Le cadre légal sur les médias fait débat après une grève inédite

La rédaction du «Journal du dimanche» a mené une grève de 40 jours pour protester contre l’arrivée à sa tête de Geoffroy Lejeune, tout juste renvoyé de l’hebdomadaire d’extrême droite «Valeurs actuelles».
Martin Lelièvre Agence France-Presse La rédaction du «Journal du dimanche» a mené une grève de 40 jours pour protester contre l’arrivée à sa tête de Geoffroy Lejeune, tout juste renvoyé de l’hebdomadaire d’extrême droite «Valeurs actuelles».

Aides à la presse, pouvoir des rédactions face aux actionnaires : le cadre légal des médias fait débat en France après une longue grève inédite menée par la rédaction d’un journal parisien contre l’arrivée d’un directeur marqué à l’extrême droite à sa tête.

« Les lois qui existent ne sont pas efficaces et sont inadaptées », estime auprès de l’AFP l’historien de la presse Alexis Lévrier. « La situation devient urgente » avec des patrons de presse qui « malmènent des rédactions », juge-t-il.

Les bras de fer se multiplient. Dernier en date : la rédaction du Journal du dimanche (JDD) a mené une grève de 40 jours pour protester contre l’arrivée à sa tête de Geoffroy Lejeune, tout juste renvoyé de l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles.

Nombre d’observateurs voient dans cette nomination la main du milliardaire Vincent Bolloré, dont le groupe Vivendi est en train d’absorber Lagardère, propriétaire du JDD.

Ce magnat aux opinions réputées très conservatrices a construit un empire médiatique, déclenchant au fil de ses acquisitions des grèves et des départs dans les rédactions : reprise en main du groupe Canal+, transformation d’iTELE en CNews, rachat en 2021 de Prisma Media, premier groupe de presse magazine en France, et dernièrement, absorption du groupe Lagardère, propriétaire d’Europe 1, de Paris Match et du JDD, tous remaniés.

En 2021, l’essentiel de la rédaction du mensuel Science et vie avait démissionné, inquiète pour son indépendance après le rachat du titre par Reworld Media. Plus récemment, des remous ont agité les quotidiens Le Parisien et Les Échos, détenus par le groupe LVMH du milliardaire Bernard Arnault.

Face à l’ampleur des opérations de concentration dans le paysage médiatique français, dont la fusion TF1-M6, finalement avortée, le Sénat avait lancé une commission d’enquête fin 2021 et publié des préconisations pour renforcer l’indépendance et l’éthique au sein des médias en mars.

« Étanchéité entre actionnaire et rédaction »

Il existe « deux visions sur cette question entre la droite et la gauche », observe son rapporteur, le socialiste David Assouline, à l’origine d’une proposition de loi déposée en juillet. De « grands groupes privés, qui n’ont pas vocation à faire de la presse, sont propriétaires de l’essentiel des médias », ce qui « pose le problème de l’étanchéité entre l’actionnaire principal et les rédactions », pointe le sénateur.

Son texte propose de conditionner l’octroi des aides d’État à la presse et l’attribution de fréquences audiovisuelles à un droit de veto des journalistes sur le choix du directeur de l’information. Problème, certains objectent qu’« on ne peut pas imposer à un actionnaire » ses employés, relève le socialiste.

Deux autres propositions de loi ont suivi : l’une de la sénatrice centriste Nathalie Goulet pour « assurer la protection juridique des rédactions », l’autre de députés de divers bords politiques (sauf la droite et l’extrême droite) demandant aussi de conditionner les aides à la presse et d’octroyer plus de droits aux journalistes.

Reste une difficulté majeure : « Ne pas dissuader les investisseurs dans les médias tout en assurant l’indépendance rédactionnelle », souligne le sénateur centriste Laurent Lafon, président de la commission d’enquête sur la concentration des médias.

Cette « ligne de crête est tout à fait tenable », d’après Nathalie Sonnac, professeure à l’Université Panthéon-Assas, autrice de l’ouvrage Le nouveau monde des médias. Une urgence démocratique et ancienne membre du Conseil supérieur français de l’audiovisuel (devenu l’ARCOM).

« Ce n’est pas parce qu’on a une entreprise commerciale que ça l’empêche de s’inscrire dans un cadre très clair » exigeant une information « de qualité, c’est-à-dire sourcée et vérifiée », dit-elle. Et « quand il y a ingérence, il faut que ce soit sanctionné lourdement », soutient l’universitaire.

Autant de pistes qui seront débattues en septembre lors des états généraux de l’information annoncés par l’Élysée sous la pression du conflit au JDD.

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