Les vins québécois au resto, une bouteille à la fois

Sophie Ginoux
Collaboration spéciale, cariboumag.com
De plus en plus de viticulteurs locaux trouvent preneurs pour leurs produits, ce qui incite une relève souvent plus formée et plus audacieuse à se lancer dans l’industrie.
Photo: iStock De plus en plus de viticulteurs locaux trouvent preneurs pour leurs produits, ce qui incite une relève souvent plus formée et plus audacieuse à se lancer dans l’industrie.

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs

Il y a quelques années à peine, on trouvait peu de vins québécois sur la carte des restaurants. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les vins locaux sont-ils aussi présents dans les restos que sur les tablettes des épiceries spécialisées ? Et quelle relation entretiennent à présent les viticulteurs québécois avec les restaurateurs et leur clientèle ? Cinq professionnels nous font part de leur expérience et de leurs observations.

Quand on lui demande si la présence de vins québécois sur la carte d’un restaurant est importante, le chroniqueur Ronald Georges, auteur de Rouge sur blanc. À la découverte des vins et spiritueux du Québec, paru en 2019, répond spontanément : « Absolument ! Désormais, tout bon resto du Québec qui se respecte doit représenter son territoire, et donc avoir des vins québécois sur sa carte. »

Ça semble une évidence. Pourtant, il y a à peine 20 ans, la situation était encore tout autre. Le vigneron Charles-Henri de Coussergues, qui a fondé en 1982 le Vignoble de l’Orpailleur, à Dunham, se souvient des rudes batailles qu’il a menées, entre autres celle qui a permis aux vignerons de vendre directement leurs vins aux restaurateurs, ce qui n’a été possible qu’en 1998.

« J’ai pris mon bâton de pèlerin pendant trois, quatre ans pour que des établissements dont les propriétaires et les sommeliers n’étaient pas formés aux typicités des vins d’ici prennent des produits envers lesquels ils entretenaient beaucoup de préjugés, raconte-t-il. Ils en commandaient parfois un pour faire une bonne action, mais ça n’allait pas plus loin que ça. Ce n’est qu’à compter du moment où ils ont commencé à en vendre au verre à leur clientèle, qui les a appréciés, que notre positionnement a été plus significatif. »

La place des vins québécois

Aujourd’hui, l’Orpailleur dispose d’une gamme de 14 produits, dont 5 en moyenne se trouvent sur la carte de 170 restaurants de la province. Charles-Henri de Coussergues n’a donc plus à lutter pour que ses vins rayonnent. Il a également noué des liens avec un certain nombre de sommeliers, qu’il n’a plus besoin de démarcher puisqu’ils viennent lui rendre visite à son domaine.

De plus en plus de viticulteurs locaux trouvent preneurs pour leurs produits, ce qui incite une relève souvent plus formée et plus audacieuse à se lancer dans l’industrie. Comme le dit le sommelier et copropriétaire du bar à vin nordique et nature montréalais vinvinvin, Nikolas Da Fonseca, « le jour où on a compris qu’on devait faire des vins québécois et non des copies de ce qui se fait ailleurs, les perceptions ont changé. À présent, on ne se contente plus d’acheter quelques vins québécois, on peut faire un vrai travail de sommellerie en sélectionnant ses préférés parmi les nombreux vins offerts. Et surtout, on boit du vin québécois parce qu’il est bon, et non pas parce qu’il vient d’ici ».

Selon les données compilées par le Conseil des vins du Québec, on dénombrait au printemps 2023 158 domaines viticoles artisanaux dans la province, qui produisaient un peu plus de trois millions de bouteilles annuellement. Et les prévisions de développement sont prometteuses.

Toutefois, lorsqu’on s’attarde à la consommation, on constate que les ventes de vins québécois ne représentent que 1 % du marché de la province et qu’elles sont essentiellement réalisées dans les épiceries et à la SAQ. La restauration n’avalait que 6 % de ces ventes en 2021. Les vins québécois sont-ils donc aussi populaires qu’on le dit à nos bonnes tables ?

Une restauration hésitante

Même si beaucoup de restaurants québécois se targuent d’avoir à leur carte quelques vins locaux, ces derniers ne représentent en réalité qu’une sorte de vitrine. Au vinvinvin, par exemple, on en remarque seulement deux ou trois sur les 55 au menu.« J’aime proposer de tout », dit Nikolas Da Fonseca, qui observe tout de même attentivement la croissance des vins nature au Québec.

