L’Argentine a voté pour présélectionner son futur président

Des électeurs attendent pour voter aux primaires argentines dans un bureau de vote à Tigre, en Argentine, dimanche.
Luis Robayo Agence France-Presse Des électeurs attendent pour voter aux primaires argentines dans un bureau de vote à Tigre, en Argentine, dimanche.

Les Argentins, à la fois épuisés par l’inflation et désabusés par leurs politiciens, ont voté dimanche lors de primaires pour désigner les candidats à la présidentielle d’octobre, un scrutin à l’issue incertaine pour la succession d’Alberto Fernandez (centre gauche).

Plus de 35 millions d’électeurs étaient appelés à présélectionner à la fois les partis qui seront en lice le 22 octobre à la présidentielle – il faut pour cela obtenir 1,5 % des votes nationalement – et leurs candidats. Comme un sondage grandeur nature, à double détente.

À l’issue d’une journée sans incidents notables, les bureaux de vote, ouverts à 8 h 00 (heure locale), ont fermé pour la majorité à 18 h 00, hormis des extensions ponctuelles à Buenos Aires, qui testait un nouveau système de vote électronique. Les premiers résultats devaient être connus vers 22 h 00.

Une première estimation faisait état de 68,3 % de participation, très en deçà des primaires d’il y a quatre ans (76,4 %), et malgré le caractère obligatoire du vote, semblant confirmer les craintes de désaffection d’un électorat désenchanté.

Qui veut vraiment diriger l’Argentine, 3e économie d’Amérique latine au spectaculaire potentiel agricole et de matières premières, mais malade longue durée du continent ? Le pays est enferré entre une inflation à deux chiffres depuis 12 ans (et même trois chiffres cette année, 115 % sur un an), une dette colossale auprès du FMI, une pauvreté à 40 %, et une monnaie, le peso, qui dévisse.

Des 22 tickets « président + vice-président » en lice, il ne restera qu’une demi-douzaine lundi en vue du 22 octobre, dont deux blocs dominants, d’où devrait émerger le futur président. Le sortant Alberto Fernandez, très impopulaire, ne se représente pas.

Dans le camp gouvernemental (centre gauche), Sergio Massa, ministre de l’Économie de 51 ans, est assuré d’emporter la primaire, malgré une candidature mineure sur sa gauche. Le centriste Massa a réussi à rallier le camp péroniste et à garder l’oreille du FMI. Mais il a contre lui de gérer, depuis un an, une économie en soins intensifs.

Grande inconnue à droite

Dans l’opposition de droite, une vraie primaire, indécise, oppose le maire de Buenos Aires depuis 2015, Horacio Larreta, 57 ans, qui se dépeint en modéré et adepte de la concertation, à une ex-ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, 67 ans, qui promet des méthodes « choc », tant en économie qu’en sécurité.

Un intérêt majeur des PASO (Primaires ouvertes, simultanées et obligatoires) est de donner une tendance, un baromètre de l’état des forces, augurant parfois de la présidentielle.

C’était le cas en 2019, lorsque le score aux primaires d’Alberto Fernandez – seul précandidat du camp péroniste – avait préfiguré sa victoire à la présidentielle sur Mauricio Macri. Mais l’aspect « sondage grandeur nature » ne joue qu’en cas d’écart important, beaucoup de choses pouvant encore se passer en deux mois de campagne.

D’ores et déjà, les PASO 2023 marquent une rupture, avec l’absence de deux figures dominantes de la politique argentine des dernières années : la péroniste Cristina Kirchner, 70 ans, ex-cheffe de l’État (2007-2015), et Mauricio Macri, 64 ans, le président libéral qui lui succéda en 2015, avant d’être défait par Alberto Fernandez en 2019.

À qui profite le désenchantement ?

Le retrait de ces deux grands rivaux, personnalités antagoniques, clivantes, pourrait-il annoncer un répit dans la polarisation aiguë de la politique argentine ? À moins qu’il ne signale une désillusion générale, après deux présidences très contrastées, l’une libérale, l’autre interventionniste, qui ont toutes deux amèrement déçu.

« Je veux le meilleur pour mes petits-enfants, mais je ne vois guère d’espoir », se désolait Isabel Asebal, une électrice 77 ans. « Ils [les jeunes] sont tous apolitiques, ça ne les intéresse pas, ils ne pensent qu’à une chose, quitter le pays ».

« Il y a une désaffection croissante de l’électorat, dans un pays qui avait des identités politiques marquées », diagnostique Juan Negri, politologue de l’Université Torcuato di Tella.

Ce désenchantement pourrait profiter au « troisième homme », l’économiste ultralibéral-libertaire Javier Milei, au discours incendiaire contre la « caste » politique, qui a fait sensation aux législatives en 2021, son parti devenant la troisième force à Buenos Aires (17,3 %). Mais il pourrait peiner à reproduire cet impact à l’échelle du pays.

« Il faut casser ce qui a été fait, puis recoller les morceaux et tout recommencer », lançait Facundo Cardozo, commercial de 27 ans près d’un bureau de vote de Barrio Norte, évoquant l’attrait d’une solution radicale type Milei, « au point où en sont les choses ».

Les Argentins votaient aussi dimanche pour présélectionner des candidats à la Chambre des députés et au Sénat, renouvelables pour partie lors du scrutin du 22 octobre.

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