Google estime qu’Ottawa exagère son poids dans le marché publicitaire

Le célèbre moteur de recherche affirme qu’il partage avec Meta moins de 60 % des recettes publicitaires canadiennes en ligne, ce qui est bien en deçà de l’estimation du gouvernement.
Sean Kilpatrick La Presse canadienne Le célèbre moteur de recherche affirme qu’il partage avec Meta moins de 60 % des recettes publicitaires canadiennes en ligne, ce qui est bien en deçà de l’estimation du gouvernement.

Le célèbre moteur de recherche Google qualifie de « mythe » et de « trompeuse » la prétention du fédéral selon laquelle cette entreprise s’approprie, conjointement avec Meta, 80 % des revenus publicitaires en ligne au Canada.

« Nous nous sommes fermement opposés à ce mythe des 80 % […]. Nous estimons que c’est hautement trompeur », précise le porte-parole de Google Canada Shay Purdy.

Il a réagi aux propos de la nouvelle ministre du Patrimoine, Pascale St-Onge, qui a affirmé en entrevue avec Le Devoir mardi que « plus de 80 % des revenus publicitaires reviennent entre les mains de Facebook et de Google ».

Google croit plutôt les données d’une firme de recherche en marketing, Insider Intelligence, pour affirmer qu’elle partage avec Meta moins de 60 % des recettes publicitaires canadiennes en ligne. La part de marché de ces géants du Web serait aussi en chute libre ces dernières années au pays.

« Google a agrandi la tarte pour les entreprises canadiennes de toutes tailles, ce qui a permis à ces dernières d’accéder à de nouveaux marchés », précise aussi le mémoire de Google déposé au Parlement en 2022, qui critique l’estimation gouvernementale.

« De plus, les activités d’affichage publicitaire de Google fonctionnent selon un modèle de partage des recettes, et la grande majorité des revenus touchés par Google pour l’affichage publicitaire sont en fait accordés aux éditeurs, y compris les éditeurs de nouvelles. »

Passée au Patrimoine après l’important remaniement ministériel de juillet, la ministre Pascale St-Onge insiste sur l’importante part des revenus publicitaires de Meta et de Google pour faire valoir que tout cet argent était auparavant accessible aux médias du pays pour payer les salaires des journalistes. Cet argument a été régulièrement avancé par le gouvernement libéral et les appuis au projet de loi C-18, dont le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique.

Adoptée depuis juin, la Loi sur les nouvelles en ligne vise à forcer Google et Meta à payer les entreprises de nouvelles pour « rééquilibrer le marché ». La loi entrera en vigueur en décembre, selon des paramètres qui seront définis dans un règlement attendu cette semaine.

Bataille de chiffres

 

Vérification faite, Google et Meta se partagent effectivement moins de 80 % du marché des publicités en ligne, mais cette estimation n’est « pas si loin de la réalité », selon le professeur de journalisme à l’UQAM Jean-Hugues Roy.

Cette donnée provient d’une étude de l’Université Carleton d’Ottawa. Elle concluait, pour l’année 2021, que 79,3 % de l’argent dépensé en publicités numériques se dirigeait vers Google et Facebook. Amazon, Microsoft, Snapchat et Twitter obtiennent de plus faibles parts de marché. Québecor, La Presse ou encore les quotidiens régionaux des Coops de l’information récupèrent quant à eux une fraction de 1 % du total.

« La méthodologie est transparente, clairement expliquée, avec des données accessibles », contrairement aux études présentées par Google, dit Jean-Hugues Roy.

Le professeur a d’ailleurs répété l’expérience pour l’année 2022, et est arrivé à la conclusion que les deux principaux géants ont perdu quelques points de parts de marché. Ce serait, l’an dernier, 72 % de l’argent dépensé en publicité numérique au Canada qui aurait pris la direction de Google et de Meta.

72 %
C’est le pourcentage de l’argent dépensé en publicité numérique au Canada, en 2022, qui a pris la direction de Google et de Meta, selon le professeur de journalisme à l’UQAM Jean-Hugues Roy.

Apathie des internautes

L’entreprise propriétaire de Facebook et d’Instagram n’a pas souhaité répondre aux questions du Devoir. Un porte-parole de Meta a toutefois réitéré que l’entreprise estime avoir fourni des services gratuits aux médias canadiens, chiffrés à 230 millions de dollars par an.

Cela est toutefois chose du passé. Depuis cet été, Meta bloque le partage d’articles de nouvelles pour les usagers canadiens des deux plateformes. Cette décision « définitive » survient à plusieurs mois de l’entrée en vigueur de C-18, et avant la publication des règles entourant l’application de la loi.

Des analyses indépendantes obtenues par Reuters mardi montrent que l’absence de nouvelles n’a eu aucun effet immédiat sur la fréquentation du réseau social Facebook. Le trafic n’aurait pas diminué sur la plateforme, et ses usagers réguliers y passeraient autant de temps.

Jean-Hugues Roy croit que les habitudes des internautes n’ont pas encore changé. « Les gens ne vont pas sur Facebook pour s’informer, dit-il. Mais l’information enrichit l’expérience qu’on a dans Facebook. »

La mesure de l’achalandage devrait être prise de nouveau dans quelques mois, croit-il, afin de véritablement pouvoir mesurer si le public tient rigueur à Facebook de l’empêcher de partager le contenu de nouvelles. C’est ce sur quoi compte la ministre St-Onge pour faire valoir que Meta a intérêt à se conformer à l’esprit de la nouvelle loi canadienne, et à partager ses revenus avec les médias canadiens.

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