Un Marcos qui n’en cacherait pas un autre

Michael Marcos Keon, maire de Laogag et cousin de Ferdinand « Bongbong » Marcos Jr, au travail dans son bureau à la mairie, dans la province d'Ilocos Norte, en mars 2022
Photo: Ted Alibe archives Agence France-Presse Michael Marcos Keon, maire de Laogag et cousin de Ferdinand « Bongbong » Marcos Jr, au travail dans son bureau à la mairie, dans la province d'Ilocos Norte, en mars 2022

Il y a un an, le 9 mai, le fils du dictateur Ferdinand Marcos était porté au pouvoir. Dans cette série de trois textes, Le Devoir prend le pouls de la capitale des Philippines et du nord du pays. Suite et fin aujourd’hui : rencontre avec un des membres de la famille de Ferdinand « Bongbong » Marcos Jr.

Dans la famille Marcos, Michael Marcos Keon, maire de la ville de Laoag, l’agglomération la plus importante de la région d’Ilocos Norte, dans le nord des Philippines, est certainement celui qui pourrait le mieux porter le qualificatif de « mouton noir ».

« Les choses sont compliquées, comme elles le sont dans toutes les familles », dit le principal intéressé, assis devant une montagne de documents dans son vaste bureau de l’hôtel de ville où Le Devoir l’a rencontré la semaine dernière. « Mais je ne veux pas en dire trop. »

Quelques éléments sont pourtant de notoriété publique. En 2022, ce neveu de Ferdinand Marcos père, sans doute l’un des préférés du dictateur, comme l’assurent quelques anciens de la région, a été réélu pour un second mandat à la mairie de Laoag au terme d’une campagne remarquée : son cousin Ferdinand Marcos Jr., dit Bongbong Marcos (BBM), l’actuel président, et sa cousine Imee Marcos, deux influents politiciens dans la région, avaient préféré appuyer la candidature de son adversaire : le maire adjoint, Tito Lazo.

« Il y a eu beaucoup de mensonges propagés sur moi durant la campagne, par celui qui était soutenu par des membres de ma famille, raconte-t-il, mais je ne garde aucune rancoeur. »

Un an plus tard, les esprits semblent en effet s’être apaisés, et Michael Marcos Keon, qui a été président du Comité olympique des Philippines sous la dictature de Ferdinand Marcos, est même capable de poser un regard positif sur la présidence naissante de son cousin, sans avoir besoin de se forcer.

Photo: Fabien Deglise Le Devoir Michael Marcos Keon, maire de la ville de Laoag, cousin du président Marcos Jr et « mouton noir » de la famille Marcos

« Il était fait pour suivre les traces de son père. C’était sa destinée, assure-t-il. Et pour le moment, il fait d’assez bonnes choses, comme renforcer nos liens avec les Américains » alors que les tensions s’amplifient au large des côtes des Philippines entre la Chine et les États-Unis sur la question stratégique de Taïwan.

Et même si cette succession tracée entre un père et son fils est observée avec une certaine inquiétude dans le reste du monde, reconnaît l’édile, elle ne peut que suivre une tout autre trajectoire, assure-t-il.

« J’ai servi les Philippines sous Marcos père, que j’ai très bien connu. Il a été dépeint comme un dictateur. Et il en était un. Mais il a été un dictateur bienveillant. Est-ce que mon cousin va devenir la même chose ? Il n’en a pas besoin. Le pays est aujourd’hui ailleurs, loin de la montée du communisme de l’époque de Ferdinand Marcos père qui avait justifié la déclaration de la loi martiale. Et puis, les institutions démocratiques des Philippines vont résister à un tel scénario. Le peuple n’en voudra pas non plus et le pays va finalement rester une démocratie », prédit-il.

L’héritage du père

L’ascension de son cousin vers Malacañang, palais de la présidence, s’est jouée au terme d’une campagne savamment orchestrée par les Marcos pour faire oublier les traces de leur passé sombre. Les exécutions extrajudiciaires. La torture. Les disparitions, autant de citoyens opposés à la dictature que de milliards de dollars sortis des coffres de l’État pour être dissimulés à l’étranger. Une réécriture que Michael Marcos Keon admet « jusqu’à un certain point », dit-il. « De quelle histoire parle-t-on ? Celle écrite par les Américains pour faire tomber Ferdinand Marcos ? Tout le monde sait que ce sont les Occidentaux qui ont écrit les livres d’histoire », poursuit l’élu, en imposant le poids d’un « OK » à la fin de sa phrase.

« Le problème avec Bongbong, c’est qu’il doit vivre avec l’héritage de son père. Il n’a pas d’autre choix. Il cherche à s’en distancer, et pour le moment, il le fait bien. Et le plus longtemps il va rester en poste, le plus facilement il va pouvoir le faire. »

Les choses sont compliquées, comme elles le sont dans toutes les familles. Mais je ne veux pas en dire trop.

 

Depuis sa marge — « le reste de la famille me trouve bizarre », dit-il —, le cousin du président, qui garde de bons souvenirs de leur jeunesse passée ensemble, assure que Bongbong n’a d’ailleurs pas la graine d’un dictateur. « C’est un intellectuel, un solitaire, qui n’apprécie pas particulièrement la présence de trop de monde. Ce n’est pas un être violent assoiffé de pouvoir. J’ai travaillé avec lui. Je le connais très bien. J’ai aussi vécu avec lui, même si je vivais en Thaïlande quand il était à Malacañang avec son père. »

« Oui, il pourrait devenir un peu plus autoritaire, si cela est nécessaire pour le bien du pays. Mais dans les circonstances, je ne vois pas comment il pourrait vouloir répéter les erreurs du passé. »

Pour Michael Marcos Keon, l’arrivée de BBM au pouvoir ne semble d’ailleurs pas faire peur, comme en témoigne l’attitude des investisseurs face à un pays que le nouveau président aime qualifier « d’étoile montante » du Sud-est asiatique. En septembre dernier, il est revenu d’un voyage aux États-Unis avec la promesse d’investissements de 3,9 milliards de pesos philippins (presque 100 millions de dollars canadiens) pour créer 112 000 emplois, puis avec d’autres promesses de 350 millions de dollars à la suite de visites à Singapour et en Indonésie.

« Il semble avoir trouvé à l’étranger de nouvelles amitiés qu’il ne va certainement pas chercher à compromettre », ajoute Michael Marcos Keon, pour ne pas risquer de mettre en péril son projet de redonner aux Philippines une grandeur qu’elle aurait déjà eue, selon BBM. Tout comme les petites et grandes affaires de la famille, au coeur de la vie des Philippins, et forcément de leur politique.

« La famille, c’est une question centrale partout aux Philippines, ajoute Michael Marcos Keon. C’est la chose la plus importante. Vu de l’extérieur, cela peu avoir l’air un peu féodal, mais c’est la manière dont culturellement nous fonctionnons ici », conclut-il.

Les Philippines se maintiennent historiquement dans le groupe des pays où la perception de la corruption est parmi les plus élevées, au 116e rang mondial sur 180 pays et territoires, selon le dernier palmarès établi par Transparency International. Au début de l’année, un rapport du Département d’État américain sur les pratiques en matière de droits de la personne aux Philippines a reconnu que des lois avaient été adoptées pour combattre la corruption, « mais [que] le gouvernement ne les a pas appliquées de manière efficace ». En 2022, « les agents publics se sont fréquemment livrés à des pratiques de corruption en toute impunité », peut-on lire.

 

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.



À voir en vidéo