Hausse des prix, déclin de la santé

L’inflation fait mal aux Québécois. Et pas qu’à leur portefeuille. Au Dispensaire diététique de Montréal, de plus en plus de femmes enceintes souffrent d’anémie : elles peinent à bien s’alimenter en raison de la hausse du coût de la vie. La flambée des prix des aliments retient aussi des patients de l’Institut de cardiologie de Montréal d’adopter la diète méditerranéenne, à forte teneur en fruits et légumes. Des médecins en santé publique s’inquiètent de la santé des plus démunis.

Suzanne Lepage, nutritionniste au Dispensaire diététique de Montréal, voit les effets de l’augmentation du coût de la vie sur les femmes enceintes vulnérables qu’elle accompagne. Leur loyer élevé grève déjà leur budget d’épicerie. Or, les prix des aliments ne cessent d’augmenter. « Notre clientèle fait plus d’anémie qu’avant », dit-elle. Cette carence en fer peut entraîner une naissance prématurée et un bébé de faible poids.

« Beaucoup » de mères enceintes se privent d’aliments nutritifs pour les donner à leurs enfants. « Entre le bébé [dans le ventre] qui ne dit pas un mot et l’enfant qui crie qu’il a faim, c’est sûr qu’on va privilégier l’enfant qui crie et dont on voit visuellement la détresse », pense Suzanne Lepage. Le foetus a pourtant besoin d’un apport nutritionnel suffisant pour assurer son développement.

Afin de nourrir leur famille, ses clientes font désormais appel aux banques alimentaires. « Avant, pour 10 références que je faisais à une banque alimentaire, il y avait une personne qui y allait, estime la nutritionniste. En ce moment, sur 10 références, je suis à sept ou huit personnes. »

Mme Lepage combat depuis des années l’idée que « bien manger coûte cher » : elle s’avoue aujourd’hui vaincue. « Maintenant, c’est rendu vrai, dit-elle. Il n’y a plus vraiment moyen de s’en sortir sans couper à certaines places. »

Colleen Côté, 58 ans, a fait une croix sur la laitue. La retraitée, qui s’occupe de son petit-fils autiste, fréquente depuis un an le Café des deux pains, un organisme de Salaberry-de-Valleyfield qui offre de l’aide alimentaire. « Je mangeais beaucoup de légumes avant », dit la femme rencontrée lors de la distribution des sacs d’épicerie gratuits. « Mais maintenant, oublie ça, les salades, c’est trop dispendieux ! » Elle se rabat sur les pâtes alimentaires et achète en solde de la viande en quantité limitée. Le Café des deux pains l’aide « beaucoup ». « Une chance qu’on les a », dit-elle.

Un bond des prix de 20 % en deux ans

Le prix des aliments a augmenté de 20 % au Québec depuis deux ans, selon les plus récentes données de Statistique Canada, dévoilées mardi. La hausse s’élève à 26 % pour les produits de boulangerie et céréaliers, à 18 % pour les fruits frais et les produits laitiers, à 15 % pour les légumes frais, à 16 % pour la viande et à 11 % pour le poisson, les fruits de mer et autres produits de la mer.

Combinée à une crise du logement, cette augmentation du prix du panier d’épicerie crée une « tempête parfaite », selon la Dre Marie-France Raynault, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. « On savait déjà que le prix des logements, ça avait un gros impact sur [le budget de] l’alimentation. Mais si, en plus, on ajoute la hausse du prix des aliments, c’est sûr et certain qu’il y a des gens qui, pour des raisons économiques, vont substituer des aliments sains par des aliments à haute valeur calorique, mais qui n’ont pas la même capacité de garder les gens en santé », affirme-t-elle.

Le Dr Philippe L.-L’Allier, cardiologue hémodynamicien et directeur de la prévention à l’Institut de cardiologie de Montréal, entend parler « tous les jours » du coût de la vie dans son cabinet. Il fait la promotion auprès de ses patients de l’« alimentation méditerranéenne à tendance végétalienne », forte en fruits, en légumes, en huile d’olive et en poissons. Pour certains, le prix de ces aliments est un « frein », indique-t-il. « Des patients me disent : “Docteur, c’est beau, vos suggestions, mais il faut y penser un petit peu parce qu’il faut en acheter beaucoup, des légumes frais…” », raconte-t-il.

L’inflation frappe plus durement les moins nantis, selon la Dre Julie Loslier, directrice régionale de santé publique de la Montérégie. « Le fait de vivre en situation de pauvreté, il y a un stress chronique constant qui s’installe et qui a un effet biologique non seulement sur la santé mentale, mais aussi sur la santé physique, dit-elle. À peu près toutes les maladies chroniques et les problèmes de santé mentale sont plus présents dans le quintile le plus défavorisé de la population. »

Le Club des petits déjeuners et la Fondation Olo sont aussi sous pression

L’inflation n’épargne pas les organismes communautaires qui viennent en aide aux plus démunis.

Le Club des petits déjeuners, qui offre des repas gratuits dans plus de 500 écoles au Québec, ne démarrera pas son programme dans de nouveaux établissements cette année ; la même situation était survenue l’an dernier. Une cinquantaine d’écoles québécoises figurent sur la liste d’attente. « Nourrir le même nombre d’enfants avec la même qualité nutritionnelle coûte beaucoup plus cher », explique Claudine Dessureault, conseillère nationale aux achats et à l’inventaire. « Si on ne veut pas diminuer le nombre d’enfants qu’on nourrit ou réduire la qualité nutritionnelle, on n’a pas le choix d’être très prudents. »

La Fondation Olo, qui offre un soutien aux femmes enceintes à faible revenu, enregistre depuis un an une augmentation de 21 % des échanges de ses coupons, qui permettent d’obtenir gratuitement des oeufs, du lait et des légumes congelés. « Le problème qu’on a, c’est que la reprise de la demande et la forte augmentation de la demande vient en même temps qu’une augmentation des prix », dit sa directrice générale, Élise Boyer.

« Chaque coupon nous coûte plus cher. Ça nous fait des augmentations de coûts de l’ordre de 40 %, et ça, dans l’histoire, jamais on n’a vu ça. » La Fondation parvient pour le moment à répondre à la demande. « C’est sûr qu’à ce rythme-là, s’il n’y a pas d’augmentation substantielle de nos revenus, autant publics que privés, ça ne prendra pas de temps qu’on ne sera plus capables » d’y arriver, conclut Mme Boyer.



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