«The Truman Show», plus prophétique que jamais

Protagoniste du film «The Truman Show», Truman Burbank (Jim Carrey) ignore qu'une caméra est cachée derrière le miroir de sa salle de bain.
Photo: Paramount Pictures Protagoniste du film «The Truman Show», Truman Burbank (Jim Carrey) ignore qu'une caméra est cachée derrière le miroir de sa salle de bain.

La série A posteriori le cinéma se veut une occasion de célébrer le 7e art en revisitant des titres phares qui fêtent d’importants anniversaires.

Comme chaque matin, Truman Burbank embrasse son épouse, Hannah, et part travailler sous un soleil radieux, saluant en chemin passants et voisins. La scène est idyllique. Or, il se trouve qu’il s’agit de cela, d’une « scène », puisqu’à l’insu du jeune homme, sa vie tout entière n’est qu’une vaste téléréalité filmée dans un immense studio par d’innombrables caméras cachées. À la fois vedette et prisonnier, Truman finit par voir clair, mais sa soif de liberté, qui compromet l’émission la plus regardée qui soit, indispose Christof, le mégalomane qui tire les ficelles en coulisses. Science-fiction satirique à sa sortie, il y a 25 ans, The Truman Show (Le show Truman) est devenu incroyablement probant au fil du temps.

Dévoilé le 5 juin 1998, le film commença à prendre forme dans l’esprit du scénariste Andrew Niccol vers 1991. Deux obsessions remontant à l’enfance lui inspirèrent le concept.

Au British Film Institute (BFI), en 2018, Niccol parle de la première : « Quand vous êtes enfant, comme mécanisme de défense, vous pensez que le monde tourne autour de vous. La plupart des gens s’en sortent, mais je suppose que je n’y suis jamais parvenu. »

Dans le journal The Independent, la même année, il évoque la deuxième : « À vous de décider s’il s’agit d’une saine paranoïa ou non. Je pense que tout le monde remet en question l’authenticité de sa vie à certains moments. C’est comme quand les enfants demandent [à leurs parents] s’ils sont adoptés. »

Ainsi le sentiment croissant d’aliénation de Truman — légitime dans son cas — émane-t-il de celui ressenti par le scénariste. Ceci expliquant cela, l’histoire était au départ très sombre : un thriller de science-fiction campé à New York. Maître du thème du voyeurisme, Brian De Palma devait alors réaliser le film, avec possiblement Tom Hanks dans le rôle principal.

Lorsque le studio Paramount imposa Jim Carrey, la plus grosse vedette du moment grâce aux box-offices délirants des films The Mask (Le masque), Ace Ventura Pet Detective (Ace Ventura mène l’enquête) et sa suite, De Palma passa son tour. Après avoir considéré entre autres Tim Burton, Steven Spielberg et David Cronenberg, le studio embaucha Peter Weir.

La première chose que fit le réalisateur de Witness (Témoin sous surveillance) et Dead Poets Society (La société des poètes disparus) fut de commander une réécriture afin d’accentuer les dimensions comiques et satiriques. Cette révision du ton, qui se voulait en phase avec l’image de la star, s’accompagna d’un déplacement de l’action dans cette communauté insulaire factice que Truman ne peut quitter, Christof ayant instillé en lui, dès l’enfance, une peur paralysante de l’eau.

D’ailleurs, bien que l’endroit tout droit sorti d’une peinture de Norman Rockwell ait l’air d’avoir été construit, justement, dans un studio de cinéma, il s’agit d’une vraie ville : celle de Seaside, en Floride.

Un héritage inattendu

 

Fait intéressant, à cause de son succès, Jim Carrey vivait à l’époque un peu ce que Truman vit vers la fin du film, lorsqu’il comprend qu’il est épié en permanence : où qu’il allât, l’acteur était pourchassé par des paparazzis. Nul doute que cette expérience « à chaud » influença le volet dramatique de son interprétation.

