Le REM est difficilement accessible aux voyageurs à mobilité réduite

Des usagers du REM au départ de la gare Centrale de Montréal, le 30 juillet dernier
Valérian Mazataud Le Devoir Des usagers du REM au départ de la gare Centrale de Montréal, le 30 juillet dernier

Il est très difficile, voire impossible, aux personnes à mobilité réduite de passer du métro Bonaventure au Réseau express métropolitain (REM) à la gare Centrale de Montréal, le coeur du système intermodal en développement de la métropole. Le parcours comprend des escaliers mobiles, des escaliers fixes et des portes tournantes infranchissables avec un vélo, une grande poussette ou, bien sûr, un fauteuil roulant.

Ce parcours inhospitalier — et potentiellement dangereux — ne répond pas aux normes d’aménagement des nouveaux édifices prévues au Code du bâtiment ; il contrevient aussi aux bonnes pratiques pour faciliter l’intermodalité dans les transports.

Les rénovations et les changements nécessaires pour faciliter le passage d’un système de transport en commun à l’autre n’ont pas été réalisés malgré les milliards de dollars dépensés depuis quelques années. Ce défaut majeur s’ajoute à celui de la signalétique déficiente et aux problèmes de billetterie dénoncés par les usagers et les médias depuis l’inauguration estivale du REM.

« Cette situation est déplorable », dit Marie Turcotte, directrice générale d’Ex aequo, un organisme montréalais de promotion et de défense des droits des personnes ayant une déficience motrice. Le 14 août, elle a constaté de visu ces défauts d’aménagement. « On est étonnés qu’encore une fois, les facilités de déplacement pour les personnes à mobilité réduite ne soient pas les mêmes. »

Photo: Stéphane Baillargeon Le parcours entre la station de métro Bonaventure et la gare Centrale de Montréal comprend des portes tournantes infranchissables avec un vélo.

Elle rappelle que les aménagements souhaitables profitent à beaucoup de gens, des femmes enceintes aux voyageurs lourdement chargés, en passant par les personnes âgées. « L’accessibilité universelle est bonne pour toute la population », résume-t-elle.

Une patate chaude

 

Alors, à qui la faute ? La Société de transport de Montréal (STM), responsable de la station Bonaventure, comme CDPQ-Infra, propriétaire du REM, renvoient la boulette ardente à l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM). C’est cet organisme de planification et de financement des services de transport collectifs qui coordonne les aménagements du parcours de quelques dizaines de mètres entre la gare et la station, et qui n’y est pas encore parvenu.

« Il existe un enjeu d’accessibilité dans ce pôle intermodal entre la station Bonaventure et la gare Centrale », admet Séléna Champagne, conseillère en relations publiques de l’ARTM, en réponse par courriel au Devoir. « Les infrastructures n’ont pas été conçues à l’époque pour répondre à des besoins de mobilité universelle, alors nous devons composer avec cette réalité. Il s’agit d’un dossier complexe regroupant plusieurs intervenants, comme des opérateurs de transport, des partenaires municipaux et des groupes immobiliers. »

Les infrastructures n’ont pas été conçues à l’époque pour répondre à des besoins de mobilité universelle, alors nous devons composer avec cette réalité.

L’ascenseur est un équipement clé pour franchir des étages avec un vélo, des bagages ou une poussette. La STM en a installé à Bonaventure, comme dans 24 autres stations de son réseau, qui en compte 70. Le REM a aussi respecté les normes d’aménagement pour la mobilité réduite, y compris avec des ascenseurs dans les quatre gares de la première ligne, dont celle de Montréal, mais uniquement pour un lien entre la surface et les quais. Cet ascenseur tout neuf a d’ailleurs connu une panne prolongée pendant cet été, notamment lors de la tentative d’essai du REM de Marie Turcotte il y a deux semaines.

