L’heure de la récolte pour Alexander Shelley

Alexander Shelley et Emanuel Ax
Curtis Perry Alexander Shelley et Emanuel Ax

L’Orchestre du Centre national des arts et Alexander Shelley ouvraient leur saison, mercredi à Ottawa, en accueillant Emanuel Ax dans le 1er Concerto de Brahms. Beaucoup plus qu’un concert, la soirée lançait un minifestival sur deux semaines qui reprend la thématique déclinée ces dernières années autour du noyau musical formé par Clara et Robert Schumann et Johannes Brahms. Ce premier rendez-vous a mis en lumière les fruits du travail d’Alexander Shelley auprès de l’orchestre.

Dans un préambule entamé largement dans un français très soigné, Alexander Shelley a raconté de manière synthétique mais captivante les interrelations entre « Clara, Robert et Johannes » en ce jour d’anniversaire de naissance de Clara, une pianiste surdouée qui mit sous le boisseau sa carrière de compositrice.

Élan schumannien

 

En juxtaposant la 1re Symphonie de Schumann et le 1er Concerto de Brahms, Shelley, qui avait choisi de faire ouvrir la soirée par trois lieder de Clara présentés avec aplomb par la mezzo Alex Hetherington, juxtaposait les premiers essais symphoniques des deux compositeurs.

Dans Schumann, on remarque dès le début la richesse du tissu polyphonique. Les lignes des altos, par exemple, nourrissent très distinctement le discours, et l’orchestre maîtrise l’oeuvre avec une admirable cohésion. Les bois, les cors font avancer une musique nourrie par l’élan des cordes (on peut compter sur le spectaculaire violon solo Yōsuke Kawasaki pour cela) où tous les instruments se répondent.

L’élément distinctif de l’interprétation de Shelley est l’approche des deux trios du scherzo, surtout le second, au tempo modéré, très goguenard, presque post-Haydn. Le chef et l’orchestre réussissent admirablement les codas (fins de mouvements I et IV), dont l’exaltation est si importante chez Schumann. La ponctuation rythmique sèche des violoncelles dans celle du 1er mouvement est très efficace.

L’incontournable

Emanuel Ax est depuis plusieurs décennies l’interprète « de référence », quasiment incontournable, du 1er de Brahms en Amérique du Nord. Ironiquement, si le Concertgebouw d’Amsterdam n’avait pas publié sur son étiquette RCO Live un concert avec Bernard Haitink, sa vision de l’oeuvre ne serait documentée que par un enregistrement RCA vieux de 40 ans !

À 74 ans, Emanuel Ax a encore l’oeuvre dans les doigts (un petit dérapage dans le 1er mouvement ne compte pas). Le moment magique de la soirée fut le 2e mouvement, pris dans un tempo plutôt allant et très chantant. Dans une brève conférence d’après-concert, le soliste a avoué suivre le choix du chef en la matière. On se rend compte que le concert des Prom’s de 2011 avec Haitink, documenté sur YouTube, profite peu ou prou de la même pulsation.

Ce qui est un peu plus étrange, en considérant ce prérequis de soliste suivant le chef (en général, dans un concerto, la tradition veut que le chef respecte les souhaits du soliste), c’est de voir Alexander Shelley adopter une différence d’atmosphères et de tempos si creusée dans le 1er mouvement, lui qui est adepte (cf. Symphonies nos 1 et 4 — cette dernière, impressionnante, à paraître sous peu en CD) d’un Brahms sans fioritures et qui file droit. Pour les curieux qui veulent savoir ce que donne cette posture musicale, que l’on entend si rarement dans le 1er Concerto, l’écoute de l’interprétation de Gary Graffman et de Charles Munch s’impose plus que jamais.

Le Festival « Focus » se prolonge jusqu’au 21 septembre avec des solistes ô combien aussi admirables qu’Emanuel Ax : le violoncelliste Nicolas Alsteadt et le violoniste James Ehnes. Le concert du 20 septembre, avec la Symphonie « Rhénane » de Schumann et le Concerto pour violon de Brahms, risque d’être le moment phare de la quinzaine, pendant laquelle paraîtra en CD, le vendredi 22, le dernier volet de l’intégrale des symphonies de Schumann et de Brahms, augmentées d’oeuvres chambristes de Clara. Les quatre doubles albums seront aussi réunis en un coffret de 8 CD.

Christophe Huss était l’invité
du Centre
national des arts.

L’élément distinctif de l’interprétation de Shelley est l’approche des deux trios du scherzo, surtout le second, au tempo modéré, très goguenard, presque post-Haydn

Festival Focus

« Emanuel Ax joue Brahms ». Clara Schumann : 3 lieder (dont Die Lorelei). Robert Schumann : Symphonie no 1. Brahms : Concerto pour piano no 1. Emanuel Ax, Orchestre du Centre national des arts, Alexander Shelley. Salle Southam, mercredi 13 septembre 2023. Festival jusqu’au 21 septembre.

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