Une oasis pour kangourous blessés et esseulés

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir À Bathesman Bay, des kangourous se dégourdissent dans le large terrain ceinturé de clôtures à l’arrière de leur refuge.

Près de trois milliards d’animaux ont été piégés par les feux de brousse qui ont ravagé l’Australie en 2019 et 2020. Cette période tragique, « l’une des pires catastrophes fauniques de l’histoire moderne », a été le théâtre de scènes terribles pour les animaux, mais aussi d’élans de courage et de solidarité de la part des Australiens qui se sont portés à leur secours. Rencontre avec deux défenseurs de la faune qui protègent les kangourous.

Depuis six ans, Lorita Baumann et Kevin Clapson oeuvrent bénévolement pour l’organisme WIRES, qui vient à la rescousse des animaux sauvages en péril. Le couple vit à East Lynne, sur le bord du Pacifique, à plus de trois heures en voiture au sud de Sydney.

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Cela faisait déjà trois ans qu’ils prenaient soin de kangourous blessés ou de jeunes orphelins dans le refuge qu’ils ont construit sur leur propriété lorsque les feux ont tout décimé vers la fin de l’année 2019. Ils s’en souviennent comme si c’était hier.

« Notre maison a été complètement encerclée par les flammes. C’était atroce », se remémore Kevin, qui n’a jamais quitté les lieux. Il est resté là avec les pompiers pour sauver ce qu’il pouvait. Leur demeure a été épargnée, mais pas l’enclos dans lequel ils gardaient leurs pensionnaires kangourou. Heureusement, ils ont été évacués à temps par Lorita, qui a filé avec eux dans sa petite voiture pour trouver refuge ailleurs.

« De l’enclos, il ne restait pratiquement rien », raconte-t-elle. Mais cela ne les a pas empêchés de prendre soin des kangourous qui ont survécu aux feux. « Beaucoup d’entre eux ont eu les pattes brûlées. Il a fallu les soigner, leur faire des bandages », explique celle qui, en plus d’avoir suivi toutes les formations pour s’occuper de ces marsupiaux, a été infirmière toute sa vie.

Photo: Fournie par WIRES Lorita Baumann lors de la construction du refuge pour kangourous

Pour d’autres, il était trop tard. « Ça a été extrêmement éprouvant de voir tous ces animaux souffrir et mourir. Il a fallu en euthanasier beaucoup… tout en sachant que dans le lot, il y en avait probablement plusieurs dont nous nous étions occupés et que nous avions relâchés », relate Kevin Clapson.

Depuis ce temps, il épaule sa femme, mais ne s’implique plus autant qu’elle. « Ç’a été trop douloureux », dit-il.

Deux kangourous par habitant

En Australie, les kangourous sont partout : sur les pièces de monnaie, les armoiries du pays, le logo de la compagnie aérienne Qantas. Ils vont et viennent dans les parcs et sur les terrains privés des Australiens.

Il y a aujourd’hui deux fois plus de kangourous que d’habitants. D’une population de moins de 30 millions en 2010, ils sont passés à près de 50 millions aujourd’hui.

Pour certains, ce sont des animaux nuisibles, mais pour les Clapson, c’est une espèce emblématique dont il faut prendre soin.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir « Je me considère un peu comme leur maman », dit Lorita.

Depuis les grands incendies, ils ont reconstruit l’enclos des kangourous sur leur terrain, bordé de boisés — le bush, dit Kevin, qui s’estime chanceux de vivre dans un lieu riche en biodiversité.

Mais lorsqu’on tend l’oreille, le bruit des voitures qui circulent sur la grande route située tout juste derrière les arbres rappelle que la faune environnante vit dans un habitat qui n’est pas sans danger, parce qu’elle doit y cohabiter avec l’homme. « Environ 70 % des kangourous dont on s’occupe ont été victimes de collision avec des voitures », estime Kevin Clapson.

Des joeys orphelins

La plupart de leurs pensionnaires sont des joeys, le nom donné par les Australiens aux jeunes marsupiaux, qui peut désigner aussi bien un jeune kangourou qu’un bébé koala, opossum, ou wombat.

En ce moment, le couple prend soin de sept kangourous géants, des Macropus giganteus de leur nom scientifique, ou eastern grey kangaroo. Malgré leur nom, ils n’ont rien de géant — ils mesurent entre 1,5 et 1,8 mètre à l’âge adulte — et leur carrure est moins imposante que celle de leur cousin, le kangourou roux.

C’est l’heure de leur donner à manger et Lorita nous fait entrer dans l’enclos en tôle où vivent les kangourous. Au milieu d’une végétation dense, elle dépose les biberons dans de petits cylindres métalliques fixés sur une grande poutre en bois, à la hauteur des petits marsupiaux. Affamés, ils se précipitent autour d’elle.

Nombre d’animaux tués, blessés ou déplacés lors des feux

— 143 millions de mammifères

— 2,46 milliards de reptiles

— 180 millions d’oiseaux

— 51 millions de grenouilles

Source : World Wildlife Foundation

Comme les kangourous sont tous âgés de quelques mois seulement, leur nourriture est encore liquide, indique Lorita Baumann, qui leur donne du substitut de lait marsupial, riche de tous les nutriments dont ils ont besoin pour se développer.

« À l’état sauvage, un kangourou peut vivre environ de 7 à 10 ans. Ils atteignent leur maturité assez vite, soit vers six mois, et c’est à ce moment-là qu’on les remet en liberté », souligne son conjoint.

Entre-temps, les jeunes kangourous se prélassent dans des « poches » de draps suspendues à une structure en bois, installées pour recréer la poche maternelle. Ils se dégourdissent aussi dans le large terrain ceinturé de clôtures à l’arrière de leur refuge.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir C’est l’heure du dîner. Lorita a déposé les biberons dans de petits cylindres métalliques fixés sur une grande poutre en bois, à la hauteur des petits marsupiaux. Affamés, ils se sont précipités autour d’elle.

« Je me considère un peu comme leur maman », dit Lorita, en posant son regard affectueux sur les animaux. Elle dit être en mesure de les distinguer les uns des autres, par leurs traits et leurs personnalités. Pour s’aider tout de même, elle leur appose une petite touche de vernis, à chacun d’une couleur différente, sur une de leurs griffes.

« J’ai des enfants kangourou rebelles qui ne reviennent jamais me dire un petit bonjour. Mais beaucoup passent me voir. Et ça, ça me remplit de bonheur », confie Lorita, qui se pince chaque jour de vivre près de cette faune qu’elle veut, à son échelle, contribuer à préserver.

En effet, elle et son conjoint sont motivés par une conviction profonde. « On doit faire plus attention aux animaux qui vivent autour de nous », plaide ce dernier. « Il faut aussi en faire plus sur le plan des changements climatiques, car on n’en fait pas assez en ce moment. C’est à cause de cette inaction que se produisent de grands feux, qui menacent entre autres la biodiversité unique de l’Australie. »

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.

 



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