Un an après la mort de Mahsa Amini, un anniversaire craint par la théocratie iranienne

Outre le retour de sa police des moeurs, Téhéran planche sur un projet de loi qui, en 70 articles, vise à renforcer les peines à l’encontre des femmes qui refusent de porter le voile.
Vahid Salemi Associated Press Outre le retour de sa police des moeurs, Téhéran planche sur un projet de loi qui, en 70 articles, vise à renforcer les peines à l’encontre des femmes qui refusent de porter le voile.

Le jalon est sordide. Jeudi, le nombre d’exécutions commandées par le régime théocratique iranien depuis 2003 a dépassé le chiffre symbolique de 500, selon les données exposées sur son site Internet par l’organisme Iran Human Rights Monitor; 503 pour être précis.

Rien que cette semaine, 14 personnes ont ainsi perdu la vie dans « plusieurs prisons du pays », victimes de ces « meurtres par pendaison parrainés par l’État », poursuit l’organisation qui rappelle que l’Iran s’illustre tristement à travers le monde comme étant le « plus grand bourreau de femmes » — 16 ont été exécutées en 2022, 8 entre janvier et mai dernier.

Et ce climat de terreur et de répression va en s’amplifiant depuis quelques semaines, à l’approche du premier anniversaire de la mort de la jeune Mahsa Amini, le 16 septembre prochain, dont la commémoration semble être perçue comme une menace sur le régime des mollahs.

« Cet anniversaire risque de ranimer une colère qui ne s’est pas vraiment apaisée depuis un an au sein de la population, résume à l’autre bout de la vidéoconférence la politicologue Hanieh Ziaei, experte du monde iranien et chercheuse à la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM. Or, la répression pour ce régime étant un mode de gouvernance, à chaque fois qu’il y a une contestation, des manifestations, des revendications, sa seule et unique réponse reste le recours à la force. Et c’est ce à quoi nous assistons à nouveau en ce moment. »

Depuis un mois, 22 militants, principalement des femmes, issues du mouvement Femme, vie, liberté que la mort de Mahsa Amini a fait naître il y a un an, ont été arrêtés partout au pays, a rapporté l’agence de presse Human Rights Activists News Agency. Elles ont été accusées de vouloir inciter au « chaos et au vandalisme » à l’approche de l’anniversaire de ce décès.

Âgée de 22 ans, Mahsa Amini a péri entre les mains de la police des moeurs de Téhéran, en septembre dernier, après son arrestation pour « port de vêtements inappropriés ». Le régime impose un code vestimentaire strict aux femmes, comprenant le port du voile islamique.

Les appels à l’émancipation qui ont suivi le drame, particulièrement portés par la jeunesse du pays, ébranlent toujours les assises de la théocratie iranienne.

Signe d’inquiétude du régime, plusieurs universités de Téhéran ont annoncé dans les derniers jours leur intention de tenir l’ensemble de leurs cours en ligne, durant les premières semaines du semestre d’automne, qui coïncident avec l’anniversaire de cette mort, rapporte l’International Emergency Campaign to Free Iran’s Political Prisoners Now (IEC). La mesure cherche officiellement à « éviter les embouteillages » dans la capitale.

Le Centre pour les droits de l’homme en Iran souligne pour sa part que « 2 843 étudiants de 45 universités iraniennes auraient été convoqués devant des comités de discipline dans le cadre d’une campagne à l’échelle de l’État visant à empêcher davantage de manifestations anti-État à l’approche de l’anniversaire du 16 septembre ».

Dans un rapport publié au début de la semaine, Amnistie internationale dénonce pour sa part le durcissement d’une « campagne de harcèlement et d’intimidation » ciblant les familles des victimes de la répression de la dernière année, et ce, pour contraindre tout mouvement de commémoration. « Les autorités iraniennes soumettent [ces] familles à des arrestations et à des détentions arbitraires, restreignent indûment les rassemblements pacifiques sur les lieux d’inhumation et détruisent les pierres tombales », souligne l’organisation dans un communiqué.

La sépulture de Mahsa Amini n’échappe pas à cette campagne dans le cimetière d’Aichi, situé à Saqqez, dans le Kurdistan iranien où des travaux de réaménagement sont envisagés par les autorités pour rendre sa tombe moins accessible au public.

« Depuis septembre 2022, le régime a tenté de réprimer ce mouvement d’émancipation, mais sans vraiment y arriver, résume Hanieh Ziaei. Un point de bascule a été atteint dans la colère des Iraniens, et ce, après des années de frustration. Le pouvoir en place vit désormais dans le déni et doit surtout composer avec une absence de légitimité de plus en plus criante entretenue par une jeunesse qui continue de se faire entendre et qui a l’intention d’aller jusqu’au bout de ses revendications. »

Depuis septembre 2022, le régime a tenté de réprimer ce mouvement d’émancipation, mais sans vraiment y arriver. Un point de bascule a été atteint dans la colère des Iraniens, et ce, après des années de frustration.

 

Il y a quelques jours, l’Iran a rétabli les patrouilles de sa police des moeurs dans les rues comme « contre-mesure à la négligence du hidjab », a précisé un porte-parole de cette force répressive, et ce, à l’approche du délicat anniversaire. Une décision très mal éclairée, estiment plusieurs militants des droits de la personne, qui a surtout le potentiel de redonner de la vigueur à la confrontation des femmes avec les autorités, plutôt que le contraire. « Le régime doit savoir que l’escalade de la violence et de la répression, non seulement ne parviendra pas à affaiblir la volonté du peuple de s’éloigner du régime théocratique despotique, mais ne laisse au peuple aucun autre choix que de persister sur cette voie », a résumé il y a quelques jours la militante des droits de la personne Narges Mohammadi dans une lettre écrite depuis la prison d’Evin, où elle purge une peine de 10 ans.

Outre le retour de sa police des moeurs, Téhéran planche sur un projet de loi qui, en 70 articles, vise à renforcer les peines à l’encontre des femmes qui refusent de porter le voile. Le texte, rapporte CNN, prévoit de nouvelles sanctions, plus sévères, pour les célébrités et les entreprises qui bafoueraient les règles, mais annonce également l’utilisation de l’intelligence artificielle pour identifier les femmes en infraction.

 

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