Le design inclusif, ou comment penser l’espace autrement

Céline Gobert
Collaboration spéciale
Pour François Routhier, codirecteur de l’organisme Société Inclusive, il est déjà difficile pour les personnes handicapées de trouver un bâtiment avec des portes automatiques à l’entrée.
Getty Images Pour François Routhier, codirecteur de l’organisme Société Inclusive, il est déjà difficile pour les personnes handicapées de trouver un bâtiment avec des portes automatiques à l’entrée.

Ce texte fait partie du cahier spécial Immobilier

Selon l’Enquête canadienne sur l’incapacité 2017, 16,1 % de la population de 15 ans et plus au Québec est concernée par au moins une incapacité. Penser les logements par le prisme du design inclusif, c’est prendre en compte cette clientèle. Où en est-on sur cette question ?

En matière de design inclusif, on peut poser des gestes simples, explique la consultante en design inclusif et accessibilité universelleChristelle Montreuil. Par exemple : abaisser la hauteur des interrupteurs afin de les rendre plus accessibles aux personnes en fauteuil roulant, ou encore préférer les poignées de portes à bec-de-cane aux poignées rondes, car plus faciles à manipuler.

Linda Gauthier, présidente du Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec (RAPLIQ), évoque quant à elle le problème de l’axe de giration d’un fauteuil, soit la circonférence du cercle formé par les roues lorsqu’on le braque. « Quelle que soit la pièce, le Code de construction du Québec recommande 1,5 mètre de circonférence comme axe de giration, ce qui ne tient vraiment pas compte des personnes utilisant un fauteuil motorisé », déplore-t-elle.

Des changements en 2023

 

À partir du 8 juillet 2023, les concepteurs seront tenus d’être conformes aux nouvelles normes en matièred’accessibilité des bâtiments aux personnes handicapées. Plusieurs bonifications ont été apportées, explique le conseiller en réglementation à la Régie du bâtiment du Québec, Pierre Dionne, qui a participé à la rédaction d’un guide visant à vulgariser ces nouvelles normes. À titre d’exemple, il sera maintenant obligatoire d’indiquer une signalisation vers l’appareil élévateur ou l’ascenseur, de construire une petite bordure sur les rampes d’accès extérieures afin d’éviter que la roue d’un fauteuil ne déborde, de choisir des fontaines d’eau qui respectent certaines hauteurs de commandes ou de gicleurs, de normaliser la place du papier toilette dans les installations sanitaires ou encore de normaliser la hauteur des mécanismes de portes. Le guide met par ailleurs en avant de nombreuses bonnes pratiques en matière de design inclusif, qui vont parfois plus loin que les exigences minimalement requises.

« Elles sont accolées à l’exigence des normes, alors on espère que l’architecte ou le concepteur en tiendra compte, avoue M. Dionne. Mais il est vrai que le plus souvent, ils s’en tiennent aux exigences minimales. »

Si Christelle Montreuil ne croit pas que les concepteurs iront vraiment plus loin que ce qui sera désormais obligatoire, elle regrette surtout que les nouvelles normes ne concernent pas les habitations, telles que les maisons jumelées, les duplex, les maisons en rangée, etc. « Le parc immobilier résidentiel ne sera pas plus accessible », fustige-t-elle.

François Routhier, codirecteur de l’organisme Société Inclusive, confirme que trouver un logement lorsqu’on est une personne avec une déficience physique tient du véritable « défi ». « Trouver un bâtiment avec des portes automatiques à l’entrée, c’est déjà un problème », constate-t-il. Et le portrait n’est pas meilleur dans les HLM puisqu’à la fin de 2015,la Ville de Montréal dénombrait 8044 logements adaptables ou avec adaptations mineures et 1036 logements adaptés parmi ses quelque 60 000 logements sociaux. Ce parc ne représente ainsi que 11 % des logements locatifs de l’île, et moins de 8 % de l’ensemble des habitations.

Du côté promoteurs

 

« Historiquement, il est vrai que les habitations ont été conçues pour des gens en pleine autonomie. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne s’y intéresse pas », concède Matthieu Cardinal, vice-président au développement d’Humano District, à Sherbrooke. Ce dernier est d’ailleurs le partenaire d’une étude conduite par l’Universitéde Sherbrooke qui tente de préciser les besoins en matière de logements d’une clientèle autiste autonome.« On constate par exemple qu’un comptoir de quartz va être moins important pour cette clientèle que l’acoustique ou la luminosité.  »

Selon lui, penser par le prisme du design inclusif fait partie du devoir des développeurs. « Je ne vous dis pas que nous allons construire 90 % de nos habitations en fonction de ces critères, mais pourquoi pas 5 % ou 10 % ? »

Mélanie Robitaille, vice-présidente directrice générale de Rachel Julien, promoteur immobilier à Montréal, indique elle aussi vouloir aller « plus loin » que ce que les normes exigent. Elle travaille actuellement sur deux projets locatifs, dans les quartiers Côte-des-Neiges et Hochelaga, où seront bâtis des logements adaptables, respectant les principes de conception universelle.

« Au centre de Montréal, c’est difficile, car les coûts sont extrêmement élevés, que ce soit en construction ou en acquisition de terrain, explique-t-elle. En matière de superficie, tenir compte des axes de giration, par exemple, ça fait beaucoup de pieds carrés. Si j’ajoute 30 pieds carrés à 500 $ le pied carré environ, je me retrouve facilement avec 15 000 $ de plus sur la facture. »

À la question de la disponibilité de ces logements s’ajoute donc celle — tout aussi complexe — de leur abordabilité.

Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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