Le journal «Métro» suspend immédiatement ses activités

Le journal « Métro » diffusait encore des exemplaires imprimés, mais il avait misé sur un important virage numérique dans les deux dernières années.
Olivier Zuida Le Devoir Le journal « Métro » diffusait encore des exemplaires imprimés, mais il avait misé sur un important virage numérique dans les deux dernières années.

Le groupe Métro Média, qui comprend le journal Métro et une vingtaine d’hebdomadaires locaux à Montréal et à Québec, suspend immédiatement l’ensemble de ses activités. Son président, Andrew Mulé, en a fait l’annonce dans un courriel envoyé aux employés, vendredi après-midi.

« Le mercredi 9 août de cette semaine, nous avons été avertis que nous ne pouvions plus continuer nos opérations avec effet presque immédiat en raison de l’absence d’un soutien continu des institutions — Desjardins Culture, le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Investissement Québec et la SODEC, que nous écoutons et avec lesquels nous échangeons régulièrement et activement au cours des derniers mois », peut-on lire dans le message de M. Mulé.

Ce dernier dénonce aussi la décision de la Ville de Montréal de mettre fin à la distribution du Publisac, prise au mois de mai dernier. « Un coup particulièrement dévastateur », souligne-t-il. Au mois d’avril, Métro Média avait tiré la sonnette d’alarme. Andrew Mulé avait alors affirmé au Devoir que « près de 75 à 80 % » des revenus du groupe allaient disparaître « d’un coup ».

À l’automne 2022, dans le but de limiter les conséquences financières de l’arrêt de la distribution du Publisac sur la presse locale, la Ville de Montréal avait annoncé une aide ponctuelle de 2 millions de dollars, soit environ 85 000 $ par journal admissible. Elle ne s’est pas avérée suffisante pour garder Métro Média en vie.

Le président affirme avoir « frappé à toutes les portes du Québec et du Canada » dans la dernière année dans le but de solliciter un investissement important qui aurait permis de sauver le groupe.

« La partie étrange et paradoxale de cette histoire est que Métro a non seulement un bilan sain, mais nous avons fait d’énormes sacrifices au cours de la dernière année pour montrer notre engagement envers l’avenir », déplore-t-il. Il ajoute que des plans de transformation de Métro Média en coopérative étaient étudiés, mais que ceux-ci doivent être mis sur la glace.

Pour la presque centaine d’employés touchés, la journée de vendredi a été dure. « On est dans une situation financière et d’emploi précaire et incertaine. L’ensemble de la rédaction est sous le choc, mais on s’y attendait », affirme une reporter du journal Métro qui souhaite préserver l’anonymat.

La directrice Contenus multiplateformes de Métro, Lili Boisvert, l’affirme sans détour : « Je suis vraiment sous le choc. » Elle remarque que le site web « était en croissance et on travaillait sur des projets de développements et sur des partenariats. »

« C’est un dur coup pour les journalistes de la rédaction, qui se retrouvent dans une situation incertaine et précaire, ainsi que pour la nouvelle locale », déplore quant à elle Zoé Magalhaès, présidente du Syndicat montréalais de l’information (SMI-CSN), qui représente les journalistes et les travailleurs de l’information du journal.

Andrew Mulé a poliment décliné l’invitation du Devoir à commenter davantage la nouvelle.

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a qualifié l’annonce de « perte importante pour l’écosystème médiatique et le quotidien des Montréalaises et des Montréalais. » Elle ajoute dans une publication sur X, anciennement Twitter, que « la transformation radicale de l’environnement d’affaires des médias nécessite une réflexion urgente et des pistes de solution collectives. » Dans son communiqué, M. Mulé s’est montré très critique envers la mairesse en raison de sa décision de cesser la distribution du Publisac.

Le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, s’est exprimé sur X en qualifiant la situation de « bien mauvaise nouvelle pour les citoyens », ajoutant que « le ministère de la Culture et des Communications continuera de soutenir les journaux locaux, comme il le fait depuis plusieurs années. » Le maire de Québec, Bruno Marchand, a quant à lui écrit que « les médias sont précieux dans notre société et c’est une perte immense à chaque fois qu’un d’entre eux met la clé sous la porte. »

Onde de choc

L’annonce de la suspension des activités de Métro Média a causé une onde de choc dans le monde du journalisme au Québec. « Si on avait besoin d’un exemple de plus que ça ne va pas bien dans le milieu des médias, on en a un », se désole le vice-président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, Éric-Pierre Champagne.

Il estime que cette « triste nouvelle » aura des conséquences sur l’accès à l’information du public. « Métro [Média] était vraiment spécialisé dans la couverture locale et hyperlocale. C’est un angle mort des médias plus importants, qui font une couverture locale, mais pas aussi précise. »

Sans se montrer trop pessimiste, il croit néanmoins qu’il « faut peut-être s’attendre à d’autres nouvelles du genre pour des médias au Québec, certainement au cours des prochains mois ».

Le responsable du programme de journalisme à l’Université du Québec à Montréal, Patrick White, voit cette annonce comme un nouveau symptôme de la crise des médias, qu’il qualifie de permanente. « On voit qu’on est dans les derniers milles des journaux papier », affirme-t-il.

Le journal Métro diffusait encore des exemplaires imprimés, mais il avait misé sur un important virage numérique dans les deux dernières années. « Malheureusement, les revenus publicitaires n’ont pas assez suivi, et le blocage des nouvelles par Meta dans les dernières semaines ne les a pas aidés », ajoute M. White.

Malgré tout, le professeur de journalisme demeure optimiste : « Il y a une pénurie de main-d’oeuvre en journalisme au Québec et dans le reste du Canada. Il y a des dizaines de postes affichés dans plusieurs médias. » Il affirme que le taux de placement des finissants du baccalauréat est de 100 % actuellement.

« Mais l’année 2023 ne sera pas une année facile, avec le ralentissement économique et la baisse des revenus publicitaires pour les médias », conclut-il.

Avec Annabelle Caillou

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