paris, aux Caraïbes, et un mobile qui se promène dans la province —, le défi du Jamais Lu, Marcelle Dubois en est consciente, est « de rester sauvage », de conserver son esprit de friche.

De la lecture comme du non-jeu

 

Cette nouvelle popularité des lectures publiques, comment l’expliquer ? « Ça rejoint les tensions esthétiques qui animent nos scènes. Il y a un goût actuellement pour la “parole authentique” », nomme-t-elle. Dans la même foulée, par exemple, que le théâtre documentaire, le non-jeu, la présence de non-acteurs, l’inclusion de témoignages directs.

Elle poursuit : « La lecture permet de voir le travail de l’acteur, du lecteur ; de le voir à l’oeuvre, de voir son souffle, d’entendre la physique des mots, de voir comment ils résonnent dans l’espace.  »

Michelle Corbeil nomme de son côté la professionnalisation des lectures. Le FIL est né à la base du désir de l’Union des écrivains et écrivaines du Québec de produire des spectacles pour les auteurs — sur scène. Elle en rit : « Ça durait des fois quatre heures de long. Je me rappelle être appuyée sur la console en arrière du Lion d’or en me demandant “Mon Dieu ! Ça va-tu finir ?!” »

« Au fil du temps, on a de plus en plus mis les outils des arts vivants au service de la littérature. C’est ce qui a le plus changé. Maintenant, ce sont des acteurs qui viennent me présenter des projets parce qu’ils sont tombés amoureux d’un texte, qu’ils veulent le partager, le faire entendre sans tous les artifices du théâtre. »

D’expliciter Émilie Coulombe : « Ces lectures foisonnent parce qu’il y a un changement dans l’idée de ce qu’est le travail de l’acteur. Avant, un bon acteur, c’était une mémoire. Les spectateurs étaient impressionnés qu’il retienne autant de texte par coeur. Aujourd’hui, l’acteur peut se tenir à la frontière de la performance. Et certains acteurs, comme Maxime Brillon, me disent qu’ils ne se souviennent plus de la dernière fois qu’ils ont dû mémoriser un texte. »

La petite cassette qui part

 

Le créateur multidisciplinaire, qui fait partie du collectif Tôle, corrige : « C’est vrai que je n’apprends plus jamais un texte comme on m’a dit de le faire à l’école de théâtre. Souvent, quand on apprend par coeur, on est assis sur un fauteuil, le corps ne bouge pas. Pis après, quand on se rappelle, on a une cassette qui part dans la tête, avec sa petite musique, toujours la même. »

Maxime Brillon croit que le travail de la mémoire peut changer le rapport du texte et du corps. Au point où Tôle expérimente de nouvelles manières d’apprendre par coeur, en projetant le texte sur les murs dans le studio de répétition ou en le recopiant sur un genre de tapis déroulé tout au long de la représentation.

Il y a eu multiplication des festivals de lectures, note Émilie Coulombe. Et multiplication des lectures un peu partout, mais aussi à l’intérieur même des pièces de théâtre.

Ainsi, dans J’aime Hydro et dans Un, Christine Beaulieu et Mani Soleymanlou s’avancent respectivement papier en main « pour une scène de lecture, comme si ça faisait ressortir plus de vulnérabilité », illustre-t-elle.

Le rapport au corps serait, dans la lecture publique, plus direct. Pour Marcelle Dubois, il existe là « une convention théâtrale unique de la mise en lecture ». « On ne fait pas semblant : il y a le lutrin, le texte, et on dirait que le transfert d’énergie se fait alors plus fortement. C’est comme en musique, enchaîne-t-elle, la différence entre le show live et le disque. Il y a une proximité de la parole. Cela crée un effet de cage thoracique à cage thoracique, ça passe par le corps. »

Jamais mobile

Au Centre de création diffusion de Gaspé et en audiodiffusion en direct, jusqu’au 21 septembre

Festival international de littérature

À Montréal, du 20 au 30 septembre

Québec en toutes lettres

À Québec, du 12 au 22 octobre

La grange, un concert narratif « augmenté »

Au Bain Mathieu, à Montréal, les 29 et 30 septembre

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