Les Québécois surestiment-ils leurs origines autochtones?

Selon des données généalogiques, la contribution autochtone moyenne représente seulement 0,35% du génome de la population québécoise.
Illustration: iStock Selon des données généalogiques, la contribution autochtone moyenne représente seulement 0,35% du génome de la population québécoise.

De toute évidence, du sang autochtone coule dans les veines des Québécois, croient maints d’entre eux. Comment les premiers immigrants français arrivés au Québec sans femmes auraient-ils pu résister au charme des Autochtones ? Or, des études généalogiques et génomiques de la population québécoise contemporaine révèlent plutôt qu’à peine 1 % du génome de celle-ci provient des Autochtones.

« Les Québécois surestiment leur origine autochtone. Des études génomiques ont montré qu’ils se trompent », prévient Simon Gravel, professeur agrégé au Département de génétique humaine de l’Université McGill.

Des chercheurs du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine et de l’UQAC se sont appliqués à estimer l’importance de la contribution des Autochtones à la génétique de la population québécoise actuelle. Leurs résultats ont été publiés dans le journal scientifique PLoS One. Pour y parvenir, ils ont analysé le génome de 205 Québécois établis dans différentes régions du Québec dont ils ont reconstruit la généalogie à l’aide du fichier de population BALSAC, ainsi que celui de 52 Autochtones d’Amérique du Nord. Ils disposaient également des données génomiques d’Européens, dont des Français.

L’analyse généalogique a indiqué que parmi les 8424 fondateurs (c’est-à-dire les ancêtres les plus éloignés qu’on arrive à retrouver dans les registres paroissiaux et de l’état civil du Québec), 39 étaient d’origine autochtone. « Cette valeur de 39 est sûrement sous-estimée parce qu’il y en a probablement qui n’ont pas été documentés, ou il se peut que des individus se soient mélangés avant que ne débutent les inscriptions dans les registres civils », souligne en entrevue Claudia Moreau, première autrice de l’article.

En se basant sur les données généalogiques, les chercheurs ont donc estimé que la contribution autochtone moyenne représente 0,35 % du génome des Québécois d’aujourd’hui.

Par ailleurs, les chercheurs ont utilisé trois méthodes différentes pour analyser le génome des participants. Ces méthodes ont donné des résultats très semblables, indiquant qu’en moyenne, environ 1 % du génome des Québécois provient des Autochtones. « Il y a très peu d’individus qui partagent beaucoup [de matériel génétique] avec les Autochtones, alors qu’ils sont nombreux à en partager peu ou pas du tout, ce qui explique en partie la moyenne de 1 % », précise Mme Moreau.

« On voit aussi que les Autochtones n’ont pas beaucoup contribué, dans le sens où ils ont peut-être eu moins d’enfants — et par conséquent moins de descendants — que d’autres fondateurs qui ont beaucoup contribué à la population contemporaine », ajoute-t-elle.

Un pour cent de contribution, c’est très peu, mais cela s’explique aussi par le fait que les croisements entre les Autochtones et les colons européens ont principalement eu lieu au début de la colonie, au tournant du XVIIe siècle. La bonne dizaine de générations entre le moment de ces croisements et la population actuelle a grandement contribué à diluer la contribution génétique des Autochtones, fait remarquer Mme Moreau, qui est actuellement professionnelle de recherche au laboratoire Genopop de l’UQAC.

« Une personne née de l’union entre un parent autochtone et un parent européen aura à peu près la moitié de son génome qui sera autochtone, et l’autre qui sera européenne. Et si cette personne s’accouple avec un Européen, son descendant n’aura plus qu’un quart de son génome qui sera autochtone. Or, les unions subséquentes étaient généralement entre Européens. Donc, si le croisement a eu lieu il y a plusieurs générations, c’est normal qu’aujourd’hui, ce soit très dilué, car le génome européen a pris le dessus », explique-t-elle.

Les données génétiques des Québécois échantillonnés ont justement permis de préciser que la majorité des croisements entre Autochtones et Européens ont eu lieu il y a environ 435 ans, ce qui veut dire que 14 générations séparent ces ancêtres autochtones des Québécois actuels.

« La contribution des Amérindiens est survenue surtout au début de la colonisation parce qu’ensuite, les Amérindiens ont été victimes d’ostracisation, d’acculturation, avance Claudia Moreau. On imagine qu’au début de la colonisation, les Amérindiens ont été très aidants pour les premiers immigrants qui ne savaient pas comment survivre. Il y avait alors probablement plus d’interactions, mais ensuite, une fois que la colonie est devenue plus importante, on a eu moins besoin d’eux et, alors, les gens se sont moins mélangés. »

Les méthodes d’analyse génomique utilisées ont également permis de distinguer, dans le génome des Québécois, les contributions autochtone et européenne, mais également une contribution vraisemblablement sibérienne des Européens avant la colonisation de l’Amérique.

Des segments très courts d’ADN dotés de caractéristiques autochtones ont en effet été identifiés comme provenant de croisements très anciens, survenus il y a environ 1890 ans, vraisemblablement entre Européens et Sibériens, lesquels, rappelons-le, sont par ailleurs venus coloniser le continent américain, où ils sont devenus les Autochtones d’Amérique, explique la chercheuse.

Pour expliquer l’écart entre l’estimation de 1 % de contribution autochtone obtenue par les analyses génomiques et celle de 0,35 % découlant de l’étude généalogique, les chercheurs avancent l’hypothèse que « l’information généalogique au sujet de l’origine amérindienne des ancêtres est vraisemblablement incomplète parce qu’elle n’avait pas été enregistrée par le prêtre en charge des registres de la paroisse ou parce qu’elle était inconnue pour diverses raisons, telles qu’une adoption ou une naissance illégitime ».

« Notre échantillon de 205 Québécois est relativement petit. Peut-être que, par hasard, on a recruté des gens qui se sont peu mélangés. Mais on a quand même une belle corrélation : on voit que les individus qui partagent une plus grande part de leur génome avec les Autochtones présentent aussi une plus grande contribution amérindienne dans leur généalogie. C’est rassurant. On est ainsi pas mal confiants que nos résultats sont fiables », affirme Mme Moreau.

Chose certaine, les Autochtones d’Amérique ont assurément ajouté de la diversité génétique à celle des premiers Européens venus coloniser ces terres d’outre-mer, affirment les auteurs de l’article.

  

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