Les gardes-frontières saoudiens auraient tué des centaines de migrants éthiopiens

Des Éthiopiens rapatriés d’Arabie saoudite arrivent à l’aéroport Bole d’Addis-Abeba, en Éthiopie, le 30 mars 2022.
Eduardo Soteras Agence France-Presse Des Éthiopiens rapatriés d’Arabie saoudite arrivent à l’aéroport Bole d’Addis-Abeba, en Éthiopie, le 30 mars 2022.

Les gardes-frontières saoudiens ont tué des « centaines » de migrants éthiopiens qui ont tenté de pénétrer dans la riche monarchie en passant par sa frontière avec le Yémen entre mars 2022 et juin 2023, a dénoncé Human Rights Watch (HRW) dans un rapport publié lundi.

Des centaines de milliers d’Éthiopiens travaillent en Arabie saoudite. Ils ont parfois emprunté la « route de l’Est » reliant la Corne de l’Afrique aux contrées du golfe Persique, en passant par le Yémen, pays pauvre et en guerre depuis plus de huit ans.

Les autorités saoudiennes contestent les faits rapportés par l’ONG. « Les allégations contenues dans le rapport de HRW selon lesquelles des gardes-frontières saoudiens auraient tiré sur des Éthiopiens traversant la frontière entre l’Arabie saoudite et le Yémen sont infondées et ne reposent pas sur des sources fiables », a déclaré à l’AFP une source gouvernementale saoudienne.

Les États-Unis, partenaires de longue date de la monarchie du Golfe, ont tout de même appelé à une enquête. « Nous avons fait part de nos inquiétudes concernant ces allégations au gouvernement saoudien », a précisé un porte-parole du département d’État. « Nous appelons les autorités saoudiennes à conduire une enquête approfondie et transparente et à respecter leurs obligations en vertu du droit international. »

Dans son rapport de 73 pages, HRW s’appuie sur des entretiens avec 38 migrants éthiopiens ayant tenté de pénétrer en Arabie saoudite depuis le Yémen, sur des images satellites ainsi que sur des vidéos et photos publiées sur les réseaux sociaux « ou recueillies auprès d’autres sources ».

38
C’est le nombre de migrants éthiopiens qui ont participé aux entretiens sur lesquels s’appuie le rapport de 73 pages de Human Rights Watch.

Les personnes interrogées ont parlé d’« armes explosives » et de tirs à bout portant, les gardes-frontières saoudiens demandant aux Éthiopiens « sur quelle partie de leur corps ils préféreraient que l’on tire ».

« Les autorités saoudiennes tuent des centaines de migrants et de demandeurs d’asile dans cette zone frontalière reculée, à l’abri du regard du reste du monde », a déclaré dans un communiqué Nadia Hardman, spécialiste des migrations à HRW. Les « milliards dépensés » dans le sport et le divertissement « pour améliorer l’image de l’Arabie saoudite » ne devraient pas détourner l’attention de « ces crimes horribles », a-t-elle fustigé.

« L’utilisation d’une force potentiellement létale à des fins de maintien de l’ordre est une mesure extrême à laquelle il ne faut recourir qu’en cas de stricte nécessité », a déclaré à l’AFP la porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, Liz Throssell. « La tentative de franchissement d’une frontière, même si elle est illégale au regard du droit national, ne répond pas à cette exigence », a-t-elle ajouté.

Meurtre « généraliséet systématique »

Les ONG accusent régulièrement Riyad d’investir dans les grands événements sportifs et culturels pour « détourner l’attention » des graves violations des droits de la personne et de la crise humanitaire au Yémen, où l’armée saoudienne est impliquée.

Le meurtre « généralisé et systématique » des migrants éthiopiens pourrait même constituer un crime contre l’humanité, estime HRW.

L’année dernière, des experts de l’ONU ont fait état d’« allégations préoccupantes » selon lesquelles « des tirs d’artillerie transfrontaliers et des tirs d’armes légères par les forces de sécurité saoudiennes ont tué environ 430 migrants » dans le sud de l’Arabie saoudite et le nord du Yémen durant les quatre premiers mois de 2022.

Le nord du Yémen est largement contrôlé par les Houthis, des rebelles combattus depuis 2015 par l’Arabie saoudite, qui soutient les forces progouvernementales.

Des migrants ont déclaré à HRW que les forces houthies collaboraient avec les passeurs et leur avaient extorqué de l’argent ou les avaient transférés dans ce que les migrants décrivent comme des centres de détention. Ils ont affirmé que des personnes y étaient maltraitées jusqu’à ce qu’elles puissent payer un « droit de sortie ». Les Houthis ont nié travailler avec les passeurs, les décrivant comme des « criminels ».

« Pluie » de balles

Dans les témoignages recueillis par HRW, des migrants racontent des scènes d’horreur : « femmes, hommes et enfants éparpillés dans le paysage montagneux, gravement blessés, démembrés ou déjà morts ».

« Ils nous tiraient dessus, c’était comme une pluie [de balles], témoigne une femme de 20 ans, originaire de la région éthiopienne de l’Oromia, citée par l’ONG. J’ai vu un homme appeler à l’aide, il avait perdu ses deux jambes, mais, raconte-t-elle, on n’a pas pu l’aider parce qu’on courait pour sauver nos propres vies. »

Des personnes voyageant en petits groupes ou seules ont affirmé que des gardes-frontières les avaient frappées avec des pierres et des barres de métal, selon le rapport. Quatorze personnes interrogées ont été témoins ou ont elles-mêmes été blessées par des tirs à bout portant, ajoute HRW. Certaines ont déclaré que les gardes-frontières saoudiens descendaient de leurs postes d’observation et frappaient les survivants.

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