À ce propos, The Truman Show est le film qui prouva que Carrey était beaucoup plus qu’un génie de la grimace. Louangé par la critique, le film engrangea d’excellentes recettes et reçut une pléthore de nominations diverses.

Son héritage a même débordé dans le domaine médical. Le « Truman Show delusion », ou « délire de type Truman Show », vous connaissez ? C’est le psychiatre américain Joel Gold, du centre hospitalier Bellevue, qui nomma ainsi une affection faisant écho au film.

« Le docteur Gold a rencontré son premier “patient Truman” lorsqu’un homme a été admis à Bellevue en 2003 en se plaignant que les membres de sa famille étaient des acteurs ayant été embauchés par la production d’une émission de téléréalité portant sur sa vie. D’autres “patients Truman” ont suivi, dont un artiste visuel, un journaliste, un étudiant de l’Université Columbia et un producteur de films. Tous croyaient la même chose : qu’ils étaient filmés. Cette forme spécifique de délire n’avait pas été documentée avant la sortie du film de Jim Carrey, en 1998… » peut-on lire dans Suspicious Minds: How Culture Shapes Madness, ouvrage coécrit par Joel Gold et son frère Ian, un neurophilosophe.

Loin d’être agacé, Andrew Niccol avait noté au BFI en 2018 : « Vous savez que vous avez réussi lorsque vous avez une maladie qui porte votre nom. »

Fuir ou embrasser la caméra

 

Toutefois, c’est dans la sphère universitaire que le film exerce le plus de fascination, comme en témoignent quantité d’analyses éthiques, philosophiques, voire religieuses.

On a en outre beaucoup écrit sur la nature prophétique du film par rapport à la téléréalité. Dans Vulture, James Charisma rappelle en 2018 : « Les émissions de télévision mettant en vedette des caméras cachées, des personnes réelles et des situations non scénarisées existent depuis Candid Camera et The Dating Game, dans les années 1950-1960. Mais ce n’est qu’au début des années 2000, avec le succès de Survivor, Big Brother et American Idol, que la téléréalité est entrée dans le courant dominant. […] Christof résume, dans la première scène de The Truman Show : “Nous en avons assez de voir des acteurs nous procurer de fausses émotions… Si le monde qu’il habite est, à certains égards, contrefait, Truman lui-même n’a rien de faux. Pas de scénario. Ce n’est pas du Shakespeare, mais c’est authentique.” »

En l’occurrence, n’est-ce pas Shakespeare qui écrivait que « le monde entier est une scène » ?

Toujours en 2018, Sherry Lansing, qui supervisa la production de The Truman Show alors qu’elle était à la tête de Paramount, explique dans un article rétrospectif de Vanity Fair : « Je ne pensais pas que ce film allait être prémonitoire. […] Quand je regarde la téléréalité et les gens qui vivent devant la caméra, […] je me demande dans quelle mesure c’est réel, et dans quelle mesure c’est simplement parce que ces gens sont devant la caméra. »

Dans la même publication, Andrew Niccol relève une nuance fondamentale : « Truman fuyait les caméras, alors que notre société court vers elles. Plus besoin de diffuser secrètement une vie quand nous la diffusons nous-mêmes. »

C’est ce qui distingue The Truman Show du film québécois Louis 19, dont le héros accepte d’être filmé et est conscient de la caméra. Avec son protagoniste qui découvre que sa ville est « reconfigurée » la nuit par des êtres de l’ombre qui en étudient les habitants, Dark City (Cité obscure) en constitue un plus proche parent. L’est également La mort en direct, où une autrice mourante est filmée sans le savoir pour une émission de télé.

D’où cette conclusion pleine d’acuité d’Andrew Niccol dans Vanity Fair au sujet de la composante « réalité » de la téléréalité : « Quand vous savez qu’il y a une caméra, il n’y a pas de réalité. À cet égard, Truman Burbank est “la seule véritable star de téléréalité”. »

Le film The Truman Show est disponible en VSD sur toutes les plateformes.



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