Outre les choix personnels des sommeliers et des restaurateurs, d’autres éléments concourent, semble-t-il, à cette présence encore famélique. Tout d’abord, une production restreinte, selon Ronald Georges : « 3,1 millions de bouteilles produites au Québec [en 2021], c’est peu par rapport aux dizaines de millions venues d’ailleurs qui se détaillent à la SAQ et dans les épiceries. Il ne faut pas s’étonner que certains domaines prisés, comme ceux du Nival, des Pervenches, de Négondos ou de Pinard & Filles, vendent leur production annuelle en quelques heures. »

Mathieu Cloutier, copropriétaire du Ninkasi, seul établissement au Québec, selon ses dires, à proposer uniquement des vins québécois sur sa carte, reconnaît ce problème. Ouvert depuis 15 ans, cet établissement s’est doté d’un menu de restaurant complet il y a trois ans avec l’ambition de proposer plus de 30 vins québécois à sa clientèle. « Mais j’ai eu le coeur brisé à certains moments en voyant que le tiers des vignobles étaient insensibles à notre projet et ne voulaient pas devenir nos fournisseurs, soit par manque de volume, soit parce qu’ils préféraient privilégier d’autres restaurants », raconte-t-il. Pourtant, les ventes sont au rendez-vous : il n’est pas rare que plusieurs caisses d’un même produit s’écoulent chaque semaine. Le Ninkasi a donc revu ses plans à la baisse et propose désormais 16 vins québécois, dont 8 au verre.

De son côté, Giovanni Périard, sommelier depuis 25 ans et propriétaire du restaurant L’Introuvable, situé à Vallée-Jonction, dans Chaudière-Appalaches, admet lui aussi que l’approvisionnement peut être difficile. « Les vins québécois constituent 25 % de ma carte et 35 % de mes ventes, ce qui n’est pas négligeable, dit-il. Mais le plaisir d’en proposer vient avec un degré de complexité supplémentaire, car il faut que je réalise de grosses commandes pour en avoir tout le temps en stock. »

Les deux restaurateurs évoquent aussi les prix auxquels se détaillent les vins québécois par rapport à des produits venus d’ailleurs. « Il est évident que comparer un vin d’ici et un bourgogne blanc qui coûtent tous deux 30 $, ce n’est pas productif, indique Giovanni Périard. Mais il ne faut pas juste penser au prix. C’est mon rôle, à titre de restaurateur, de mettre ces vins en avant et d’en expliquer la valeur auprès de mes clients. » Mathieu Cloutier est encore plus formel : « Honnêtement, il n’y a pas de marge de profit à faire avec les vins québécois. Nous respectons simplement notre éthique en les proposant, sans gain ni perte au bout du compte. »

Des consommateurs divisés

Les Québécois adorent le vin, ce n’est pas nouveau. Selon un sondage réalisé en 2021 par la firme SOM pour le compte du Conseil des vins du Québec, 40 % d’entre eux le privilégient à tout autre alcool, y compris la bière, qui arrive en deuxième position. En revanche, les avis sont encore partagés concernant les vins québécois.

« Il faut tenir compte du fait que nous avons été habitués, avec la SAQ, à voyager avec des vins du monde entier, avance Ronald Georges. Une certaine partie d’entre nous se souviennent aussi des vins québécois d’avant, qui n’étaient pas très bons en général. »

« Il y a encore des réticences vis-à-vis des vins québécois, corrobore Mathieu Cloutier. J’ai régulièrement vu des clients quitter leur table avant de commander parce qu’il n’y avait pas de vins étrangers sur la carte. Pourtant, je me suis déjà amusé à faire goûter à l’aveugle des vins d’ici et tout le monde les avait aimés sans même connaître leur provenance au préalable. » Même son de cloche du côté de Giovanni Périard, qui affiche maintenant ses couleurs dès que les menus sont remis aux clients. « La plupart sont ouverts d’esprit, mais certains sont encore attachés à des vins plus typiques des climats chauds, avec de la force et du sucre résiduel, indique-t-il. Je n’insiste pas quand c’est le cas. »

Fort heureusement, les résistances tombent une à une. Comme l’indique Charles-Henri de Coussergues, les vins québécois gagnent sans cesse en qualité, et les palais des consommateurs se sont familiarisés avec des typicités qui étaient auparavant considérées comme des défauts. « L’industrie du vin québécois est encore jeune, dit-il. Et tout comme notre cuisine, elle a la chance de ne pas être étouffée par le poids des traditions, comme les contraintes des appellations. Je ne doute donc pas que les vins québécois sauront un jour s’imposer sur les cartes des restaurants du Québec, et même d’ailleurs. » Les paris sont lancés.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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