Le problème vient donc des espaces souterrains appartenant à d’autres instances privées ou publiques. Les plans initiaux dévoilés en 2016 au Bureau d’audiences publiques pour l’environnement prévoyaient un lien direct entre la gare du REM et la station Bonaventure. Ils ont été modifiés par la suite. L’ARTM, elle, en est à la huitième ébauche d’une solution. « Plusieurs scénarios ont déjà été étudiés, mais se sont révélés impossibles en raison des contraintes techniques comme la complexité des bâtiments, la valeur patrimoniale du bâtiment, des éléments ne pouvant pas être déplacés, comme des puits d’évacuation ou des systèmes de télécommunication en place, etc. », explique encore la porte-parole de l’ATM.

« Présentement, des architectes procèdent à des analyses qui conduiront vers la nouvelle solution. Lorsque la solution sera définitive, nous pourrons commencer l’ingénierie détaillée, la construction et l’approvisionnement en pièces, matériel et équipement. Nos équipes ont vraiment [bon espoir] d’améliorer le trajet. »

Cette solution ne misera pas sur l’installation d’un ascenseur, notamment en raison de la présence de fibres optiques enfouies quasiment impossibles à déplacer. Les consultants proposent d’opter pour un monte-charge conçu à l’étranger permettant de se déplacer en pente, le long d’un escalier. Il a été impossible d’obtenir un échéancier de construction ou une évaluation des coûts possibles des correctifs.

En attendant la solution plus pérenne, l’ARTM promet de mettre en place un parcours pour les personnes à mobilité réduite passant par la surface, à l’extérieur de la station Bonaventure et de la gare Centrale.

Des problèmes de balisage

 

La signalétique déficiente ajoute de l’embarras. Il est donc très difficile pour les passages à mobilité restreinte de passer de Bonaventure au REM. Et il est compliqué pour tous les voyageurs, même sans « limitations fonctionnelles », de comprendre le chemin pour y arriver.

L’ARTM devait procéder à des changements dans la nuit de jeudi à vendredi. « Mais il est important de préciser que chaque opérateur de transport (STM et REM) est responsable des indications à l’intérieur de son réseau », ajoute Mme Champagne.

Ironiquement, l’ARTM, en collaboration avec la STM, le REM et d’autres organismes de transport en commun, a lancé le 29 août un programme d’apprentissage pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles « afin de les outiller pour qu’elles utilisent les réseaux réguliers de bus, de métro, du REM et des trains de la région métropolitaine », explique le communiqué.

Métro, réseau, vélo, bobo

Les cyclistes aiment généralement le transport en commun. La réciproque ne paraît toujours pas évidente en ce pays-ci.

Au départ, mardi matin, la randonnée faite pour tester le transport intermodal vélo, métro et REM allait pourtant comme sur des roulettes. Avec en prime, un ascenseur tout récent à la station Mont-Royal. Cet équipement vertical essentiel sert les voyageurs avec bicyclette ou poussette, mais aussi les personnes à mobilité réduite, en fauteuil roulant ou chargées de bagages.

Bonaventure est déjà du nombre des stations accessibles. Mais les choses se gâtent une fois passées les guérites du métro, dans les tunnels de la ville souterraine. Le parcours vers le REM, mal balisé, mène vite à des portes tournantes quasi infranchissables avec un vélo ou une poussette. Pour un fauteuil roulant, c’est carrément impossible.

Le préposé du métro a suggéré un autre parcours avec un ascenseur conduisant au rez-de-chaussée du 1000 De La Gauchetière, dépourvu d’indications vers l’entrée du REM, trouvé de peine et de misère.

Le court voyage en train de surface du REM a été franchement très agréable — avec tout de même ce constat imparable de la très faible part accordée au stationnement des vélos dans chacune des quatre premières stations du réseau régional. Le stationnement de Brossard, pourtant lié à une piste cyclable, n’a qu’une vingtaine de places extérieures pour les bicyclettes.

Au retour, la reconnexion de la gare Centrale à la station Bonaventure a été encore plus pénible qu’à l’aller. Une fois passé un petit ascenseur, deux escaliers mobiles et deux fixes, puis quelques portes non mécaniques, toujours avec le vélo, sur un chemin lui aussi à peine fléché, ramènent pile de l’autre bord des portes-tambours. Cette fois, l’obstacle a été franchi de justesse avec le vélo levé sur sa roue arrière. Il a fallu l’aide d’une voyageuse en sens contraire pour actionner les portes coinçant le journaliste du Devoir et son vélo.



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