Le magnat de l’immobilier Srettha Thavisin désigné premier ministre en Thaïlande

Srettha Thavisin a promis de mener un programme ambitieux sur le plan économique, mettant en avant ses succès à la tête du géant immobilier Sansiri pour rétablir un pays qui stagne depuis la pandémie.
Manan Vatsyayana Agence France-Presse Srettha Thavisin a promis de mener un programme ambitieux sur le plan économique, mettant en avant ses succès à la tête du géant immobilier Sansiri pour rétablir un pays qui stagne depuis la pandémie.

L’homme d’affaires Srettha Thavisin a été désigné premier ministre de la Thaïlande mardi au cours d’une journée marquée par l’incarcération de son mentor, l’ancien dirigeant Thaksin Shinawatra, écroué à son retour au pays après quinze ans d’exil lié à ses condamnations pour corruption.

Le milliardaire âgé de 74 ans, au pouvoir entre 2001 et 2006 avant d’être renversé par un coup d’État, doit passer huit ans derrière les barreaux pour trois affaires jugées en son absence, ayant trait à sa gestion du pays et de son ancienne entreprise Shin Corp, a signifié la Cour suprême.

Le total des condamnations s’élève à dix années, mais deux peines ont été confondues. Le retour au pouvoir du parti associé à sa famille, Pheu Thai, pourrait toutefois lui permettre d’espérer un aménagement ou une réduction de peine.

Srettha Thavisin, un promoteur immobilier âgé de 61 ans dont le succès dans les affaires a alimenté les comparaisons avec Thaksin, a récolté une large majorité des votes des 500 députés et 250 sénateurs (482 sur 728 votants).

« Je ferai de mon mieux et travaillerai sans relâche pour améliorer la qualité de vie des Thaïlandais », a déclaré l’entrepreneur aux journalistes réunis au siège du parti.

Il a surmonté les blocages d’un système aux mains de l’establishment conservateur, grâce à une coalition de onze partis brassant formations pro démocratie et pro armée, mais qui n’inclut pas Move Forward, le parti réformiste vainqueur des législatives du 14 mai.

Cette alliance controversée permet le maintien au gouvernement des militaires malgré leur défaite électorale, en échange d’un laissez-passer pour le retour de Thaksin, l’ancienne bête noire de l’armée.

Le jet privé, en provenance de Singapour, du magnat des télécoms est arrivé vers 9 h, heure locale, à l’aéroport Don Mueang de Bangkok, où l’attendaient des centaines de ses supporters.

L’ancien propriétaire du club de football de Manchester City, accusé de corruption par ses détracteurs, polarise la vie politique depuis plus de vingt ans entre les « rouges » (ses soutiens) et les « jaunes » (conservateurs fidèles à la monarchie).

Coalition controversée

 

Thaksin a longtemps dénoncé des poursuites judiciaires qui visent à l’écarter du pouvoir, au profit des élites militaro-royalistes.

De l’étranger, il est resté un acteur influent via le parti Pheu Thai contrôlé par sa famille, même si le dernier scrutin a montré des signes d’essoufflement.

Srettha Thavisin, novice en politique, présente un profil plus consensuel que Pita Limjaroenrat, chef de file de Move Forward, dont la candidature avait été rejetée par le Parlement en juillet.

 

Les sénateurs nommés par l’armée ont reproché à Pita (42 ans), coqueluche des nouvelles générations, son programme de réformes jugé trop radical vis-à-vis de la monarchie.

Arrivé deuxième des législatives, Pheu Thai, dans l’opposition ces dernières années, s’est entendu avec des formations associées à des généraux membres du gouvernement sortant pour obtenir suffisamment de soutiens de la part du Sénat conservateur.

Mais cette coalition a trahi sa promesse de ne jamais s’unir avec les militaires et provoqué la colère de certains de ses supporters qui, comme la majorité des Thaïlandais, ont voté pour les chasser du pouvoir. Pita a promis sur les réseaux sociaux que Move Forward allait oeuvrer dans l’opposition pour être « l’institution politique en laquelle le peuple peut avoir confiance ».

En s’alliant avec son ancien adversaire, Pheu Thai espère un geste de l’establishment pour Thaksin, dont l’état de santé nécessite une surveillance médicale, et pourrait revoir ses plans si rien n’était fait pour l’ancien dirigeant.

Grâce royale ?

« Si le roi ne gracie pas Thaksin dans un certain délai, Pheu Thai pourrait commencer à s’interroger sur la coalition qu’ils auraient rejointe sur des fausses promesses », a expliqué le politologue Aaron Connelly. Une demande de grâce royale prend un à deux mois, a détaillé un responsable de l’administration pénitentiaire.

Détenu à l’isolement dans une cellule d’une prison de Bangkok, Thaksin pourra recevoir la visite de sa famille après cinq jours.

« Pheu Thai a fait un pacte avec le diable […] Il pourrait s’agir d’une victoire à court terme pour des difficultés sur le long terme », a déclaré Hervé Lemahieu, chercheur spécialisé sur l’Asie du Sud-Est.

Les militaires ont procédé à deux coups d’État contre des premiers ministres issus de la famille Shinawatra, Thaksin en 2006 et sa soeur Yingluck en 2014, dernière dirigeante civile élue en date. Srettha Thavisin a assuré qu’il n’allait pas toucher à la loi sur la lèse-majesté, un sujet tabou en Thaïlande où le roi jouit d’un statut de quasi-divinité.

Sa désignation, qui doit mettre fin à des mois d’incertitudes, a été bien reçue par les marchés.

L’indice de la Bourse de Bangkok a gagné presque 20 points sur la journée (+1,3 %), pendant que la valeur des actions de son entreprise, Sansiri, qu’il dirigeait avant de se lancer en politique, a progressé de 7,5 %.



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