Une forêt nourricière dans votre cour

Véronique Pepin, professeure en aménagement paysager à l’ITAQ
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Véronique Pepin, professeure en aménagement paysager à l’ITAQ

Le printemps est le meilleur moment pour entreprendre des travaux horticoles. Qui plus est pour créer un aménagement paysager nourricier. Arbres fruitiers, plantes aromatiques, couvre-sols comestibles… allier l’utile à l’agréable est plus simple qu’il n’y paraît.

D’emblée, précisons que le terme « forêt nourricière » est une métaphore qui renvoie à un aménagement majoritairement comestible respectant la biodiversité et la cohabitation des espèces. Pour créer ce type d’aménagement, il faut d’abord s’informer, faire un minimum de lecture et visualiser différentes possibilités, lancent tour à tour Véronique Pepin, professeure en aménagement paysager à l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec, et Alexandre Guérin, jardinier maraîcher et propriétaire de la pépinière écologique Prendre racine, située à Charette, en Mauricie.

« Plusieurs municipalités se sont dotées d’une forêt nourricière, dont Saint-Raymond, dans la MRC de Portneuf, Saint-Ubalde ou Beloeil. Ça peut donner des idées et ça permet de voir comment certains plants évoluent, explique l’entrepreneur, qui offre aussi des services conseils en permaculture. Les gens voient ça gros en partant, mais il faut y aller étape par étape, selon les ressources et le budget. » Mme Pepin est du même avis. « Donnez-vous le temps et augmentez votre zone au fil du temps. » Surtout, ajoute-t-elle, il faut planter ce que l’on a envie d’intégrer à nos repas.

Entre forêt et champ

 

Élément primordial, la sélection des plantes doit aussi être faite en fonction du type de sol, de l’ensoleillement du terrain, de l’accès à l’eau et de la présence d’arbres ou de plantes sur place. « On peut partir d’un aménagement traditionnel et y intégrer des végétaux comestibles », note M. Guérin. Pour avoir un ensemble qui se déploiera bien une fois à maturité, il faut le concevoir comme une bordure entre la forêt et le champ, dit-il. « C’est une zone de transition qui regroupe différentes espèces. À terme, la forêt nourricière a 40 % de couvert forestier. Le reste regroupe des arbustes, des plantes, des fleurs et des champignons, qui poussent tous à différentes hauteurs pour se laisser de la lumière. Les lisières de forêt, c’est là où il y a un maximum de biodiversité. »

La biodiversité, c’est d’ailleurs ce qui a mené Alexandre Guérin à démarrer sa pépinière en 2015. « Je n’étais pas content de l’offre dans les jardineries, où les végétaux sont bourrés d’engrais chimiques. Je voulais que les gens puissent avoir accès à des plants biologiques, à des espèces plus rares ou indigènes, et aussi à de vrais conseils. Je voulais être un acteur du changement. »

Désormais, à l’instar de Véronique Pepin, il forme la relève. Il partage avec les étudiants ses connaissances sur la cinquantaine de plantes comestibles qu’il produit. Parmi ses coups de coeur : le cassis, un plant rapidement productif et dont il affectionne le fruit en confiture. Il conseille aussi l’asperge, les fraises, la monarde rouge, une vivace aromatique connue pour attirer les colibris et pour ses propriétés médicinales, la livèche — qui ressemble beaucoup au céleri —, la menthe et la mélisse, qui se font de bons compagnons.

« La forêt nourricière demande un peu d’entretien, une heure au printemps, une heure à l’automne et quelques moments chaque semaine pour venir arroser, cueillir ce qu’il y a à cueillir, tailler les branches mortes. On installe un banc pour relaxer. On fait pousser des plantes aromatiques, ça éveille les sens, réduit le stress. L’idée est de s’approprier la nature, affirme Alexandre Guérin. On peut installer une pergola, faire pousser de la vigne, la Somerset, qui résiste bien à notre climat, ou du kiwi Kolomikta. On peut aussi planter un noisetier. »

Il recommande d’utiliser du paillis BRF, du bois raméal fragmenté issu des résidus d’élagage. C’est une des clés pour réussir une forêt nourricière, selon lui, car il permet de recréer le sous-sol de la forêt, nourrit l’humus et fait pousser des champignons, en plus de donner un aspect naturel.

Ne pas trop contrôler la nature

 

Que ce soit sur un petit terrain en ville ou sur une grande étendue en banlieue, les deux experts s’entendent pour dire qu’il faut désenclaver le potager et l’intégrer à l’aménagement ornemental. Véronique Pepin propose de jouer avec des plantes comestibles encore méconnues, telles que l’hosta — cultivé comme légume au Japon —, et des variétés de feuillages qui ajoutent de la couleur, dont différents choux ou la bette à carde, très esthétique avec ses tiges rouges, roses ou jaunes. « On peut y mettre de grands classiques, comme les tomates, les haricots. L’important est d’essayer. Je n’aimais pas l’aubergine avant, mais depuis que j’en cultive, j’adore ça ! La plante est super facile [à entretenir] et son fruit, si beau, permet de faire plein de recettes. »

La professeure ne manque pas de rappeler qu’il faut voir l’aménagement paysager nourricier dans sa globalité, c’est-à-dire un endroit où on respecte tous les habitants, même les animaux. « Même les écureuils ! Ils sont là, il faut vivre avec eux. C’est le sens même de la permaculture. Moi, ma solution, ç’a été de planter vraiment beaucoup de cerises de terre. Ils adorent ça. On partage ! Au lieu de se battre, des fois, il suffit d’augmenter le nombre d’un certain légume ou d’une plante. Un autre exemple : le conifère. C’est un abri extraordinaire pour les oiseaux. Tout le monde devrait avoir un conifère dans son jardin pour leur offrir un habitat. »

Passionnée depuis son plus jeune âge, Véronique Pepin voit l’horticulture comme une véritable source de bonheur, « et tout le monde a besoin de bonheur dans la vie » ! Elle est convaincue des bienfaits de l’hortithérapie sur la santé mentale. « Notre cerveau est plus calme, il peut se laisser aller sans avoir trop de préoccupations. J’y crois vraiment. »

Pour cela, rien de mieux que de lâcher prise. Elle souligne l’importance de ne pas trop contrôler la nature ou de ne pas l’entretenir à la perfection. « La biodiversité, c’est essentiel à l’équilibre complet. Parfois, des végétaux vont s’implanter naturellement et faire un super travail. » Ces plantes indésirables sont-elles de mauvaises herbes ? « La réponse est presque toujours non. On n’a pas non plus besoin de rotoculter la terre chaque année. Les micro-organismes font le travail pour nous. » Faut-il nettoyer partout, jusqu’à la petite brindille ? « Non, et surtout pas ! La nature se régule toute seule. […] L’humain a tendance à voir l’aménagement comme quelque chose d’organisé et d’épuré. Si on a besoin d’esthétique, il faut trouver le juste équilibre ; se respecter comme humain et respecter la nature et ce dont elle a besoin. C’est aussi ça, la permaculture. »

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