Enceinte, dans une prison russe

Le 21 septembre 2022, Maryana Mamonova a pris part à un échange de prisonniers et a recouvré sa liberté. Quatre jours plus tard, elle donnait naissance à sa fille, Anna-Maria.
Photo fournie par Maryana Mamonova Le 21 septembre 2022, Maryana Mamonova a pris part à un échange de prisonniers et a recouvré sa liberté. Quatre jours plus tard, elle donnait naissance à sa fille, Anna-Maria.

Elles sont nombreuses à croupir dans des centres de détention situés dans des territoires ukrainiens occupés par la Russie. Parfois sans pouvoir donner de nouvelles à leurs proches. Souvent en étant privées de lumière du jour et d’air frais. Et presque systématiquement en subissant des violences psychologiques, physiques ou sexuelles. Deux Ukrainiennes, une civile et une médecin militaire, ont accepté de livrer au Devoir leurs témoignages après avoir été libérées des geôles russes.

« J’ai été en enfer », laisse tomber Maryana Mamonova, aujourd’hui âgée de 31 ans, en racontant son histoire, bouleversante, à travers l’écran de son ordinateur.

Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, en février 2022, la jeune médecin était à la tête d’une unité médicale des Forces armées ukrainiennes à Marioupol. Dès le début de la guerre, la ville portuaire a été ciblée par l’armée russe. Un siège sans merci y avait été imposé.

« C’était l’apocalypse, témoigne Maryana. Les gens étaient en panique et tentaient de fuir la ville. On n’avait pas assez d’antibiotiques et de matériel médical. On devait improviser et se débrouiller pour trouver de la nourriture et de l’eau. »

Au début d’avril, alors que Maryana et ses collègues se rendaient dans un village pour y soigner des blessés, la voiture dans laquelle ils se trouvaient s’est fait bombarder, puis a été interceptée par des militaires russes.

Photo: Photo fournie par Maryana Mamonova Maryana Mamonova et sa fille Anna-Maria

Après les avoir fait sortir de leur voiture, vider leurs poches et lever leurs mains au ciel, les militaires russes ont informé les membres de l’équipe médicale ukrainienne qu’ils étaient désormais des prisonniers de guerre. « Ils nous ont dit que, si on essayait de s’enfuir, ils nous tireraient dessus et nous tueraient et que la captivité était notre seule chance de survie. »

« À ce moment-là, je savais déjà que j’étais enceinte », dit Maryana.

Un séjour en enfer

 

Durant les deux premiers jours de sa captivité, la jeune femme a été gardée dans une grange, sans chauffage. « On n’avait pas le droit d’aller aux toilettes. On devait utiliser un seau. Ils nous regardaient comme si on était dans un zoo. »

Puis, la jeune femme a été transférée à la tristement célèbre prison d’Olenivka, dans la région de Donetsk sous occupation russe. C’est là que, le 29 juillet 2022, 53 prisonniers de guerre ukrainiens ont été tués dans un bombardement, probablement russe. Maryana se trouvait alors à quelques centaines de mètres du lieu du drame.

Dès son arrivée à la prison d’Olenivka, Maryana dit avoir « commencé à comprendre à quoi ressemble l’enfer ». Des combattants russes, bâtons à la main, attendaient les prisonniers de part et d’autre d’un corridor qu’ils devaient franchir. « Tant les femmes que les hommes devaient traverser le couloir et se faire battre. »

Maryana, qui avait averti ses geôliers qu’elle était enceinte, a été exemptée de ce supplice. « Mais ils m’ont forcée à regarder mes compagnons se faire battre et m’ont placée entre deux chiens pour m’intimider. »

La médecin a ensuite été enfermée dans une cellule conçue pour six personnes dans laquelle s’entassaient 40 prisonnières. Même enceinte, elle dormait directement sur le sol. « Après un mois et demi de détention, on a pu aller marcher à l’extérieur », raconte-t-elle.

Tous les matins, les prisonniers devaient se lever à 5 heures. « On était privés de sommeil la nuit parce que les lumières restaient toujours allumées. » De la nourriture leur était donnée, mais de manière aléatoire.

Maryana dit avoir pu compter sur la générosité de ses compagnons d’infortune, qui lui donnaient des portions de leur ration. Jour après jour, la jeune femme, inquiète pour la santé de son bébé, caressait son ventre. « Je parlais à mon bébé et je lui disais de prendre tout ce dont il avait besoin. »

État de choc

 

Lorsqu’elle a pu parler à son mari au téléphone, Maryana l’a informé qu’elle était enceinte. « Il était en état de choc, se souvient-elle. Il était inquiet et heureux en même temps. Il pleurait parce qu’il n’était pas capable de m’aider et me disait qu’une prison n’est pas un endroit pour donner naissance. »

À son septième mois de grossesse, Maryana a ressenti des douleurs et a pu consulter un médecin pour la première fois. « Il a dit que j’avais besoin de respirer de l’air frais. J’ai pu sortir plus régulièrement ensuite. »

Parfois, des prisonniers étaient échangés. Mais à force d’attendre, Maryana perdait espoir. « [Les soldats] me disaient que personne ne m’attendait et je commençais à les croire. On était constamment soumis à de la propagande et à une pression morale. C’était épuisant. » Sans oublier la crainte, qui la taraudait à chaque instant, que son bébé, une fois né, lui soit enlevé par les soldats russes.

À son neuvième mois de grossesse, Maryana a été transférée dans un hôpital de Donetsk pour y donner naissance. Mais le 18 septembre, les deux soldats qui la surveillaient ont reçu un coup de fil, qui allait changer le cours de son histoire. « On leur a demandé si je pouvais être déplacée. Et le docteur a donné son accord. »

Minuit moins une

 

S’est ensuivi un voyage rocambolesque qui a permis à la jeune femme de prendre part à un échange de prisonniers. Le 20 septembre, Maryana, sur le point d’accoucher, est renvoyée à Olenivka, pour ensuite être conduite à l’aéroport de Rostov, où elle a pris un vol pour Moscou. « Là, des prisonniers ont quitté notre groupe et d’autres se sont ajoutés. »

Maryana a ensuite été embarquée sur un vol pour Minsk, capitale de la Biélorussie, puis dans un autobus, pour se rapprocher de la région de Tchernihiv, en Ukraine. Et le 21 septembre 2022, « j’ai traversé la frontière à pied », raconte-t-elle avec émotion. L’échange négocié entre Moscou et Kiev a permis ce jour-là à plus de 200 prisonniers ukrainiens de recouvrer leur liberté.

Quatre jours plus tard, Maryana donnait naissance à son bébé. « C’est une petite fille qu’on a nommée Anna-Maria. » Le 25 septembre, la petite miraculée célébrera son premier anniversaire. « Ma fille est en bonne santé et je suis une personne libre maintenant. Je suis heureuse », glisse la jeune maman, en rappelant avoir vécu « l’épisode le plus effrayant de [sa] vie ».

La jeune femme pourfend avec vigueur la Fédération de Russie, qui viole le droit international humanitaire, dit-elle, en gardant des médecins, comme elle, captifs. « Les membres des équipes médicales ne sont pas des soldats. Ils ne tuent pas, ils sauvent des vies », rappelle-t-elle.



À voir en vidéo