Des médias internationaux affectés par le blocage des nouvelles par Meta

Le Canada représente pour Le Monde plus de deux millions de visites mensuelles sur son site Internet et près de 500 000 visites supplémentaires vers son nouveau site en anglais.
Joel Saget Agence France-Presse Le Canada représente pour Le Monde plus de deux millions de visites mensuelles sur son site Internet et près de 500 000 visites supplémentaires vers son nouveau site en anglais.

Les secousses du blocage des nouvelles sur Facebook et Instagram au Canada se font sentir à l’étranger. De grands médias internationaux ont noté une baisse significative du trafic sur leurs réseaux sociaux dans le dernier mois. Scandalisés par les agissements de Meta, ils encouragent Ottawa et les médias d’ici à ne pas baisser les bras.

« Voir que Meta est prêt à aller jusque-là, prêt à amputer l’offre de nouvelles venant d’un journalisme sérieux et indépendant, c’est déplorable. […] C’est un jeu dangereux, que de couper cet accès libre à l’information aux citoyens », déplore en entrevue avec Le Devoir Jérôme Fenoglio, directeur du quotidien français Le Monde.

Le bras de fer entre Meta et Ottawa a attiré l’attention des médias internationaux au cours de la dernière année. Mais c’est seulement il y a quelques semaines que le directeur du Monde — comme plusieurs autres médias étrangers — a compris que son journal en subirait aussi les conséquences.

Début août, après des semaines de tests sur une fraction d’utilisateurs, Meta a commencé le blocage définitif de l’accès aux nouvelles sur ses réseaux sociaux au Canada, confirmant du même coup que cela toucherait tant les nouvelles des médias canadiens que celles des médias internationaux. Une mesure prise en réaction à l’adoption de la Loi sur les nouvelles en ligne, qui vise à forcer les entreprises comme Meta et Google à s’entendre avec une large sélection de médias quant à un juste dédommagement pour le partage de leur contenu.

Moins d’un mois plus tard, les effets de ce blocage se font déjà sentir ici et à l’étranger. « En ce qui concerne Facebook, une diminution significative et progressive du trafic est effectivement observée depuis le début du mois [d’août] », indique Jérôme Fenoglio. Il précise que le Canada représente pour Le Monde plus de deux millions de visites mensuelles sur son site Internet et près de 500 000 visites supplémentaires vers son nouveau site en anglais.

C’est une honte, c’est scandaleux, ce qu’ils font. Ils détruisent nos démocraties en empêchant les nouvelles de circuler librement.

 

Le quotidien français Le Figaro a enregistré pour sa part une baisse de 5 à 10 % de fréquentation et d’interactions sur ses réseaux ces deux derniers mois. Une situation que le directeur du groupe Figaro, Marc Feuillé, associe certes à la période des vacances en France, mais aussi au blocage des nouvelles au Canada, qui représente de 2 à 3 % de son audience.

Le New York Times, qui compte de nombreux abonnés canadiens, indique de son côté « être en train d’évaluer ce que ces changements signifient pour [ses] lecteurs et son journal ».

Mouvement de solidarité

 

Les médias étrangers consultés par Le Devoir dénoncent tous la mesure de Meta. « Toute décision qui restreint l’accès à des sources d’information fiables sur les médias sociaux est préoccupante et ouvre la voie à la diffusion de fausses informations à un moment où les faits et la clarté sont cruellement nécessaires », s’inquiète le quotidien britannique The Guardian.

Pour Jérôme Fenoglio, du Monde, les géants du Web doivent payer leur part. « C’est vital, ce que le travail des journalistes apporte sur les réseaux sociaux pour informer les gens. Mais il faut comprendre que le journalisme de qualité est une activité fragile qui coûte de l’argent. La contribution de ces mastodontes qui accaparent l’essentiel de la publicité est plus que nécessaire », affirme-t-il.

« C’est une honte, c’est scandaleux, ce qu’ils font. Ils détruisent nos démocraties en empêchant les nouvelles de circuler librement. […] On ne peut qu’être en totale solidarité avec les journaux canadiens, surtout qu’on a vécu une situation similaire en France il y a quelques années », renchérit le directeur du groupe Figaro.

M. Feuillé fait référence à la Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins entrée en vigueur en octobre 2019 en France à la suite d’une directive européenne adoptée la même année. Celle-ci vise à permettre aux journaux, aux magazines ou aux agences de presse de se faire rémunérer lorsque leurs contenus sont réutilisés par les géants du Web.

Après une longue bataille judiciaire et une amende de 500 millions d’euros de l’Autorité de la concurrence, Google a commencé à rémunérer les médias français en 2021. Par contre, seuls quelques éditeurs de presse sont parvenus à un accord avec Facebook. En juillet dernier, plusieurs groupes de presse français — Le Monde, Figaro,Les Échos-Le Parisien et l’Agence France-Presse — se sont tournés vers la justice pour forcer X, anciennement Twitter, à respecter cette loi et à payer aussi sa part.

« À l’époque, [ces entreprises] nous avaient servi les mêmes arguments comme quoi l’information ne représente rien pour leurs plateformes. Elles ont aussi cherché à nous diviser. Il faut que les médias canadiens restent solidaires et n’hésitent pas à se tourner vers la justice. Les géants du Web finiront par comprendre qu’ils ne sont pas au-dessus des lois et vont payer », ajoute Marc Feuillé, qui souhaite que le conflit se résorbe rapidement.

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