L’argent des deux milliards d’arbres servira à en planter moins

Le gouvernement fédéral précise que, malgré son nom, le programme 2 milliards d’arbres n’a jamais eu pour ambition de financer la plantation de deux milliards d’arbres — et que cela était « très clair » dès son lancement.

« On va planter deux milliards d’arbres au cours des 10 prochaines années. Point final », avait publié Justin Trudeau sur X (à l’époque Twitter) le 27 septembre 2019, au moment du passage de la militante écologiste Greta Thunberg à Montréal.

Cette forme de communication ne permet que peu de nuances. Aussi n’était-il pas précisé qu’un fonds déjà utilisé par l’industrie forestière québécoise touchée par l’épidémie de tordeuse des bourgeons de l’épinette allait d’un seul coup ajouter 54 millions d’arbres au score, lors de la mise à jour d’août 2023.

« D’autres ministères et organismes fédéraux, notamment ECCC [Environnement et Changement climatique Canada], Infrastructure Canada, Parcs Canada et Anciens combattants Canada, ont également financé et/ou soutenu la plantation d’arbres supplémentaires au Canada à plus petite échelle », explique dans un courriel le porte-parole de Ressources naturelles Canada, Barre Campbell.

« Ces efforts s’inscrivent dans le cadre de l’engagement du gouvernement du Canada à planter 2 milliards d’arbres. »

Le communiqué de presse qui annonçait le lancement du programme 2 milliards d’arbres indiquait pourtant que l’initiative visait « à planter deux milliards d’arbres sur 10 ans grâce à un investissement de 3,16 milliards de dollars ».

Deux ans et demi plus tard, Ressources naturelles du Canada dit que c’est finalement la « grande majorité de ces arbres » qui sera plantée grâce à ce financement. Le gouvernement n’a pas voulu indiquer combien d’arbres doivent effectivement naître du budget de 3,16 milliards de dollars, ni la proportion des deux milliards d’arbres qui serait financée autrement.

Chose certaine, au moins 54 millions d’arbres plantés en 2021 ont été financés par le Fonds pour une économie à faibles émissions de carbone, a noté le ministère, confirmant l’information d’abord publiée dans Le Devoir. Ce fonds relève d’un autre ministère, Environnement et Changement climatique Canada.

L’inclusion de ces arbres au calcul — qui représentent 49 % des arbres plantés lors des deux premières années du programme — a surpris l’agent du Parlement chargé de surveiller les actions environnementales du gouvernement. Ressources naturelles Canada affirme toutefois avoir partagé au commissaire à l’environnement des documents qui montrent « les efforts supplémentaires de plantation d’arbres » d’autres ministères lors de son audit.

« Clair depuis le début » ?

Le ministre des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, a nié avoir usé de créativité comptable pour dresser son dernier bilan des arbres plantés. Il a affirmé mardi dernier, sur les ondes du réseau CBC, que son gouvernement avait « toujours été clair depuis le début » dans son intention d’inclure d’autres programmes gouvernementaux dans son calcul.

Pour preuve, ce même communiqué de presse de 2020 qui annonçait le financement des deux milliards d’arbres mentionne l’existence d’autres initiatives gouvernementales. Ce communiqué n’indique toutefois pas que les arbres financés par un autre ministère seraient comptés dans les deux milliards, et encore moins qu’ils compteraient rétroactivement pour les deux tiers du bilan de la première saison de plantation.

De toute façon, a ajouté le ministre du même souffle, il est sans importance pour les Canadiens de savoir quel programme a payé pour quel arbre. « Au bout du compte, je ne suis pas sûr que les Canadiens se préoccupent de savoir si certains des arbres proviennent du Fonds pour une économie à faibles émissions de carbone ou d’autres programmes ; ce qui les importe, c’est que nous plantions deux milliards d’arbres […]. Il n’y a eu aucun changement », a indiqué Jonathan Wilkinson.

Promesse brisée

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, avec qui le gouvernement libéral a conclu une entente pour se maintenir au pouvoir jusqu’en 2025, n’est pas d’accord. Il parle de la « faillite » d’un projet qui, selon lui, était « une bonne idée ».

« C’est un autre exemple de promesse brisée », a lâché M. Singh lundi depuis l’Alberta. « Et d’un gouvernement libéral, d’un premier ministre, Justin Trudeau, qui essaie de trouver des façons d’ignorer qu’ils ont brisé leur promesse. »

Selon le député conservateur albertain Greg McLean, qui représente son parti au comité parlementaire de l’environnement, il était très clair dès le début que le budget imparti pour la plantation des arbres n’était pas suffisant pour en mettre en terre deux milliards. Il accuse le gouvernement de vouloir camoufler cette information.

« Est-ce qu’ils vont planter deux milliards d’arbres avec les 3,16 milliards de budget ? Eh bien, il semble que, clairement, la réponse est non. Maintenant, ils essaient de se défiler de cette promesse », laisse-t-il tomber au téléphone.

Est-ce qu’ils vont planter deux milliards d’arbres avec les 3,16 milliards de budget ? Eh bien, il semble que, clairement,la réponse est non. Maintenant, ils essaient de se défiler de cette promesse.

Le bureau des relations médias de Ressources naturelles Canada a mis plus de quatre jours ouvrables pour répondre aux questions du Devoir dans le cadre de cet article. Malgré ses recherches approfondies, il n’a pas été en mesure de fournir un seul exemple de projet financé par le Fonds pour une économie à faibles émissions de carbone qui compte parmi les 54 millions d’arbres plantés en 2021.

Ce fonds fédéral a notamment servi au gouvernement du Québec pour boiser ou reboiser 15 000 hectares de forêt depuis 2018. Les annonces de ce projet n’ont jamais mentionné la promesse des milliards d’arbres.

15 000 hectares
C’est la superficie de boisement et de reboisement par le gouvernement du Québec, depuis 2018, financés par le Fonds pour une économie à faibles émissions de carbone.

Ces investissements visent l’« augmentation de la productivité forestière », notamment dans le contexte d’épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette, ainsi que pour les superficies de pessières à mousses et à éricacées en perte de productivité et pour les friches en forêts privées, précise le ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec.

Le gouvernement du Québec n’a toujours pas signé d’entente de principe avec Ottawa pour participer en bonne et due forme au programme des deux milliards d’arbres.

Alors qu’une saison de feux de forêt dévastatrice a ravagé des millions d’hectares au pays cet été, certains scientifiques doutent maintenant du bien-fondé du projet de mettre en terre autant d’arbres pour lutter contre les changements climatiques.

Des ministres du gouvernement Trudeau mentionnent à l’occasion l’engagement de planter deux milliards d’arbres lorsqu’ils reçoivent des questions sur d’autres sujets de nature environnementale. Cela faisait par exemple partie de la réponse du bureau de la ministre du Commerce international, Mary Ng, lorsque sollicitée par Le Devoir en 2021 pour expliquer pourquoi les aides à l’industrie pétrolière avaient augmenté sous son gouvernement.

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