Québec n’entend pas freiner la popularité des VUS

Ce texte est tiré du Courrier de la planète. Pour vous abonner, cliquez ici.

 

L’attrait des consommateurs québécois pour les « camions légers » et les véhicules utilitaires sports (VUS) a beau contribuer à l’aggravation des crises environnementales, le gouvernement Legault n’entend pas agir pour réduire la popularité de ces véhicules.

Les constats de l’édition 2023 du rapport sur l’état de l’énergie au Québec sont sans équivoque : les ventes de VUS, de fourgonnettes et de camionnettes ont connu une hausse marquée au fil des ans dans la province. Celles-ci ont d’ailleurs augmenté de 253 % entre 1990 et 2021, au point de représenter 71 % des ventes dans la province en 2021.

Or, cette popularité grandissante représente une nuisance pour l’atteinte des objectifs environnementaux du Québec, dont les cibles climatiques, souligne le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau. « La prolifération des VUS est une très mauvaise nouvelle pour l’étalement urbain et l’occupation du territoire, parce qu’elle incite à moins de densité. C’est aussi une catastrophe pour les coûts des ménages et des infrastructures, parce que les VUS et les routes coûtent très cher. »

Hausse généralisée

Selon le plus récent bilan de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), on comptait en 2022 près de 2,38 millions de véhicules personnels de type « camion léger », ce qui comprend les VUS, les fourgonnettes et les camionnettes. En 2017, ce nombre était de 1,86 million. Il s’agit d’une hausse de 520 000 véhicules.

Fait à noter : la tendance à la hausse du nombre de « camions légers » est une réalité dans l’ensemble des régions du Québec. À Montréal, leur nombre est passé de 266 615 en 2017 à 336 158 en 2022, selon le plus récent bilan de la SAAQ. Dans la région de la Capitale-Nationale, le nombre est passé de 164 477 à 214 107 au cours de la même période. Les hausses sont aussi constantes à Laval, dans Lanaudière, en Montérégie, en Estrie, dans le Centre-du-Québec et dans les Laurentides.

A contrario, on constate une baisse des véhicules de type « automobile » dans l’ensemble des régions, y compris dans les zones urbaines comme Montréal, Laval ou la Capitale-Nationale.

Électrifier les VUS

Le ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette, n’entend toutefois pas agir pour inverser cette tendance à acquérir des véhicules plus gros et plus énergivores. « Nous avons adopté une loi qui interdit la vente de véhicules neufs à essence dès 2035 et nous investissons, comme jamais aucun autre gouvernement auparavant, pour des projets de transport collectif », fait valoir son cabinet dans une réponse écrite au Devoir.

Le gouvernement Legault ajoute que la solution pour les véhicules personnels, y compris pour les VUS, passe par l’électrification. « Déjà, 13,2 % des ventes de 2022 sont des voitures branchables, ce qui nous place sur une très bonne trajectoire pour atteindre nos cibles en matière de gaz à effet de serre. »

Selon les données inscrites dans le dernier rapport État de l’énergie au Québec, les véhicules électriques représentent désormais un peu plus de 5 % des véhicules en circulation au Québec. Et les consommateurs achètent majoritairement des « camions » électriques, dont des VUS. Or, « un VUS électrique peut consommer 50 % plus d’énergie qu’une voiture électrique », précise M. Pineau, ce qui est de mauvais augure pour la demande en électricité des prochaines années. Sans compter la demande en ressources renouvelables pour produire ces véhicules.

L’effet publicitaire

Analyste politique et spécialiste de la mobilité durable à Équiterre, Andréanne Brazeau déplore la normalisation des gros véhicules sur nos routes. « Les constructeurs retirent les petits véhicules du marché. Ce n’est pas étonnant, parce que les gouvernements ne mettent pas en place les options pour freiner cette tendance », fait-elle valoir.

« La publicité joue un rôle extrêmement important dans cette normalisation », ajoute-t-elle. À titre d’exemple, une étude publiée l’an dernier par Équiterre a démontré que les camions légers apparaissent dans 79 % des publicités automobiles dans les journaux et les magazines. « L’industrie y investit des sommes importantes parce que ça fonctionne. Et on y associe souvent les gros véhicules à l’aventure ou aux milieux naturels. C’est ironique, parce que les véhicules contribuent à l’étalement urbain, et donc à la destruction des milieux naturels. »

La prolifération des VUS est une très mauvaise nouvelle pour l’étalement urbain et l’occupation du territoire, parce qu’elle incite à moins de densité

 

Tout en précisant qu’à peine 15 % des « camions légers » sont immatriculés à des fins commerciales au Québec, Mme Brazeau plaide pour l’imposition de mesures dissuasives en ce qui concerne l’achat de véhicules énergivores et imposants. Elle évoque l’idée d’une taxation basée sur la consommation et le poids des véhicules, en précisant que les revenus pourraient servir à financer le transport en commun et actif, mais aussi le soutien de l’État à l’achat de voitures électriques.

« Il faut utiliser l’écofiscalité pour inverser la tendance actuelle et décourager l’achat de ces véhicules, autrement leur popularité va continuer d’augmenter. Il est devenu normal d’avoir de gros véhicules », résume la spécialiste d’Équiterre.

À voir en vidéo